Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Océanie (suite)

Chaque archipel a acquis un style particulier pour sculpter ses divinités dans le bois. La statuaire naturaliste de Mangareva est une exception. Chez les Maoris, et mis à part les perches et les pieux sculptés, les dieux sont gravés en bas-reliefs et ciselés comme le sont les autres productions artistiques de la Nouvelle-Zélande. Aux îles Cook, la sculpture des têtes rappelle celle des tikis marquisiens : la prédominance est donnée aux yeux et à la bouche, rigoureusement stylisés, mais, ici, le nez n’est pas autrement marqué que par l’arête longitudinale de la figurine, latéralement aplatie. Certaines des sculptures supportent de petits bas-reliefs sur la poitrine, qui seraient les enfants du dieu représenté. Il en est de même pour une célèbre statue provenant de Rurutu (îles Australes), aujourd’hui au British Museum, à Londres. Elle représente le premier géniteur de l’île et ses descendants, qui sont sculptés un peu partout à la surface de son corps ; mais la statue est creuse et contient vingt-quatre autres petites figurines aussi stylisées que l’ensemble extérieurement visible. La ronde-bosse caractérise également la sculpture hawaiienne, qui exagère jusqu’à la violence formes et attitudes. Ici, le dieu de la Guerre, d’allure effrayante, était façonné à partir d’un mannequin d’osier recouvert de plumes. Également étranges sont les statues de bois de l’île de Pâques. Les artistes ont su utiliser les formes tourmentées des branches d’arbres de leur île, toujours battue par le vent, pour rendre les attitudes corporelles plus souples que dans l’art des Marquises, ancêtre probable du leur. Si les statuettes féminines sont relativement schématiques, les statuettes mâles sont caractérisées par un réalisme outré. La maigreur des visages et la mise en relief des côtes ont été interprétées diversement. Des ethnologues voient dans ces corps décharnés l’image funèbre de l’ancêtre. D’autres pensent que les vivants pouvaient bien avoir un peu de cet aspect dans une île où la famine était fréquente.

Sauf aux îles Marquises et à l’île de Pâques, la sculpture de la pierre était plus rare que la sculpture du bois. Les statues géantes de l’ancienne Rapa Nui (île de Pâques), taillées dans un tuf volcanique facile à travailler et hautes d’une dizaine de mètres représentent le tronc massif d’un homme dont la tête, anormalement allongée par rapport à l’ensemble, était souvent surmontée d’un cylindre de tuf rouge. Les oreilles sont longues ; un front bas domine le creux symbolique des yeux et la naissance d’un nez long et épaté. La bouche, fermée, est marquée par des lèvres très minces et qui font saillie au-dessus des dépressions mentonnière et sous-nasale. On s’accorde pour trouver à ces visages une expression hautaine et pensive. Le tiki marquisien, présent sur les objets mobiliers et les poteaux de bois plantés dans les zones d’habitat, fut aussi sculpté dans la pierre. Ces statues, souvent hautes de 4 m, gardaient les plates-formes lithiques réservées aux manifestations socio-religieuses. Elles sont massives : la tête, sans cou, s’enfonce dans la ligne des épaules. La figure est réduite à deux grands yeux globuleux et écartés, aux ailes du nez très développées et à une bouche ovale qui remplit tout le bas du visage. Si les muscles pectoraux sont parfois très marqués, le reste du corps est simplifié au maximum. L’ensemble donne une impression de mystère et de puissance. L’artiste marquisien semble avoir mal dominé l’art de la ronde-bosse : ses sculptures sont surtout des gravures sur plans discontinus, et l’on a pu écrire qu’il a œuvré « sous la vision d’un monde à deux dimensions » (M. Leenhardt). Cette plastique serait ainsi moins évoluée que celle de l’Afrique, qui modèle si bien les volumes. Il semble, en fait, non pas que cet art polynésien soit paralysé par la seule ressource des deux dimensions, mais plutôt qu’il soit à la recherche d’un monde à plus de trois dimensions.

En Océanie, les seuls grands bâtisseurs d’édifices lithiques, hormis les Micronésiens des îles Mariannes, étaient les Polynésiens, et surtout ceux de la Polynésie orientale, qui construisaient des monuments destinés aux cérémonies religieuses. Aux îles Marquises, il s’agit de terrasses surtout remarquables par la grande dimension et l’appareillage des pierres mises en œuvre. Les anciens ahu de l’île de Pâques sont également simples dans leur aspect : terrasse et cour pavée. Les statues géantes alignées sur ces édifices étaient destinées, selon les Pascuans des époques ultérieures, à les embellir. Bien qu’elles aient été renversées au cours des luttes intérieures des xviiie et xixe s., l’ensemble est en effet très majestueux, mais il est probable que ces statues avaient aussi pour fonction de matérialiser certains ancêtres. En Polynésie centrale, et surtout aux îles de la Société, les monuments religieux, appelés ici marae, sont de formes plus complexes, les uns construits en moellons, les autres en pierres ouvragées. Ils comportent une cour pavée, enclose ou non d’un mur ou surélevée, une plate-forme en pierre, élevée à l’une de ses extrémités, des pierres dressées (sièges des êtres immatériels appelés à participer aux cérémonies) et diverses constructions annexes. Le plus grand de ces marae, construit à Tahiti peu avant l’arrivée des premiers navigateurs européens et aujourd’hui presque entièrement détruit, comportait un ahu haut de 17 m et formé de onze gradins superposés comme une pyramide à degrés. Certains de ces monuments ont été restaurés. Dans les forêts de montagnes maintenant inhabitées, ils retrouvent leur aspect solennel des anciens temps. Leur beauté, cependant, ne peut plus être totalement appréciée. Jadis et à l’occasion des fêtes religieuses, ils étaient entièrement décorés de palmes tressées, de fleurs, de tapa. On y voyait des planches et des poteaux sculptés, d’admirables tambours gravés et des constructions comme celle qui abritait la grande pirogue cérémonielle. Il faudrait enfin pouvoir imaginer les participants, leurs vêtements et leurs parures.