Ockeghem (Johannes) (suite)
À partir de 1452, sa carrière se déroule sans interruption à la cour du roi de France. Il y restera presque jusqu’à sa mort — c’est-à-dire pendant quarante-cinq ans —, gravissant peu à peu les charges (chantre, premier chapelain) jusqu’à ce qu’il parvienne à la plus honorifique et la plus enviée, celle de « maistre de la chapelle de chant du roy nostre sire ». Il sert ainsi successivement trois rois de France : Charles VII, Louis XI et Charles VIII. Il reçoit en outre du roi la charge lucrative de trésorier de l’abbaye Saint-Martin de Tours (1459), sans obligation de résidence. Son nom figure aussi dans les registres capitulaires de Notre-Dame de Paris entre 1463 et 1470 ; en 1469, Ockeghem reçoit un canonicat. En 1470, il se rend de Tours en Espagne ; en 1484, il séjourne en Flandre : sa présence est attestée à Bruges et à Damme. Son nom disparaît des comptes royaux à partir de février 1496. Quand Ockeghem meurt, en 1497, sa disparition est ressentie comme un vide difficile à combler. Si les complaintes des poètes Guillaume Crétin, Jean Molinet et Érasme sentent un peu l’hommage officiel, il est impossible de ne pas croire à une douleur authentique en écoutant la musique composée par son plus illustre élève, Josquin Des* Prés, sur l’un des deux textes de Molinet : Nymphes des bois.
Il se dégage de l’ensemble de l’œuvre d’Ockeghem un sentiment de sérieux et de profondeur qui explique l’intérêt tout particulier porté par ce compositeur à l’expression du sentiment religieux. Certes, comme ses contemporains, il a œuvré aussi dans le genre de la chanson (le plus souvent à trois voix) ; mais, s’il arrive qu’elle soit légère ou joyeuse (T’sat en meskin, l’Antre d’antan, à quatre), le plus souvent elle reste grave, comme le support poétique choisi. Son inspiration, volontiers mélancolique, se complaît dans les demi-teintes et préfère chanter la peine : D’un autre amer, Ma bouche rit et ma pensée pleure ou encore l’épitaphe de Binchois Mort tu as navré de ton dart.
Le motet semble mieux convenir à Ockeghem, surtout lorsqu’il lui permet d’exprimer sa piété filiale envers la mère de Dieu. Six, en effet, des neuf motets conservés sont des prières à la Vierge ; ce sont, pour la plupart, de libres paraphrases du plain-chant (Alma Redemptoris Mater, deux Salve Regina) où se remarquent déjà — en plus de l’habileté dans l’utilisation du cantus firmus — des procédés que Josquin fera siens : réduction momentanée du nombre des voix par suppression de la voix inférieure, alternance des duos entre voix supérieures et voix graves. L’attribution à Ockeghem du motet à 36 voix — quadruple canon à neuf parties — reste douteuse.
C’est la messe qui offre à Ockeghem un cadre à sa mesure : une quinzaine ont été conservées, où se manifeste une puissante personnalité. Certaines sont construites sur un cantus firmus religieux (deux seulement : Caput et Ecce ancilla Domini à 4 voix) ou profane (cinq, dont Au travail suis, l’Homme armé, à 4 voix) ou sont sans teneur empruntée (les messes à 3 voix Sine nomine et Quinti toni) ; d’autres présentent un intérêt particulier dans le domaine de la virtuosité d’écriture (Prolationum ou Cujusvis toni). Mais toutes font preuve d’une même puissance de lyrisme, d’un même souci de variété, d’un même génie de l’organisation.
B. G.
M. Brenet, Jean de Ockeghem maître de la chapelle des rois Charles VII et Louis XI (Soc. de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1893). / A. Pirro, Histoire de la musique de la fin du xive siècle à la fin du xvie (Laurens, 1940).