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La production partagée entre le film d'auteur et le film de divertissement

Trois films marquent l'année 1966-67 : la Grande Vadrouille de Gérard Oury, les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, Mouchette de Robert Bresson. Trois films : trois genres aussi différents les uns des autres, trois metteurs en scène dont les ambitions comme les moyens d'expression ne peuvent guère se comparer.

Gérard Oury, le plus chanceux sans nul doute, est le champion du box-office 1966-67. En effet, après le succès déjà considérable du Corniaud, il a atteint cette année, avec sa Grande Vadrouille, le chiffre tout à fait stupéfiant de 1 300 000 spectateurs en circuit de première exclusivité (les films des années précédentes : la Guerre des boutons, l'Homme de Rio, les James Bond, Un homme et une femme, n'avaient pu franchir le cap du million).

Le duo comique

Le succès de la Grande Vadrouille (dépassé de peu en valeur absolue par le triomphe à long terme de West Side Story) s'explique sans doute par la popularité du nouveau duo comique : Bourvil - Louis de Funès, mais aussi par le soin attentif que G. Oury et toute son équipe technique ont prodigué au film pour le rendre cocasse, plein de rebondissements et allègrement optimiste.

Ce n'est pas seulement un caprice collectif qui a poussé les foules aux portes des cinémas affichant le film d'Oury pendant vingt semaines consécutives : un besoin s'est créé d'un cinéma comique qui bénéficie à la fois des techniques du grand spectacle (couleur, scope, vedettes à la mode), mais aussi d'un scénario inventif et d'un rythme rapide. Lancée à grand renfort de publicité, la Grande Vadrouille a divisé quelque peu les critiques — encore que certains d'entre eux, pourtant peu suspects de tendresse à l'égard du cinéma dit « commercial », tel Henry Chapier de Combat, l'aient vigoureusement défendu.

La renommée de Bourvil n'est pas chose nouvelle, mais celle de De Funès, longtemps promu aux rôles secondaires, a surpris. Elle ne semble pas néanmoins un simple engouement passager et a pris même de telles proportions que des distributeurs avisés ont ressorti en toute hâte d'anciens films de cet acteur qui, pendant les fêtes de Noël, pouvait se flatter de se voir programmer par une vingtaine de salles parisiennes.

Mieux : dans le troisième récit des aventures de Fantomas (de plus en plus éloigné du feuilleton de Souvestre et Allain), Fantomas contre Scotland Yard (d'André Hunebelle), le rôle du commissaire Juve (de Funès) a été considérablement étendu, aux dépens de celui du héros (Jean Marais).

C'est également de Funès qui, par sa seule présence au générique, a fait le succès d'un film comme le Grand Restaurant, à la vérité humble gargote qui ne mériterait aucune étoile sur le Guide Michelin du Cinéma.

Pour rester dans le domaine des joyeux lurons, un troisième acteur est en passe de rejoindre Bourvil et de Funès dans le groupe de tête des comiques : c'est Jean Lefebvre, à qui Serge Korber, dans Un idiot à Paris, vient d'offrir son premier rôle de grande vedette.

Une comédie musicale

Jacques Demy, après Nantes (Lola) et Cherbourg (les Parapluies), a planté sa caméra dans un troisième port français : Rochefort.

Amoureux de la comédie musicale américaine, il se heurtait à une entreprise délicate : les Français sont réputés imperméables à ce style de divertissement, qu'ils considèrent — comme le western, d'ailleurs — un genre mineur. Il s'entoure d'atouts précieux (la présence de Gene Kelly n'étant pas le moindre) ; un budget important lui permet de réussir ce qu'aucun autre avant lui n'avait même tenté : les Demoiselles de Rochefort (Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, sa sœur, morte tragiquement en juin dernier dans un accident de voiture sur l'autoroute de l'Esterel) est bien la première comédie musicale française, tournée dans un tout autre esprit que les Parapluies, bien que la musique soit encore de Michel Legrand et les décors de Bernard Evein.

Le film, sans remporter un succès fracassant, a eu néanmoins le mérite de jouer franchement le jeu. Les mélomanes ont parfois critiqué Michel Legrand, les esthètes se sont plaints de la trop distrayante joliesse des décors et des costumes : le travail de Demy, qui est celui d'un pionnier, a forcé l'admiration.