Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

opéra (suite)

À l’aube du xxe s. se dessine une véritable renaissance du drame lyrique, qui, selon les pays et les hommes, va prendre des formes très diverses. En Allemagne, R. Strauss*, après Wagner, donne à l’opéra, qu’il n’aborde qu’en 1894, une nouvelle importance internationale. Wagnérien, il est surtout novateur et révolutionnaire dans Salome (1905) et Elektra (1908), où se désagrège l’harmonie traditionnelle, puis il revient à un art néo-classique dans la comédie musicale (le Chevalier à la rose, 1911 ; Capriccio, 1941) et surtout dans Ariane à Naxos (1912), où il juxtapose opera seria et opera buffa. En Italie après Verdi, l’école vériste, d’abord médiocrement représentée par Pietro Mascagni (1863-1945) avec Cavalleria rusticana (1890) et Ruggero Leoncavallo (1858-1919) avec Pagliacci (1892), essaie, sous l’impulsion d’Umberto Giordano (1867-1948), de concilier vérisme et wagnérisme (Andrea Chenier, 1896). Mais c’est avec G. Puccini*, compositeur méprisé à tort aujourd’hui, qu’elle acquiert, grâce à la Bohême (1896), la Tosca (1900), la Fanciulla del West (1910), Il Tabarro (1918) et Gianni Schicchi (1918), une réputation mondiale, due en grande partie à l’excellence des livrets, qui sont traités avec un sens inné du théâtre et en usant d’un langage qui est souvent neuf et original.

Mais, au début du xxe s., la France contribue brillamment au renouvellement du drame lyrique avec trois œuvres remarquables : Pelléas et Mélisande (1902) de C. Debussy*, Ariane et Barbe-Bleue (1907) de P. Dukas* et Pénélope (1913) de G. Fauré*. Alors que le public partage ses goûts entre le drame wagnérien, l’opéra vériste italien et celui de Massenet, aussi séduisant que voluptueux, Debussy, traditionaliste, encore romantique, mais sensible à la poésie symboliste et à la peinture impressionniste, affirme le premier son indépendance. Dans Pelléas, composé sur un livret de Maeterlinck, un fluide commentaire orchestral renforce, sans jamais couvrir les voix, l’émotion suscitée par les mots et les sous-entendus qu’ils recouvrent, donnant ainsi à ce « poème du destin », où les personnages, impuissants à s’accomplir, sont menés par la fatalité, sa profonde résonance, sans solennité ni emphase. Ariane est un « conte allégorique » dont le livret est inspiré du même auteur. Mais ce « poème de la délivrance », où l’action est aussi toute intérieure, est soutenu par une ample symphonie, toujours chatoyante, souvent éblouissante. À l’inverse, Pénélope baigne dans une atmosphère musicale pénétrante, mais réservée et presque intime, même au cours des scènes les plus passionnées. Bien que Fauré, comme Debussy et Dukas, répugne aux formes dramatiques traditionnelles, son opéra, faute d’éclat, n’a pas trouvé l’audience qu’il mérite.

Tradition et révolution vont maintenant aller de pair, et les diverses tendances s’interpénétrer souvent par-delà les nationalismes. Avant même la mort de Debussy, le domaine de la dissonance s’élargit considérablement, et le principe de la tonalité est battu en brèche. L’opéra compte encore en France des compositeurs modérés, comme Alfred Bachelet (1864-1944) ou Henri Rabaud (1873-1944), que la jeune génération, sensible aux techniques nouvelles (bitonalité, polytonalité, polyharmonie, polyrythmie), fera vite oublier. Citons Marcel Delannoy (1898-1962), Emmanuel Bondeville (né en 1898), Francis Poulenc (1899-1963), Henry Barraud (né en 1900), Henri Sauguet (né en 1901), Henri Tomasi (1901-1971) et Marcel Landowski (né en 1915). A. Honegger*, avec Antigone (1927), affirme avec force son sens de l’architecture, son dynamisme et son lyrisme concentré jusqu’à la violence. D. Milhaud*, dans sa trilogie d’Eschyle (Agamemnon, 1913 ; les Choéphores, 1915 ; les Euménides, 1917-1922), use pour la première fois du chœur parlé et rythmé, soutenu par la percussion. Le Russe I. Stravinski*, dans son premier opéra, le Rossignol (1914), renonce aux stridences du Sacre (1913) et, malgré son antiwagnérisme, se sert du leitmotiv. Œdipus Rex (1927) est une œuvre beaucoup plus personnelle. Stravinski y adopte la langue latine et emprunte à l’oratorio un récitant dont la présence est peu favorable à la représentation scénique. Dans son dernier opéra, The Rake’s Progress (1951), il déconcerte en se pliant à toutes les conventions de l’opéra classique. S. Prokofiev*, classique d’esprit, écrit l’Amour des trois oranges (1919) et l’Ange de feu (1919-1927) en Occident. Après son retour en U. R. S. S., il revient à une conception plus simple de son art, mieux en rapport avec le contexte social de son pays en évolution (Guerre et Paix, 1941-1952). Comme lui, D. Chostakovitch* est d’abord influencé par la musique occidentale, puis revient à la tradition russe avec Lady Macbeth (1932), remanié plus tard et intitulé Katerina Izmaïlova (1962). En Hongrie, B. Bartók* écrit son unique opéra, le Château de Barbe-Bleue (1911), le premier en langue magyare, remarquable par son intensité, son souffle puissant, mais très statique. L’Autriche devient alors le centre de la musique d’avant-garde. Bien que se réclamant du romantisme, A. Schönberg*, après quelques expériences d’atonalisme, use d’une technique dodécaphonique de plus en plus libre, dont on peut suivre la progression dans ses opéras : Das glückliche Hand (1924), Von Heute auf Morgen (1930) et Moses und Aaron (1930-1932, inachevé). Son influence s’exerce de la façon la plus large sur un grand nombre de musiciens, notamment sur A. Berg*, auteur de Wozzeck (1925) et de Lulu (1934), sur les Allemands Wolfgang Fortner (né en 1907), H. W. Henze*, qui fait voisiner dans Boulevard Solitude (1951) des combinaisons sérielles, des montages de bruit, du jazz, des voix parlées et des chansons, et sur l’Italien L. Dallapiccola*, qui, dans Volo di notte (1937-1940) et surtout dans Il Prigionero (1944-1950), utilise avec une grande liberté la nouvelle technique. Parmi les indépendants, P. Hindeminth* écrit d’abord des opéras révolutionnaires, sans être sensible au dodécaphonisme, et se rapproche finalement dans sa trilogie (Cardillac, 1926 ; Mathis der Maler, 1934-35 ; Die Harmonie der Welt, 1957) du drame wagnérien. L’Italo-Américain Gian Carlo Menotti (né en 1911), sans innover, sait créer, grâce à son sens dramatique, des œuvres (The Medium, 1946 ; The Consul, 1950) qui tiennent le public en haleine. En Angleterre, B. Britten* rénove le théâtre musical avec Peter Grimes (1945). Dans The Turn of the Screw (1954) et A Midsummer Night’s Dream (1960), il use de thèmes dodécaphoniques.