Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

Conjoncture économique

Expansion ralentie, réformes accélérées

À quelques mois de la suppression complète des frontières douanières dans le Marché commun, l'économie française donne le spectacle d'un certain essoufflement. Elle a sensiblement ralenti sa course, à l'image d'ailleurs de ce qui se passe chez la plupart de ses voisins. Elle réalise en hâte, et non sans une certaine fébrilité, des remises en ordre qu'elle avait tardé à entreprendre. Tout concourt à créer un climat d'incertitude, comme si la France appréhendait une échéance qu'elle a elle-même choisie.
Ralentissement de l'expansion et réformes de structures dominent la période 1966-67.
Les deux phénomènes n'étaient pas inévitablement liés, mais leur apparition simultanée a engendré des influences réciproques.

Le ralentissement de l'expansion a placé certaines entreprises dans des situations difficiles, ce qui les a contraintes à accepter des fusions auxquelles elles n'auraient peut-être pas consenti dans des circonstances plus favorables. Réciproquement, la transformation des entreprises a provoqué des inquiétudes, spécialement dans le personnel, qui a craint de perdre son emploi ; ce qui a conduit certaines catégories sociales à se montrer plus prudentes dans leurs dépenses, d'où un ralentissement des affaires.

Retard sur le Plan

Peut-on en conclure que le Ve plan a pris un mauvais départ et que les objectifs qu'il s'est assignés pour 1970 ne seront pas atteints ?

Si l'on ne considère que l'objectif global d'une croissance de 5 % par an de 1966 à 1970, on peut seulement constater que le rythme n'aura pas été tenu durant les deux premières années d'exécution : réalisée en 1966, l'expansion de 5 % ne paraissait pas devoir l'être en 1967. Mais le Plan ne se résume pas à un seul chiffre. Le Ve plan a même voulu se distinguer de ses prédécesseurs en mettant l'accent d'une part sur les réformes de structures, et d'autre part sur une stratégie du développement.

Parmi les réformes à réaliser, le Ve plan a insisté sur les concentrations d'entreprises, afin de mettre les firmes françaises aux dimensions de la concurrence internationale ; incontestablement, des progrès ont été faits dans ce sens ; depuis le début de 1966, les mariages, plus souvent de raison que d'amour, se succèdent à un rythme accéléré ; Usinor-Lorraine-Escaut, dans la sidérurgie ; Prouvost-Masurel, dans les textiles ; Renault-Peugeot, dans l'automobile ; BNCI-CNEP, dans la banque ; Kuhlman-Ugine, dans la chimie ; Péchiney-Tréfimétaux, dans l'aluminium ; Thomson-Houston-Hotchkiss-Brandt, dans les appareils ménagers ; Danone - Gervais, dans l'alimentation ; etc.

Ce sont souvent les grosses entreprises qui fusionnent, tandis que les petites restent éparpillées. Cela s'explique : les grandes firmes sont mieux placées pour comprendre la nécessité des concentrations, elles savent ce qui se passe à l'étranger ; en outre, elles sont plus riches et les concentrations coûtent de l'argent avant d'en rapporter ; enfin, les petites entreprises ont souvent un caractère familial qui complique la réalisation des fusions.

Sans doute faut-il s'inquiéter du caractère étroitement national de la plupart des concentrations. Et quand une firme française se vend à un étranger, c'est plus souvent à un Américain qu'à un Allemand ou à un Italien, ne serait-ce que pour une raison d'argent : le premier offre un meilleur prix que les deux autres. Il reste beaucoup à faire pour réaliser l'Europe des entreprises. On a pourtant le sentiment que, seules, des firmes européennes seront de taille à se battre contre les géants américains : General Motors réalise un chiffre d'affaires voisin du montant du budget de l'État français, et ses seuls bénéfices égalent le chiffre d'affaires de la Régie Renault !

Défaillance allemande

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas dire que les recommandations du Ve plan en matière de concentration sont restées lettre morte. Dans le domaine de la stratégie, les auteurs du Plan ont installé des clignotants destinés à alerter les pouvoirs publics et l'opinion en cas de danger : la production, les prix, le chômage, les investissements, le commerce extérieur font ainsi l'objet d'une surveillance.