Discerne-t-on de grands courants dans cette production fortement individualisée ? Il semble plutôt qu'elle laisse dans l'oubli les écoles et les groupes... Peu d'autres titres se sont détachés, sinon Ouï-dire, de Michel Deguy ; des proses fantastiques de Pierre Della Faille : le Grand Alleluia, et celles de Roger Kowalski : Hautes Erres, qui confirment la qualité d'une inspiration et d'une écriture.

De Claire Lejeune, rappelons des réflexions (la Geste) et des poèmes (le Pourpre). Les derniers recueils d'Hubert Juin (le Soleil rouge), de Gisèle Prassinos (les Mots endormis), de Philippe Jaccottet (Airs), de Jacques Chessex (le Jeûne de huit nuits) et d'Oliven Sten (l'Enterreur et autres poèmes) se rattachent moins à une influence directe (même à celle, diffuse, du surréalisme) qu'ils ne font la preuve d'orientations très personnelles.

Premiers livres

Les écrivains que leur premier livre vient de révéler témoignent également de cette diversité, qu'il s'agisse de Bernard Vargaftig (la Véraison), remarqué par Aragon, de Loran Gaspar, qui obtient le prix Apollinaire 1967 pour le Quatrième État de la matière, ou de Roland Dubillard, abordant la poésie avec une cocasserie cruelle, souvent égale à celle de son théâtre (Je dirai que je suis tombé). N'oublions pas, à l'école exigeante de René Char, les proses d'Hélène Mozer (Battement). Retenons enfin les poèmes de Gérard Engelbach, et, dans la collection le Chemin, la voix attachante de Louise Herlin (Versant contraire), et Cyprès de Jude Stefan.

Traductions

Parmi les traductions, de plus en plus nombreuses, il faut retenir les Œuvres d'Hölderlin, publiées sous la direction du principal traducteur, P. Jaccottet, dans la Bibliothèque de la Pléiade, et les Poésies complètes d'Eugenio Montale, par P. Angelini, écrivain dont l'œuvre riche et difficile est au premier rang en Italie.

Essais

Refusant de se plier à des conceptions théoriques, la poésie semble susciter, au contraire, de fécondes interrogations. En marge de leur œuvre poétique, Jacques Garelli et Michel Deguy — dont il n'est pas inutile de rappeler qu'ils possèdent chacun une formation philosophique — ont publié deux ouvrages que l'on a beaucoup commentés : la Gravitation poétique, de Garelli, essai de définition de la poésie et remise en question de la critique, peut-être trop systématique, et Actes, méditation profuse et riche de Michel Deguy. Notons également d'Edith Mora, une somme d'érudition critique : Sappho, qui fera autorité.

Anthologies

Une anthologie a séduit les amateurs de fantastique : les Poètes hallucinés, présentés par H. Parisot. L'ouvrage qui a le plus vivement partagé la critique est sans doute la Poésie française de Baudelaire à nos jours de Pierre de Boisdeffre. Enfin s'achève la publication d'une monumentale Anthologie de la Poésie française, en douze volumes, sous la direction de Robert Kanters et Maurice Nadeau.

Essais et critiques

Seul aime le livre le pur lecteur. Cette affirmation, quelque peu désabusée, de Roland Barthes, à la fin d'un de ses derniers essais, Critique et Vérité, semble clore la grande querelle des Anciens et des Nouveaux Critiques, qui depuis deux ans se trouve au cœur du débat sur le sens de l'écriture. Au terme de tant de pamphlets, brochures, articles de journaux et de revues, la critique, tour à tour attaquée et défendue, exaltée et vilipendée, s'est finalement diluée, révélant des ambitions dérisoires.

Bricolage intellectuel

Pour ceux qui demandent aux études historiques la raison d'une vocation d'écrivain, comme pour ceux qui, s'inspirant des méthodes de la linguistique moderne, cherchent à dégager les structures d'une œuvre littéraire, la science de la littérature reste à faire. Elle suppose une culture anthropologique, un matériel de laboratoire, des recherches patientes et des dénombrements fastidieux.

La critique, elle, n'est plus le fait que d'un artisan plus ou moins doué, rusé ou perspicace, passionné ou ingénieux, un bricoleur intellectuel.

Est-ce à dire que cette année littéraire s'achève sur un constat d'échec ? En réalité, entreprenant de définir ses principes et ses buts, la critique découvre qu'elle doit être d'abord une autocritique.