Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ockeghem (Johannes) (suite)

À partir de 1452, sa carrière se déroule sans interruption à la cour du roi de France. Il y restera presque jusqu’à sa mort — c’est-à-dire pendant quarante-cinq ans —, gravissant peu à peu les charges (chantre, premier chapelain) jusqu’à ce qu’il parvienne à la plus honorifique et la plus enviée, celle de « maistre de la chapelle de chant du roy nostre sire ». Il sert ainsi successivement trois rois de France : Charles VII, Louis XI et Charles VIII. Il reçoit en outre du roi la charge lucrative de trésorier de l’abbaye Saint-Martin de Tours (1459), sans obligation de résidence. Son nom figure aussi dans les registres capitulaires de Notre-Dame de Paris entre 1463 et 1470 ; en 1469, Ockeghem reçoit un canonicat. En 1470, il se rend de Tours en Espagne ; en 1484, il séjourne en Flandre : sa présence est attestée à Bruges et à Damme. Son nom disparaît des comptes royaux à partir de février 1496. Quand Ockeghem meurt, en 1497, sa disparition est ressentie comme un vide difficile à combler. Si les complaintes des poètes Guillaume Crétin, Jean Molinet et Érasme sentent un peu l’hommage officiel, il est impossible de ne pas croire à une douleur authentique en écoutant la musique composée par son plus illustre élève, Josquin Des* Prés, sur l’un des deux textes de Molinet : Nymphes des bois.

Il se dégage de l’ensemble de l’œuvre d’Ockeghem un sentiment de sérieux et de profondeur qui explique l’intérêt tout particulier porté par ce compositeur à l’expression du sentiment religieux. Certes, comme ses contemporains, il a œuvré aussi dans le genre de la chanson (le plus souvent à trois voix) ; mais, s’il arrive qu’elle soit légère ou joyeuse (T’sat en meskin, l’Antre d’antan, à quatre), le plus souvent elle reste grave, comme le support poétique choisi. Son inspiration, volontiers mélancolique, se complaît dans les demi-teintes et préfère chanter la peine : D’un autre amer, Ma bouche rit et ma pensée pleure ou encore l’épitaphe de Binchois Mort tu as navré de ton dart.

Le motet semble mieux convenir à Ockeghem, surtout lorsqu’il lui permet d’exprimer sa piété filiale envers la mère de Dieu. Six, en effet, des neuf motets conservés sont des prières à la Vierge ; ce sont, pour la plupart, de libres paraphrases du plain-chant (Alma Redemptoris Mater, deux Salve Regina) où se remarquent déjà — en plus de l’habileté dans l’utilisation du cantus firmus — des procédés que Josquin fera siens : réduction momentanée du nombre des voix par suppression de la voix inférieure, alternance des duos entre voix supérieures et voix graves. L’attribution à Ockeghem du motet à 36 voix — quadruple canon à neuf parties — reste douteuse.

C’est la messe qui offre à Ockeghem un cadre à sa mesure : une quinzaine ont été conservées, où se manifeste une puissante personnalité. Certaines sont construites sur un cantus firmus religieux (deux seulement : Caput et Ecce ancilla Domini à 4 voix) ou profane (cinq, dont Au travail suis, l’Homme armé, à 4 voix) ou sont sans teneur empruntée (les messes à 3 voix Sine nomine et Quinti toni) ; d’autres présentent un intérêt particulier dans le domaine de la virtuosité d’écriture (Prolationum ou Cujusvis toni). Mais toutes font preuve d’une même puissance de lyrisme, d’un même souci de variété, d’un même génie de l’organisation.

B. G.

 M. Brenet, Jean de Ockeghem maître de la chapelle des rois Charles VII et Louis XI (Soc. de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1893). / A. Pirro, Histoire de la musique de la fin du xive siècle à la fin du xvie (Laurens, 1940).

O’Connell (Daniel)

Homme politique irlandais (près de Cahirciveen, comté de Kerry, 1775 - Gênes 1847).


Daniel O’Connell appartient à une vieille famille de petite noblesse irlandaise, qui vit retirée sur ses terres depuis le xviie s. et qui est une véritable pépinière de prêtres et d’officiers (l’un des oncles de Daniel devient général dans l’armée française). Pour achever ses études, il est envoyé (1791-1793) aux collèges catholiques anglais de Saint-Omer et de Douai. L’expérience de la Révolution française le marque pour toujours : son conservatisme social en est renforcé, ainsi que son horreur pour la violence. O’Connell se prépare alors à Londres au métier d’avocat. En 1798, il s’inscrit au barreau irlandais, où il s’impose tout de suite par ses capacités professionnelles. Grâce à ce succès, il dispose d’un revenu confortable. Il lit alors beaucoup, en particulier les philosophes français et anglais des lumières, Paine, Bentham, ce qui expliquera le caractère double et parfois contradictoire de son action : socialement conservatrice, politiquement avancée. Figure influente du catholicisme, libéral européen, radical sur le plan de la pensée politique et des droits des nationalités, il n’en reste pas moins un propriétaire profondément attaché à l’ordre social. S’il utilise le levier démocratique pour sa stratégie patriotique, il n’est nullement démocrate.

En 1800, l’Acte d’union a intégré l’Irlande dans le « Royaume-Uni », mais sans accorder en contrepartie des droits civils et politiques aux catholiques, qui, pourtant, forment les quatre cinquièmes de la population. O’Connell se lance dans une action au sein du Comité catholique pour obtenir l’émancipation complète. Refusant les demi-mesures, bousculant les modérés, qui sont prêts à faire des concessions au gouvernement britannique (par exemple un droit de veto sur les nominations épiscopales), il fait rejeter les propositions de compromis, même quand elles ont reçu, comme en 1814, l’agrément pontifical. Comme l’espoir de l’émancipation paraît plus lointain que jamais, il prend une initiative décisive en créant en 1823 une organisation de masse, l’Association catholique. Cette stratégie offensive s’appuie sur les deux forces principales de la société irlandaise : le clergé et la paysannerie. En les mobilisant pour la cause nationale (alors que, jusque-là, l’action restait cantonnée dans le milieu restreint de la bourgeoisie et de la noblesse catholique), O’Connell déclenche un mouvement d’agitation. En même temps, il inaugure une tactique de groupe de pression agissant sur l’opinion par de grandes campagnes démocratiques, tactique qui va servir de modèle à bien d’autres mouvements politiques, nationaux ou sociaux du xixe s. D’abord restreinte dans son recrutement, l’Association catholique s’ouvre à tous à partir de 1824 au moyen d’un système de cotisation (baptisée rent) fixée à un taux très bas (1 penny par mois). Grâce à ces revenus réguliers, qui lui donnent une solide assise financière, grâce au nombre et à la discipline des adhérents, grâce aussi à une organisation présente dans chaque paroisse, la campagne pour l’émancipation prend une ampleur de plus en plus considérable dans un climat d’union et de confiance. En face de cette propagande, le gouvernement britannique de Wellington et de Peel se montre hésitant. Pour emporter la décision, O’Connell procède à un acte d’audace. Bien qu’inéligible comme catholique, il se présente à une élection partielle dans le comté de Clare en 1828 et est triomphalement élu. Alors, le ministère à Londres cède, et la loi sur l’émancipation des catholiques est votée en 1829 (cependant, le cens électoral est considérablement relevé, ce qui fait perdre le droit de vote à la majorité des catholiques au moment même où ils allaient l’obtenir grâce à l’émancipation).