Et comment ne pas finir en rappelant que le grand prix international de littérature a été attribué cette année à Witold Gombrowicz, Polonais ayant vécu le plus souvent en Argentine et en France, auteur de théâtre, auteur de nouvelles et de romans, comme Cosmos et Bakakai, que l'on vient de traduire, produit de l'intelligentzia internationale pour le meilleur et pour le pire, d'ailleurs, car il lui faut, en quelque sorte, défendre son lyrisme très personnel, son intuition fondamentale, peut-être celle de l'immaturité opposée à la forme, contre une culture déracinée. En ce sens, romancier d'un malaise, oui, il est bien le romancier international d'aujourd'hui.

Poésie

La situation de la poésie en France paraît ambiguë. Abondante, les grands éditeurs la publient relativement peu. La presse, la radio lui concèdent peu d'attention ; les émissions télévisées sont reconnues des plus médiocres. Si les petites revues sont nombreuses, elles restent confidentielles.

Pourtant, le disque (par le récital et la chanson) et les spectacles de poésie attirent un public souvent très jeune. C'est le fait nouveau le plus remarquable, avec la naissance de collections de poche : œuvres contemporaines déjà classiques ou célèbres chez Gallimard et Seghers, jeunes écrivains chez P. J. Oswald.

Ce moyen de diffusion plus large, plus efficace, puisque les livres sont moins onéreux, ne saurait faire oublier ce que la jeune poésie doit à la collection le Chemin et à de courageux éditeurs, tels José Corti, Guy Lévi-Mano ou Guy Chambelland. Quant aux innombrables recueils publiés à compte d'auteur, ils n'atteignent ni le public ni les critiques.

Les revues

Depuis la récente disparition des Cahiers du Sud, seule la Nouvelle Revue française publie régulièrement des poèmes et révèle de jeunes auteurs — plus rarement, Tel quel et le Nouveau Commerce. Parmi trop de revues spécialisées, signalons à Paris la Revue de poésie, lieu de recherches ; en province : le Pont de l'Épée, dont la vocation est de découvrir, ainsi que les Cahiers de la licorne à Montpellier ; Action poétique, combative entre toutes, et, remarquées pour leur tenue, Promesse, à Poitiers, et Fenix. Retenons un numéro d'Europe consacré à Apollinaire ; un hommage à Audiberti et le numéro « André Breton et le surréalisme » de la NRF, ainsi que l'important « Cahier Henri Michaux » de l'Herne sous la direction de Raymond Bellour.

Enfin, il faudrait, pour être juste, citer d'excellentes revues d'expression française publiées en Suisse et en Belgique.

Les rééditions

Des rééditions judicieuses s'inscrivent dans la belle collection de poche Poésie NRF : œuvres de Larbaud, Cendrars, Supervielle, Breton..., ou sont présentées dans la série Poètes d'aujourd'hui : Libbrecht, Aygueparse, Ramuz, Bodart.

Le Mercure de France poursuit l'édition ne varietur des poésies de Pierre Jean Jouve et publie un choix des Plus Belles Pages de Saint-Pol Roux. Un livre témoin d'une fidélité au surréalisme, Jours effeuillés, poèmes et souvenirs de Jean Arp, et les Poésies complètes du curieux Max Elskamp.

Les Éditions universitaires rassemblent celles de Constant Burniaux, et P. J. Oswald l'œuvre du jeune poète Gérald Neveu — décédé en 1964 — sous le titre Fournaise obscure. Des poèmes pour une part inédits de Max Jacob, l'Homme de cristal, Saint Denys-Garneau et André de Richaud ; à ces œuvres hier encore introuvables, joignons les poèmes de Pierre Morhange, le Sentiment lui-même, et de Pierre Albert-Birot. L'œuvre de ces écrivains demeurés en marge de la vie littéraire est considérée comme singulièrement actuelle.

Actualité

Si Jean Follain (D'après tout), Robert Goffin (le Versant noir) et Eugène Guillevic (Euclidiennes) demeurent fidèles à eux-mêmes, on a pu louer le pouvoir de renouvellement de Jean Grosjean : Élégies (Prix des critiques 1967) est l'un des livres les plus remarqués de l'année, pour sa maîtrise dépouillée et la gravité d'une très belle inspiration, émouvante et forte. Approfondissement d'un lyrisme éclatant, parfois obscur dans l'expression d'une interrogation chrétienne, la Terre du sacre, qui est aussi une célébration de la vie, a valu à Jean-Claude Renard le prix Sainte-Beuve de poésie 1966, alors que le prix Max-Jacob couronnait l'Embellie d'Édith Boissonnas.