Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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œil (suite)

L’action de la lumière* sur les êtres vivants est un phénomène général. Chez la plupart des animaux, cet effet se concentre sur certaines régions du corps, les yeux, beaucoup plus sensibles au rayonnement que le reste de l’épiderme. Par exemple, chez l’Homme, l’absorption de l’ultraviolet solaire par la peau produit un érythème (coup de soleil), et celle de l’infrarouge, auquel les couches superficielles de la peau sont relativement transparentes, atteint les terminaisons nerveuses de la sensibilité thermique ; d’où l’agréable sensation que les baigneurs recherchent sur les plages. Mais l’énergie, par unité de surface et de temps, nécessaire à ces effets est environ 100 milliards de fois celle à laquelle la rétine humaine est sensible.

L’évolution de l’œil dans la série animale est un problème d’un grand intérêt, ne serait-ce que parce que l’organe de la vision est celui qui offre la plus incontestable apparence de finalité : l’œil est « fait pour voir », et le naturaliste s’émerveille de l’ingéniosité des dispositifs qui concourent à la vision. Nous décrirons cette évolution dans ses grandes lignes, en insistant sur quelques exemples remarquables.


Phototaxie des Bactéries

On appelle phototaxie une réponse à la lumière sous forme de mouvements. Elle existe même chez des êtres unicellulaires, comme la Bactérie pourpre Rhodospirillum, qui se propulse avec des flagelles qui jouent le rôle d’hélices. Il n’existe pas de photorécepteur localisé : la Bactérie ne se dirige pas vers la lumière, mais se déplace au hasard, afin que la lumière augmente ; si l’on fait converger avec une lentille la lumière d’une petite source, les Bactéries finissent par se rassembler au foyer de la lentille, où la densité d’énergie est maximale, mais elles ont pu, pour cela, se déplacer aussi bien en sens inverse de la propagation. Aux intensités lumineuses très fortes, la phototaxie s’inverse, et les Bactéries se protègent dans les zones d’ombre.


Phototaxie de l’Euglène

Euglena gracilis est une Algue verte unicellulaire en forme d’ellipsoïde de révolution allongé, de 70 μ environ de grand axe et de 15 μ de petit axe. La propulsion se fait par un mouvement en hélice du flagelle, le couple engendrant par réaction une rotation en sens inverse du corps autour de l’axe longitudinal. Contrairement aux Bactéries, l’Euglène « voit » la lumière et se dirige vers elle : avec un faisceau rendu convergent par une lentille, l’Euglène placé entre le foyer et la lentille va vers celle-ci, bien que l’éclairement diminue. La « vision » met en jeu l’ombre portée par une spérule rouge-orangé de 2 μ de diamètre environ, appelée stigma, sur un photocepteur quatre fois plus petit, où se trouverait le pigment sensible (flavine ?). Ce mécanisme a été élégamment démontré par D. Diehn (1969) en éclairant l’Euglène par une lumière puisée en résonance avec la rotation propre. On a constaté aussi que l’état de polarisation rectiligne de la lumière agissait sur l’Euglène, ce qui révèle une orientation régulière des molécules photosensibles, phénomène très fréquent en vision.

Comme les Bactéries, l’Euglène inverse le sens de sa phototaxie pour des lumières très vives : le point neutre serait aux environs du cinquième de l’éclairement fourni par le soleil au zénith sur un plan horizontal. Du côté des faibles lumières, l’Euglène manifeste une remarquable sensibilité, puisque le seuil de réponse se situerait vers 4 quanta de lumière effectivement absorbés. Dès le début des appareils visuels, nous remarquons d’une part l’échelle considérable des éclairements utilisables par l’organe récepteur et d’autre part le fait que la sensibilité limite atteint presque la structure granulaire de l’énergie lumineuse (photons).


Ocelles

Au début évolutif du système visuel, les cellules réceptrices se répartissent un peu partout. Chez le Ver de terre, il y en a des milliers surtout abondantes vers les extrémités du corps. Un premier progrès consiste à rassembler ces cellules en ocelles : chaque ocelle comprend quelques cellules sensibles, souvent pigmentées, c’est-à-dire contenant de nombreux grains foncés. Cette pigmentation est un fait presque constant en vision, sans que sa fonction soit élucidée. L’ocelle plan ne donne qu’une information grossière sur la direction de la lumière ; quand il se creuse en fossette, comme chez certains Mollusques, la direction des rayons lumineux est repérée avec plus de précision par leur action dissymétrique dès qu’ils n’arrivent pas suivant l’axe de la fossette.


Œil du Nautile

La transformation de l’ocelle creux en une cavité presque fermée réalise le premier type d’œil, celui du Céphalopode Nautilus, seul représentant actuel d’un groupe extrêmement répandu dans les océans il y a 450 millions d’années. La lumière pénètre dans la cavité par un petit trou, la pupille, et il n’existe aucun élément d’optique, si bien que cet appareil fonctionne comme la chambre noire classique Au fond de la cavité existe la rétine, membrane formée de cellules photosensibles jointives et sur laquelle se projette une image renversée des objets extérieurs. L’avantage de cet appareil est d’être au point pour toute distance de l’objet à l’œil ; mais ou bien le trou est très petit (moins de 1 mm de diamètre), et alors il entre très peu de lumière dans l’œil, ou bien il s’agrandit (jusqu’à 2,5 mm de diamètre), et alors l’image est floue. Un appareil musculaire règle ce diamètre de la pupille en fonction de la lumière ambiante, réalisant un réglage protecteur qui est une des possibilités pour l’adaptation, c’est-à-dire pour approprier le fonctionnement rétinien au domaine lumineux du moment.


Œil de la Littorine

L’œil du Bigorneau Littorina littorea est une vésicule fermée ; l’eau de mer ne pénètre donc pas à l’intérieur comme chez le Nautile. Cet organe évoque déjà l’œil du Vertébré par de nombreux caractères : deux tuniques transparentes externes (conjonctive et cornée), un cristallin quasi sphérique formé de couches concentriques, dont l’indice de réfraction augmente de la périphérie au centre, et un corps vitré, qui maintient la séparation entre le cristallin et la rétine, celle-ci comprenant des cellules photosensibles nombreuses (10 000 au mm2), fortement pigmentées ; ces cellules sont constituées par deux segments, séparés par un étranglement, et le segment qui reçoit la lumière est de forme conique ; chacun de ces cônes est relié par une synapse nerveuse à une cellule bipolaire, et ce sont les axones des bipolaires qui constituent les nerfs optiques, qui transmettent le message visuel aux ganglions cérébraux.

Les yeux du Bigorneau sont fixes ; chez d’autres espèces de Gastropodes, ils sont aux bouts de tentacules mobiles, comme chez l’Escargot, et parfois même les directions de ces tentacules peuvent converger sur un objet rapproché, ébauche de vision binoculaire.