Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Œdipe (complexe d’) (suite)

Melanie Klein s’oppose à Anna Freud, qui, avec les tenants d’une psychanalyse adaptative (H. Hartmann, E. Kris, R. Loewenstein), prend le complexe d’Œdipe sous sa forme limitée comme projet de toute guérison analytique : il faut faire à l’analysé un « moi fort » pour consolider sa structure œdipienne. C’est en réaction contre cette tendance, très développée aux États-Unis, que Jacques Lacan*, introduisant la linguistique et l’anthropologie dans le discours freudien, relit la psychanalyse freudienne, effectue une sorte de partage entre les mythes et la théorie, et accentue la structure dans les effets de l’inconscient. Parmi les mythes celui de la horde primitive était déjà désigné comme tel par Freud ; Lacan y ajoute l’Œdipe.

Dans la structure à quatre termes, qu’il schématise comme étant celle du sujet au discours, le triangle œdipien est le résultat du rapport du sujet au réel ; le quatrième terme est le sujet lui-même, hors jeu, hors structure, tenant dans sa propre structure la place du mort dans le jeu de bridge : invisible d’abord et déterminant l’ensemble. À la place du père, Lacan inscrit les équivalents de langage que sont la loi, l’ordre symbolique culturel ; à la place de la mère, les objets du désir ; à la place de l’enfant, l’imaginaire image du Moi, projection des parents, désir et loi tout ensemble. Le mythe œdipien est le scénario attenant à cette structure ; il n’y a plus valeur de fondement, mais d’illustration historique.

Cependant, l’histoire psychanalytique du complexe d’Œdipe ne cesse de se transformer. Un psychanalyste, Félix Guattari, et un philosophe, Gilles Deleuze, ont écrit ensemble un livre au titre radical, l’Anti-Œdipe (1972). La critique de la théorie freudienne y est complète, reprise de Reich, étayée par l’ethnologie et les études sur le nomadisme, s’appuyant sur les écrits d’Henry Miller, d’Artaud, de Büchner, prenant pour modèle ce personnage mi-littéraire, mi-psychiatrique, le « schizo », forme poétique du schizophrène. Déjà Michel Foucault*, dans son Histoire de la folie (1961), avait affirmé que la psychanalyse était l’achèvement de la psychiatrie du xxe s. ; Deleuze et Guattari montrent en pleine lumière la répression freudienne, qui fonctionne, si l’on peut dire, « à l’Œdipe ». Le fondement de la psychanalyse est, disent-ils, le « familialisme » : c’est par un forcing permanent que les psychanalystes introduisent l’Œdipe dans les interprétations sous la forme résumée « Dis que c’est Œdipe, sinon t’auras une gifle ». À un modèle familial relevant de la culture classique tragique, Deleuze et Guattari opposent un inconscient athée et orphelin, qui fonctionne comme une machine et non comme une mise en scène. Les trois machines principales, ordonnées selon une progression historique, sont la machine territoriale, primitive, la machine despotique et la machine capitaliste, contre laquelle le névrosé ne peut rien, pris qu’il est dans le complément de la psychanalyse, qui vient renforcer les ancrages répressifs de la machine capitaliste. Œdipe est l’ultime « territorialité », le blocage ultime du désir révolutionnaire. Le but de l’entreprise est de passer de la névrose à la psychose, de prendre le « schizo » comme référence insaisissable, de fonder une « schizo-analyse » à la place d’une psychanalyse impuissante à promouvoir un changement du réel. « Schizophréniser le champ de l’inconscient et aussi le champ social historique, de manière à faire sauter le carcan d’Œdipe et retrouver partout la force des productions désirantes, renouer à même le réel le lien de la machine analytique du désir et de la production. » Le complexe d’Œdipe est, cette fois, attaqué non plus seulement en sa forme, mais en son principe mythique ; l’inconscient-machine n’est plus l’inconscient décrit par Freud ; à la représentation freudienne s’oppose la production, décalque sauvage et évident du schéma marxiste des rapports de production.

C. B.-C.

➙ Freud (Sigmund) / Klein (Melanie) / Mythe et mythologie / Psychanalyse / Tabou / Totémisme.

 S. Freud, Aus den Anfängen der Psychoanalyse (Vienne, 1887-1902 ; trad. fr. la Naissance de la psychanalyse. Lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans, P. U. F., 1956) ; Die Traumdeutung (Vienne, 1900, 8e éd., 1929 ; trad. fr. la Science des rêves, P. U. F., 1926, nouv. éd. l’Interprétation des rêves, 1967) ; Analyse der Phobie eines fünfjährigen Knaben (Vienne, 1909 ; trad. fr. « Analyse d’une phobie d’un petit garçon de cinq ans : le petit Hans », dans Cinq Psychanalyses, P. U. F., 1954) ; Totem und Tabu (Vienne, 1912 ; trad. fr. Totem et Tabou, Payot, 1947) ; Selbstdarstellung (Leipzig, 1925 ; trad. fr. Ma vie et la psychanalyse, Gallimard, 1949). / E. Jones, Hamlet and Œdipus (New York et Londres, 1949 ; trad. fr. Hamlet et Œdipe, Gallimard, 1967). / C. Lévi-Strauss, les Structures élémentaires de la parenté (P. U. F., 1950) ; Anthropologie structurale (Plon, 1958). / M. Klein, P. Heimann, J. Rivière et S. Isaacs, Developments in Psychoanalysis (Londres, 1952). / G. Róheim, Psychoanalysis and Anthropology (New York, 1950 ; nouv. éd., 1968 ; trad. fr. Psychanalyse et anthropologie, Gallimard, 1967). / J. P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et pensée chez les Grecs (Maspero, 1965 ; nouv. éd., 1969). / E. et J. Ortigues, Œdipe africain (Plon, 1966). / Psychologie et marxisme (U. G. E., 1971). / G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie, t. I : l’Anti-Œdipe (Éd. de Minuit, 1972).

œil

Organe sensoriel qui présente une sensibilité élective aux radiations électromagnétiques dans le domaine de longueurs d’onde dit « lumière » (v. vision).


L’œil

Sauf sous ses formes les plus frustes, il permet à l’animal de situer les objets en distance et en direction, et d’apprécier leur forme et leur mouvement.