Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orgue (suite)

L’Italie du xviie s. est représentée par les grands maîtres de l’orgue romain et, en particulier, par Frescobaldi (1583-1643), dont les canzone, les toccate — certaines étant groupées dans le recueil des Fiori musicali — constituent l’un des sommets de la musique instrumentale d’église. Parallèlement, l’Espagne connaît une école fructueuse avec les tientos, les passacailles et les toccate de Correa de Arauxo (1626), de Gabriel Menait († 1687), des Peraza et surtout de Juan Cabanilles (1644-1712). Deux tendances se font jour en Allemagne : les artistes du Sud gardent une certaine fidélité à la tradition catholique et à Frescobaldi, comme en témoignent les œuvres de Froberger* (1616-1667), de Johann Kaspar von Kerll (1627-1693) et de Georg Muffat (1653-1704). C’est Pachelbel* (1653-1706) qui a synthétisé l’effort de cette école traditionnelle dans ses toccate, ses préludes, ses fugues, ses quatre-vingt-quatorze versets de Magnificat et surtout dans ses chorals figurés. Les organistes du Nord sont groupés autour de Hambourg et de Lübeck, avec, à leur tête, Mathias Weckmann (1621-1674), Johann Nikolaus Hanff (1665-v. 1712), Jan Adams Reinken (1623-1722), Georg Böhm (1661-1733), Franz Tunder (1614-1667) et surtout son gendre Buxtehude* (v. 1637-1707), organiste de Lübeck. J.-S. Bach a profité de tout cet apport. Il connaît aussi bien les maîtres du sud que ceux du nord et du centre de l’Allemagne (Johann Gottfried Walther [1684-1748], Nikolaus Bruhns [1665-1697] et Vincent Lübeck [1654-1740]). Sa carrière d’organiste se déroule entre Arnstadt, Mühlhausen, Weimar, Hambourg et Leipzig. En marge de certaines transcriptions de concertos italiens pour orgue et de six sonates à l’italienne en trio, d’une difficulté transcendante, écrites pour son fils aîné, Bach a confié à l’orgue un message double : le premier est représenté par cent cinquante chorals participant au culte ; le second, compromis entre les prouesses d’écriture et la virtuosité, sert de décor au culte et tend vers le concert.

Parmi les œuvres d’orgue les plus célèbres de Bach, citons les quarante-cinq chorals de l’Orgelbüchlein, les dix-huit chorals dits « de Leipzig », les vingt chorals dits « du Dogme », enfin des partitas. À côté de ces recueils, il faut citer les préludes et fugues séparés, ainsi que les fantaisies, qui témoignent d’une totale liberté, dans le maniement de la polyphonie, de l’utilisation d’un ou de deux thèmes et de contre-sujets. Sa célèbre passacaille groupe vingt variations de trois à cinq voix d’un étrange esprit décoratif. Les toccate pour orgue peuvent être tenues pour des chefs-d’œuvre du genre.

La mort de Bach sonne une manière de décadence de l’orgue. En dépit des chorals des fils de Bach et de ceux de Telemann, l’orgue liturgique se meurt, se vide de sa substance au profit d’œuvres qui visent à créer une littérature de concert, œuvres dans lesquelles la virtuosité jouera parfois un rôle assez vain. Il faut souligner le renouveau que marque, au temps de l’orgue symphonique, la découverte du message de Bach. Alors apparaissent les sonates, les préludes et fugues de Mendelssohn, les toccate, les préludes, les fugues et les canons d’Alexandre Boëly (1785-1858), les fugues de Schumann, les grandes pièces décoratives de Liszt, les chorals de Brahms. Liszt fait une place certaine au récitatif, à la rhapsodie, à la fantaisie (Prélude et fugue sur le nom de B. A. C. H.). L’influence double de Bach et de Liszt ainsi que l’exemple de Boëly font surgir l’œuvre de César Franck (1822-1890), qui se réduit à six pièces (1862), trois pièces (1878) et les célèbres trois chorals (1890). Il faut encore citer les préludes et fugues de Joseph Rheinberger (1839-1907), les préludes, fugues et chorals de Max Reger (1873-1916), les préludes et les fugues, les fantaisies et les improvisations de Saint-Saëns, les diverses pièces d’Eugène Gigout (1844-1925), les sonates d’Alexandre Guilmant (1837-1911), les dix symphonies de Charles-Marie Widor (1845-1937), chefs-d’œuvre du genre orchestral, les deux dernières renouant avec l’orgue liturgique par l’intrusion de thèmes grégoriens (Haec dies, Puer natus est).

Franck et Widor ont été les grands professeurs de cette nouvelle école française, qui débouche sur deux directions : une littérature d’esprit liturgique et une littérature de concert. L’œuvre de Marcel Dupré (1886-1971) réunit les deux tendances, alors que Louis Vierne (1870-1937) demeure le pur serviteur de l’orgue de concert (6 symphonies, 24 pièces de fantaisie). Charles Tournemire (1870-1939) se montre le vrai continuateur des maîtres de la liturgie, avec les cinquante et un offices de l’Orgue mystique, fresques somptueuses, esquisses subtiles d’un poète moderne qui rejoint Grigny et Frescobaldi.

À leurs côtés, Jehan Alain (1911-1940) prend l’orgue à témoin de ses émotions, de ses rêveries ou de sa poésie (Litanies, Trois Danses). Olivier Messiaen (né en 1908) délaisse les thèmes grégoriens, crée autour des textes même de la Bible ou des Evangiles une littérature paraliturgique, romantique, rhapsodique et symbolique (l’Ascension, la Nativité du Seigneur, les Corps glorieux, Messe de la Pentecôte, Livre d’orgue, Méditations sur le Mystère de la Sainte-Trinité). D’autres organistes comme Maurice Duruflé (né en 1902), Jean Langlais (né en 1907) restent fidèles à l’esprit de Tournemire. En Allemagne, les organistes se tiennent à un contrepoint d’école qui habille souvent dans un langage très moderne les thèmes de choral. Paul Hindemith consacre à l’orgue trois sonates, et Henri Gagnebin (né en 1886) cent cinquante psaumes luthériens. L’école d’orgue demeure enfin florissante en Belgique (Flor Peeters), en Hollande (Piet Kee), en Italie (Fernando Germani, Luigi Ferdinando Tagliavini), en Tchécoslovaquie (Ferdinand Klinda), en Pologne, en U. R. S. S. (L. Roïsmann), aux États-Unis et au Canada.

N. D.

➙ Bach / Buxtehude / Cabezón / Couperin (les) / Franck / Frescobaldi / Grigny / Messiaen / Pachelbel / Telemann / Titelouze / Tournemire / Vierne / Widor.