Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

œdème (suite)

Les œdèmes viscéraux

Ils compliquent parfois des œdèmes diffus, mais ils peuvent apparaître isolément.

• L’œdème cérébral. Cet œdème est très particulier, en ce sens qu’il ne concerne qu’assez peu les espaces extra-cellulaires cérébraux, qui, d’ailleurs, sont restreints, mais il se caractérise, surtout dans certains types, par un gonflement des cellules. Ce gonflement ne porte pas sur les neurones proprement dits, mais sur les cellules gliales, qui leur servent de tissu de soutien (v. nerveux [système]). L’œdème cérébral a, dans les affections du système nerveux, des conséquences particulièrement importantes, dans la mesure où l’encéphale est compris dans une boîte osseuse inextensible. Tout gonflement du cerveau, de ce fait, ajoutera aux suites directes de la maladie qui l’a fait naître un facteur de compression cérébrale, réalisant une hypertension intracrânienne dont les conséquences peuvent, en elles-mêmes, être dramatiques, aussi bien sur le plan vital que fonctionnel (« engagement » du tronc cérébral dans le canal rachidien, perturbations circulatoires, atrophie du nerf optique dus à l’hyperpression).

Le traitement de l’œdème cérébral fait appel en cas d’urgence à des solutés hypertoniques (mannitol, urée, etc.) et surtout aux corticoïdes ou à l’A. C. T. H. La fréquence d’une réaction œdémateuse dans les lésions cérébrales, quelles qu’elles soient, rend compte de la large utilisation de cette thérapeutique dans les affections aiguës du système nerveux.

• L’œdème aigu du poumon. Il s’agit d’une urgence médicale due à l’exsudation plasmatique dans les alvéoles pulmonaires, qui provoque une asphyxie douloureuse avec expectoration mousseuse (v. poumon).

J.-C. Le P. et J. E.

 J. Fabre, les Œdèmes. Physiopathologie et traitement de la rétention de sel et d’eau (Masson, 1959). / L. Bakay et J. C. Lee, Cerebral Œdema (Springfield, Illinois, 1965).

Œdipe

En gr. Oidipous, héros de la légende grecque.


Parmi les ombres qu’Ulysse évoque au chant XI de l’Odyssée se trouve celle de « la belle Epicaste », la mère et l’épouse d’Œdipe, dont Homère raconte brièvement l’histoire : sans le savoir, le héros a tué son père, Laïos, et épousé sa mère ; les dieux, sans tarder, révèlent aux hommes le double crime auquel l’a condamné son destin ; Epicaste se pend de désespoir ; Œdipe continue de régner à Thèbes jusqu’à la fin de sa vie, exemple remarquable de cette vérité, selon les Grecs, qui veut que nul ne puisse échapper à sa destinée. Cette légende a inspiré maintes œuvres, entre autres les épopées de Cinéthon, l’Œdipodie (viiie s.), et d’Antimaque, la Thébaïde (ve s.) [une autre Thébaïde était attribuée à Homère], une trilogie d’Eschyle, une tragédie d’Euripide ; tous ces textes sont perdus, et, pour nous, le mythe d’Œdipe est représenté par les deux tragédies de Sophocle. L’oracle de Delphes ayant prédit au roi de Thèbes, Laïos, que de son union avec Jocaste — tel est désormais le nom de la mère d’Œdipe — naîtrait un fils qui tuerait son père et épouserait sa mère, le roi confie le nouveau-né à des serviteurs pour qu’ils le mettent à mort ; ceux-ci l’exposent sur le Cithéron, où il est recueilli par des bergers du roi de Corinthe, Polybe ; celui-ci adopte l’enfant, qu’on nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-Enflés », parce qu’il avait eu les pieds percés lors de l’exposition. Plus tard, allant à Delphes consulter Phoibos sur le mystère de sa naissance, Œdipe rencontre un vieillard monté sur un char, qui, avec sa troupe, lui barre la route ; il le tue — et c’était son père. Arrivé devant Thèbes, il devine l’énigme du Sphinx, devient roi de la cité et épouse la veuve de Laïos, sa mère.

Il existe des variantes à ce récit, et la fin d’Œdipe n’est pas la même chez tous les auteurs. L’histoire d’Œdipe a une fortune extraordinaire le jour où, grâce à Freud, de mythe elle est devenue « complexe ». Les interprétations les plus récentes sont celle de Marie Delcourt, qui voit en elle la légende du Conquérant, et celle de Claude Lévi-Strauss, qui, au chapitre xi de son Anthropologie structurale, la rapproche d’un mythe bororo et y découvre un mythe de l’autochtonie.

Ce qui nous retiendra ici, c’est sa fortune au théâtre. Le mythe d’Œdipe est, par excellence, le mythe tragique — et Freud nous permet aujourd’hui de mieux comprendre pourquoi. Il est la tragédie même, et l’analyse qu’Aristote fait de la tragédie se fonde principalement sur Œdipe roi. Aussi bien, l’essence du mythe réside-t-elle dans cette culpabilité première d’Œdipe, qui, à la fois, est à la source de la morale et lui échappe, puisque, pour une morale rationalisée, Œdipe est innocent. Ce problème tragique des rapports de la responsabilité et de la fatalité est au cœur des deux pièces de Sophocle. Dans Œdipe roi, joué sans doute un peu après 430 av. J.-C., la responsabilité d’Œdipe est adroitement atténuée, bien qu’entièrement assumée par le héros : de là la pitié ; la terreur saisit les spectateurs quand ils voient Œdipe mener contre lui-même l’enquête : le coupable sera l’enquêteur lui-même. Pressé de connaître la cause de la peste qui ravage Thèbes, Œdipe, qui, d’abord, refuse de croire le devin Tirésias, apprend enfin son double crime, indiciblement affreux — et l’on comprend pourquoi Sophocle, avec une insistance qui a choqué le « goût », met en lumière la subversion des rapports de parenté par l’inceste le plus interdit qui fut jamais. Jocaste se pend, et — invention probablement du tragique — Œdipe se crève les yeux avec les agrafes d’or de Jocaste. Tragédie de l’aveuglement et de la lucidité, de la fatalité et de la responsabilité. Mais, située au moment de la rationalisation du mythe, la tragédie grecque dépasse ce moment même et élabore la notion de justice. Ainsi, dans Œdipe à Colone, joué en 401, un peu après la mort de Sophocle, justice est rendue au héros, qui ne fit pas le mal volontairement. Né dans le dème de Colone, près d’Athènes, Sophocle a voulu y faire mourir Œdipe, devenu héros tutélaire. Contraint à l’exil, Œdipe a erré longtemps, conduit par sa fille (et sœur) Antigone ; voici le moment de mourir ; Thésée, le roi d’Athènes, accueille Œdipe et assiste à la mort mystérieuse et surnaturelle du héros, qui protégera désormais l’Attique, cependant que sa légende se prolonge dans celle d’Antigone et de ses deux frères maudits, Étéocle et Polynice.