Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

archéomagnétisme

Science du passé historique dont les matériaux sont surtout des aimantations rémanentes que les terres cuites acquièrent, sous l’effet du champ magnétique terrestre, tout au long des refroidissements consécutifs à leur cuisson originelle et à d’éventuels recuits. Le mot sert à désigner un domaine d’étroite collaboration, à bénéfice réciproque, entre l’archéologie et le géomagnétisme.


Rappelons d’abord que les éléments définissant le champ magnétique terrestre, sa déclinaison D, son inclinaison I et son intensité F, subissent des changements importants à l’échelle du siècle ; d’où le nom de variation séculaire donné à cette évolution. Ainsi, dans la région parisienne, la déclinaison D, qui est actuellement (1970) de 5° 30′ O. (5° 30′ W), était de 15° W environ en 1900, de 22° W à l’époque du premier Empire, où elle passait par un maximum, et de 8° W vers 1700. La figure 1, relative à Paris, est un graphique, où l’on peut lire les valeurs de D et I, depuis l’époque actuelle jusque vers 1600, aurore des mesures « directes ». Mais, et c’est là l’un des faits importants de l’archéomagnétisme, on peut retrouver les éléments D, I et F dans un passé plus lointain, à condition de disposer de matériaux dont la date de cuisson soit bien connue archéologiquement (la datation au carbone 14 est tout à fait insuffisante).

Les terres cuites — et d’ailleurs aussi les roches volcaniques —, corps très hétérogènes, sont capables d’acquérir des aimantations rémanentes grâce à un faible pourcentage de minéraux ferromagnétiques qu’ils renferment, en grains dispersés. Fait un peu inattendu, toutes sortes de modes d’aimantation sont possibles : l’action prolongée du champ terrestre à la température ordinaire (aimantation rémanente visqueuse), l’action du champ magnétique, très bref mais intense, du courant électrique correspondant à une chute de foudre.

Mais le mécanisme le plus intéressant est la thermorémanence : une terre cuite portée au-delà de 670 °C (point de Curie maximal de ses minéraux magnétiques) perd toute aimantation antérieure ; si, partant de là, on la laisse refroidir dans un champ magnétique, elle acquiert ce type d’aimantation aux qualités exceptionnelles. Précisons que l’aimantation thermorémanente doit être considérée comme la somme d’aimantations partielles acquises successivement, par des grains magnétiques différents, tout au long du refroidissement et qu’elle obéit à une loi de réversibilité : un réchauffement ultérieur (en champ nul) de T2 à T1 détruisant la part de rémanence acquise initialement de T1 à T2 au refroidissement, c’est la propriété dite de « mémoire magnétique des terres cuites ».

Ces quelques notions sur des types de rémanences possibles ne sont que des bribes d’une science très développée, celle du « magnétisme des terres cuites et des roches » ; mais elles suffisent pour nous diriger utilement vers les champs de fouilles. Ainsi, tout fragment de terre cuite porte une aimantation thermorémanente, faible mais très tenace, acquise dans le champ terrestre tel qu’il était à l’époque de son refroidissement. Si l’on veut bien considérer un volume important de matière (de l’ordre du décimètre cube), malgré son hétérogénéité, la direction globale de son aimantation est identique à celle du champ ancien qui l’a produite. Donc, si la terre cuite n’a pas été déplacée depuis, ni réchauffée, ce qui est le cas de restes de fours variés (de potier, de verrier, à chaux, à bronze, etc.) ou de foyers (de thermes, domestiques), ou encore de formations incendiées, elle porte une aimantation, véritable fossile du champ terrestre qui existait à l’époque de la chauffe unique ou de la dernière s’il y a eu répétition. Mais la mesure de cette aimantation est impossible sur le terrain, car son intensité est très faible (des millions de fois inférieure à celles qui sont mesurées dans les métaux ferromagnétiques), et il faut prélever des échantillons portant un repérage de leur orientation in situ. La technique française, au « plâtre de Paris », consiste à mouler sur un fragment, que l’on enlèvera ensuite, une masse de plâtre dont la partie supérieure, bien lissée, constitue un plan horizontal sur lequel on trace un trait fin d’azimut connu (au moyen d’une règle à éclimètre visant un théodolite préalablement orienté sur le soleil [fig. 2]. En France, toujours, des inductomètres à grandes bobines, bien adaptés à des mesures de moment magnétique sur des corps volumineux et de forme quelconque, permettent de déterminer les composantes du moment global de l’objet suivant trois directions du trièdre de référence défini par la masse de plâtre. On en déduit facilement la déclinaison et l’inclinaison de l’aimantation sur le terrain, qui sont celles du champ ancien. En principe, un échantillon suffit ; pratiquement, on en prélève une dizaine sur toute la formation archéologique choisie ; l’accord des valeurs obtenues est souvent excellent, garantissant la précision du degré sur I (un peu moins sur D). Nous laisserons de côté le cas des « souillures » de l’aimantation thermorémanente originelle par les aimantations de traînage ou de foudre ou par des recuits accidentels. Elles peuvent être décelées — et enlevées — par des techniques de « nettoyage magnétique » utilisant l’action de champs magnétiques alternatifs ou de recuits.

Les valeurs D et I trouvées pour une structure archéologique donnée, donc pour un lieu et une époque donnés, n’ont d’intérêt réel que si cette époque peut être fixée, à une ou deux décennies près. Mais une telle précision est difficile à atteindre au moins à certaines époques — celle du haut Moyen Âge particulièrement —, et c’est la difficulté majeure des études archéomagnétiques et la cause de la lenteur de leurs résultats. Pour tracer les courbes donnant la variation en fonction du temps, soit de D, soit de I, il faut connaître ces dates. Au contraire, sur le graphique en D et en I, un couple de valeurs donne un point, et, sur la figure 1, on a reporté les directions obtenues pour tous les fours ou foyers étudiés jusqu’ici à Paris et provenant de différentes régions (France, Belgique, Rhénanie et Wurtemberg, nord de l’Espagne, sud de l’Angleterre). De fait, des corrections, qui restent faibles, ont été faites pour ramener les valeurs obtenues à ce qu’elles auraient été à Paris. Devant certains points seulement de la figure, des dates, celles qui paraissent les plus sûres, ont été portées. Il resterait à tracer la courbe qui, partant de 40 av. J.-C., serpenterait dans tout le graphique jusqu’à rejoindre la courbe connue à partir de 1540 (en réalité, la partie 1540-1700 est déjà tracée avec des valeurs archéomagnétiques, bien plus précises que les mesures « directes » de l’époque). Ce tracé peut être tenté, mais le publier paraît encore imprudent.