Compte tenu de la nouvelle règle qui exige d'avoir obtenu au moins 10 % des voix des électeurs inscrits (et non plus, comme auparavant, 5 % des suffrages exprimés) pour pouvoir être candidat au second tour, règle qui élimine automatiquement près de la moitié des candidats du 5 mars, le ballottage se présente ainsi : dans l'écrasante majorité des circonscriptions de la métropole non pourvues au premier tour, soit 398, deux candidats seulement s'opposent. 125 de ces duels se livrent entre un communiste et la Ve République, 144 entre un fédéré et un gaulliste ou giscardien, qui combattent également 16 centre-démocrates, 6 PSU et 2 gaullistes dissidents.

Dans les autres circonscriptions, on dénombre 18 duels encore livrés par le Centre démocrate (10 aux communistes, 8 aux fédérés), 7 par des modérés et divers à la gauche, 76 batailles triangulaires qui intéressent toutes, sauf 2, la Ve République, et une seule circonscription, en Gironde, où 4 candidats se sont maintenus.

D'une manière générale, la règle des 10 % aura plutôt joué contre les gaullistes et giscardiens, qui auraient bénéficié souvent de batailles triangulaires alors qu'ils étalent perdants dans un duel.

La surprise du second tour

Les résultats de ce second tour, le 12 mars, feront l'effet d'une bombe.

La majorité sortante, que l'on considérait comme assurée d'être largement reconduite, ne gardait que d'extrême justesse la majorité absolue dans l'Assemblée, avec 244 sièges sur 487. Quatre ministres étaient battus : Maurice Couve de Murville (Affaires étrangères), au terme d'une bataille acharnée dans le VIIe arrondissement de Paris, par un centriste de droite. Frédéric - Dupont ; Pierre Messmer (Armées), par le maire socialiste de Lorient ; Jean Charbonnel, à Brive, et Alexandre Sanguinetti à Paris, par des fédérés.

Onze autres membres du gouvernement étaient élus, mais à Paris la Ve République perdait 10 sièges et, en tout, laissait sur le terrain 73 députés, ne regagnant ailleurs que 33 élus. Les communistes passaient de 41 à 73 députés, la Fédération de la gauche de 91 à 116.

Le Centre démocrate se voyait attribuer officiellement 27 élus, mais revendiquait la plupart des 15 divers modérés, alors qu'il avait en tout 41 sortants et qu'il y avait 9 non-inscrits. Pierre Mendès France (PSU) était élu à Grenoble.

Ainsi, tout en gagnant des voix d'un dimanche à l'autre (42,99 % au second tour), la Ve République perdait des sièges et frisait la défaite.

À noter que le recul de l'UNR et l'échec des gaullistes de gauche étaient d'autant plus sensibles que leur allié, Valéry Giscard d'Estaing, progressait au contraire de 34 à 44 députés. L'alliance de la gauche et des communistes avait joué à plein, tandis que l'assurance affichée après le premier tour par les leaders gaullistes démobilisait certains de leurs partisans. Le Centre démocrate, dont les voix étaient allées ici à la Ve République, là aux fédérés et même quelquefois, pour une petite part, à des communistes, apparaissait comme le grand vaincu.

La division en deux camps, déjà inscrite dans les candidatures et les duels du second tour, aboutissait à une séparation de l'électorat, à l'Assemblée, en deux moitiés, ou presque, avec un petit centrisme à la charnière, trop faible pour être l'arbitre du débat.

En attendant Bastia

Les élections de Corse, parfois mouvementées, nous ont offert, au second tour, un suspense de la meilleure veine.

La nuit du 12 au 13 mars, il est vrai, le dépouillement s'achevait en métropole, la Ve République n'avait pas atteint la majorité absolue et il restait un seul siège à pourvoir, celui de Bastia.

La proclamation de Jacques Faggianelli (Ve Rép.), qui donnait à la majorité sortante son 244e siège, ne devait intervenir que le lundi à 19 h 30, après une longue suite d'incidents.

Le dimanche après-midi, un commando s'empare de l'urne du 6e bureau de Bastia. Elle est récupérée plus tard, intacte.

Après la clôture du scrutin, la confusion redouble : le procès-verbal du 6e bureau disparaît, tandis que les résultats officieux donnaient Jean Zuccarelli (FGDS) élu. Le maire constate qu'il lui est impossible de proclamer les résultats. Des manifestants de gauche tentent de pénétrer dans l'hôtel de ville, gardé par les CRS.