Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Océanie (suite)

Les arts de l’Océanie

Depuis un siècle, en Occident, l’art moderne cherche à figurer l’univers sensible en se libérant des connaissances acquises pour expérimenter l’intuition et devenir, par rapport à l’art classique, ce que la musique peut être par rapport à la littérature. La découverte des arts dits « primitifs » n’est pas étrangère à ce mouvement. Cependant, ce qui n’est ici qu’expérience de quelques-uns était, en Océanie, l’activité nécessaire à tout un monde.

L’art océanien dépasse en effet la simple création artistique. C’est un moyen intuitif de connaissance, mais qui permet de prendre conscience du monde et d’y vivre. Créer l’objet est donner vie à un intermédiaire entre l’homme et l’inconnu. Cette création permet aussi de prendre part à l’organisation du monde et de contrôler sa cohésion. L’art est encore une écriture qui, dans le choix des signes et de leur groupement, permet de traduire le mythe et de le vivifier, de donner personnalité et cohérence aux individus et aux groupes. Telle danse ou telle musique, tel masque ou telle peinture corporelle rendront possibles la transformation temporaire de cette personnalité ou le dialogue avec l’invisible. Ce qui est créé n’a de durée que celle de sa fonction, permanente ou momentanée : tel jeu de ficelle ou tel dessin sur le sable n’aura vie qu’un instant.

L’art océanien reste très méconnu. La musique (les Maoris fabriquaient d’admirables flûtes en bois, en pierre ou en ivoire), les danses et les jeux anciens, la littérature orale ne peuvent encore être sérieusement étudiés que dans quelques rares lieux du Pacifique occidental. L’influence des cultures européennes a modifié les techniques traditionnelles et fait disparaître presque partout les anciens mobiles de création. Les premiers Européens ont négligé l’étude de ces traditions. Beaucoup de missionnaires condamnèrent à la destruction les productions du « paganisme ». Des informations orales, des objets ont été recueillis par des voyageurs amateurs de curiosités exotiques. Leur interprétation et leur choix étaient ceux d’Européens vivant l’époque du romantisme, d’Européens aussi qui, encore plus qu’aujourd’hui, considéraient leur propre civilisation comme le seul destin de ces humanités différentes, attardées sur le chemin de révolution culturelle. L’étude scientifique de l’art océanien, de ses techniques, de sa valeur sémantique est donc des plus difficiles encore aujourd’hui.

Arts et techniques en Australie

Comme ailleurs en Océanie et sinon davantage, l’art australien est avant tout social et religieux. Les motifs décoratifs sont la propriété personnelle des clans et des individus, dont ils sont des symboles. Toute réalisation esthétique a une signification mythique. La durée n’est pas l’essentiel, mais bien plus l’acte créateur, qui n’est pas différent, dans son intention, de l’acte mimé ou chanté au cours des manifestations rituelles. Telle gravure rupestre sera évidemment pérenne, telle peinture pariétale sera en partie repeinte ou complétée à l’occasion de nouveaux rites, mais on peint aussi sur le sol. Naturalistes ou symboliques, ces œuvres reflètent la complexité et l’abstraction de la pensée sociale et religieuse des aborigènes.

Seul le nord de l’Australie semble avoir reçu l’influence de la Nouvelle-Guinée voisine : poteaux funéraires anthropomorphes, masques, crânes peints, etc. Cette influence concerne le décor ou l’objet, mais non sa signification religieuse. Ailleurs, il ne s’agit que de peindre et de sculpter des surfaces. Les gravures rupestres et pariétales sont obtenues par piquetage, ou par incision lorsque la roche est peu résistante. La grotte la plus ancienne connue, ainsi ornée, celle de Koonalda, au sud de l’Australie, était occupée il y a vingt mille ans. La paroi décorée est à 200 m de l’entrée de la grotte.

Le bois était gravé à l’aide d’un outillage lithique très évolué. Certaines lames à retouches bifaciales, utilisées comme pointes, ont l’élégance des plus belles pièces néolithiques du monde occidental. Après l’arrivée des Européens, les aborigènes utilisèrent, pour façonner ces pointes, la porcelaine des isolateurs électriques et les tessons de bouteille. Les outils ainsi obtenus par retouches rasantes, denticulés, sont d’une rare beauté.

Pour les peintures corporelles ou autres, les colorants utilisés sont principalement le noir de manganèse ou la poudre de charbon de bois, l’argile blanche et les ocres. Ils sont fixés à l’aide de blanc d’œuf, de sèves ou de cire d’abeille. On peint avec le doigt ou à l’aide d’un pinceau rudimentaire obtenu en mâchonnant l’extrémité d’un morceau de bois. On souffle également les colorants par la bouche pour obtenir l’image négative d’objets comme le boomerang ou celle d’une main ou d’un pied. Les œuvres figuratives représentent des personnages en action, des kangourous, l’émeu avec ou sans ses œufs, des chiens, ou simplement l’empreinte de leurs pas, des poissons et souvent le grand serpent de la mythologie australienne. Parfois squelette et viscères apparaissent « en transparence ». On passe insensiblement de la stylisation des formes au schématisme le plus abstrait.

L’art immobilier concerne les parois des cavernes et des abris-sous-roche, et, en plein air, les rochers à surface relativement plane, les troncs d’arbre partiellement écorcés et les panneaux d’écorce utilisés pour construire des abris. Tous les objets usuels sont décorés (boucliers, boomerangs, javelots et propulseurs), mais également les objets rituels, tels les rhombes ou les plaques de pierre ou de bois gravées de spirales, les churingas, ou tjuringa, d’où émanent les germes de la procréation. Encore vivant, l’art de l’Australie du Nord, comme celui des Highlands néo-guinéens, est l’un des rares arts dits « primitifs » qui peuvent encore être étudiés autrement que du seul point de vue de l’esthétique.

J. G.