Année-tournant pour l'Inde, année d'épreuve pour Indira Gandhi. Le sort aura voulu que cette femme de 48 ans, devenue Premier ministre dans des circonstances dramatiques, fasse l'apprentissage du pouvoir alors que son pays, vingt ans après avoir conquis son indépendance, entamait une nouvelle mutation. Les difficultés se sont amoncelées au cours des mois, reflets des immenses problèmes restés sans solution, mais signe aussi d'une évolution apparemment irrépressible.

Difficultés économiques d'abord, que le monde a identifiées avec ce cri d'alarme : « L'Inde menacée de famine. » Deux années de sécheresse, particulièrement sensibles dans les états producteurs de blé, ont rendu catastrophique un déficit alimentaire chronique qui est une des plaies de l'économie indienne. Son agriculture a la productivité la plus faible du monde, alors que la population croît au rythme de 10 millions d'habitants par an.

La pénurie de devises étrangères limite ses possibilités d'approvisionnement à l'étranger, d'autre part ; il a donc fallu une campagne de solidarité internationale, et notamment une importante aide américaine, pour conjurer partiellement le danger, à la mort de Shastri, au lendemain du conflit indo-pakistanais.

La dévaluation de la roupie, en juin 1966, a provoqué de surcroît une forte augmentation du coût de la vie (20 % environ). Le sort des populations s'en est trouvé aggravé, d'où la multiplication des conflits sociaux, qui ont parfois tourné à l'émeute.

Troubles politiques

Sur le plan politique, le gouvernement a dû faire face à de violentes revendications linguistiques, qui, dans un pays comme l'Inde, ont toujours un aspect nationaliste teinté de fanatisme religieux.

En Assam, Mizos et Naga réclament leur autonomie. Au Pendjab, la constitution d'un nouvel État — le Hariana —, qui groupe la population de langue hindi, ne met pas fin au conflit entre hindous et sikhs qui se disputent la capitale, Chandigarh, et seule la promesse d'un arbitrage personnel du Premier ministre a tempéré les débordements du fanatisme.

C'est aussi un certain fanatisme qui est responsable des émeutes de novembre 1966 à Delhi : la foule déchaînée, poussée par le puissant parti d'extrême droite Jan Sangh, assiégeait le Parlement pour obtenir du pouvoir central que soit respectée la vie des vaches sacrées, symbole de l'abondance. La vache est, en Inde, un animal qu'on ne peut abattre sans sacrilège et que la Constitution protège. Mais ces quelque 250 millions de bovidés faméliques qui vagabondent dans les campagnes constituent un frein au développement agricole et un défi à la raison. Aussi, le gouvernement fédéral avait-il eu tendance ces dernières années à favoriser, sinon à autoriser expressément, l'abattage des vaches.

Les élections

C'est dans un climat de tension et de mécontentement qu'ont lieu, le 15 février, les élections législatives — les quatrièmes depuis l'indépendance.

Gigantesque opération qui mobilise 250 millions d'électeurs et d'électrices, invités à désigner les 521 députés de la Chambre basse du Parlement central et les 3 560 membres des assemblées des 17 États de l'Union indienne.

On s'attendait à un recul du parti du Congrès, qui détenait un véritable monopole de la vie politique : majorité des trois quarts au Parlement central et contrôle de toutes les assemblées des États, à l'exception de celle du Kerala, où les communistes l'avaient emporté en 1962. Le recul est considérable (7 % des voix et 97 sièges perdus). Il laisse malgré tout au parti de Nehru la majorité absolue au Parlement.

Plus grave pour l'avenir est le succès de l'opposition dans les États : coalition communiste-socialiste au Kerala et au Bengale, un parti local anti-hindi au Madras, les partis conservateurs (Jan Sangh et Swatantra) en Orissa, Uttar Pradesh, Rajahstan, Bihar et Pendjab. Presque partout des forces centrifuges avaient joué. La coupure entre l'Inde du Nord et l'Inde du Sud s'est accentuée. Le ciment unificateur qu'avait constitué le parti du Congrès apparaît maintenant fissuré.