Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Océanie (suite)

Jusqu’à une époque récente, le développement des terres océaniennes était entravé par l’isolement et l’éloignement des grands centres économiques. Il fallait deux mois de navigation pour gagner la Nouvelle-Calédonie ou la Nouvelle-Zélande, situées aux antipodes de l’Europe. L’essor des transports aériens bouleverse la vie de cette partie du monde. L’Australie a un réseau aérien intérieur extraordinairement dense par rapport à sa population ; les archipels sont reliés entre eux et communiquent avec le reste du monde par des lignes aériennes de plus en plus nombreuses. Toute île dotée d’un aérodrome moderne entre rapidement dans l’orbite de la civilisation matérielle moderne. Il reste encore quelques terres tranquilles, difficiles à atteindre par le voyageur pressé, mais leur nombre diminue de plus en plus. Le tourisme envahit certains archipels : 2 millions de personnes visitent chaque année les seules îles Hawaii. Il faut espérer que cette évolution ne fera pas disparaître sous une uniformité déprimante l’extraordinaire diversité actuelle des îles océaniennes.

A. H. de L.

➙ Australie / Fidji / Hawaii / Honolulu / Mélanésie / Micronésie / Nouvelle-Calédonie / Nouvelles-Hébrides / Nouvelle-Zélande / Polynésie / Polynésie française / Salomon (îles) / Samoa occidentales / Tahiti.

 F. Doumenge, l’Homme dans le Pacifique Sud (Soc. des Océanistes, 1966). / A. Huetz de Lemps, Géographie de l’Océanie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1966 ; 2e éd., 1974). / A. Guilcher, l’Océanie (P. U. F., coll. « Magellan », 1969).


L’ethnologie de l’Océanie


L’origine du peuplement


L’ancien monde australo-insulindien

Il y a plusieurs centaines de millénaires, l’Archanthropien vivait en Insulinde, tel le Pithécanthrope de Java. L’abaissement du niveau des mers aux périodes glaciaires permettait le passage à pied sec vers des régions ordinairement insulaires. À la dernière glaciation, celle de Würm, les Hominiens atteignirent même la Nouvelle-Guinée et l’Australie, alors réunies par un pont terrestre. L’existence d’un Paléanthropien en Australie reste un problème, mais la présence des Néanthropiens depuis plus de trente mille ans y est aujourd’hui certaine. Vivant de la pêche, de la chasse et de la cueillette, ces hommes utilisaient un outillage grossier, taillé sur éclat ou sur nucléus, ignoraient le biface, mais polissaient le tranchant d’un outil qui ressemblait à une lame d’herminette. Vingt mille ans plus tard, l’apparition du chien et d’un outillage lithique plus élaboré atteste les relations qui unissaient encore l’Australie et l’Asie. Puis l’élévation post-würmienne du niveau des mers isola la Nouvelle-Guinée de l’Australie et celle-ci de la Tasmanie. L’invention de la pirogue à balancier ne permettra qu’après plusieurs millénaires l’arrivée de nouvelles cultures asiatiques sur les rivages de la Nouvelle-Guinée, puis dans les îles océaniennes encore inconnues des hommes. Bien que régulièrement visitée, l’Australie du Nord ne modifia pas son système primitif d’économie. Les Tasmaniens restèrent isolés du monde jusqu’à l’arrivée des Européens.


Les ancêtres asiatiques

En se fondant sur l’étude de leur aspect physique, on a distingué parmi les Océaniens ceux de race mongoloïde ou à composante blanche (Micronésiens et Polynésiens) et ceux de race négroïde (Mélanésiens). On expliquait par des métissages les nuances observées aux frontières de ces trois régions ethniques et du monde asiatique. C’était attribuer trop de permanence aux caractères physiques et négliger, chez des peuples en mouvement, la nécessaire adaptation, favorable ou défavorable, à des milieux naturels souvent très différents. C’était également minimiser les conséquences des métissages dans toute l’étendue du Pacifique occidental et pendant plus de trois millénaires. Il serait vain, pour ces raisons, de rechercher en Asie et par ces mêmes méthodes anthropologiques l’origine géographique précise de chacune des composantes raciales du monde océanien, d’autant plus que ces mêmes facteurs de variabilité avaient probablement déjà exercé leur influence sur les anciens « mélanoïdes » et « mongoloïdes » asiatiques. Seules l’étude des profils hématologiques de ces populations et la mise en évidence de certains « gènes marqueurs » pourraient permettre, avec plus de sûreté, d’essayer de préciser des distances de parentés entre ces différents groupes humains d’Asie et d’Océanie.

La linguistique, pas plus que l’anthropologie physique, ne peut permettre de localiser avec précision en Asie l’origine des Océaniens et d’établir la chronologie et les étapes de leur colonisation du Pacifique. On sait seulement que les langues océaniennes sont très diversifiées en Mélanésie occidentale, plus simples et homogènes lorsque l’on s’éloigne vers l’est. Au nord, les langues micronésiennes seraient apparentées à celles de Taiwan (T’ai-wan) et au khmer classique autant qu’à celles de la Polynésie occidentale. Toutes, sauf les langues papoues et australiennes, sont dérivées d’une même souche linguistique, l’austronésien, dont on retrouve les rameaux depuis l’Asie méridionale jusqu’à Madagascar à l’ouest et l’île de Pâques à l’est. Le japonais comprendrait également certains éléments austronésiens.

La préhistoire du Sud-Est asiatique a été, jusqu’à ces dernières années, considérée comme à l’image de la préhistoire classique : succession des cultures paléolithiques, mésolithiques ou épipaléolithiques et néolithiques. On a trop écrit sur cette « révolution » néolithique qui, depuis l’Inde et la Chine, aurait transformé cette région du monde vers le IIe ou le IIIe millénaire avant notre ère. Ce concept de « Néolithique » et cette notion de diffusionnisme sont ici encore plus impropres qu’ailleurs. Il est en effet certain que le Sud-Est asiatique a connu une évolution originale : apparition très ancienne des lames à tranchant poli (cet outillage est daté du XXe millénaire en Australie) et, plus récemment, lente élaboration d’un mode de subsistance fondé sur l’élevage et l’horticulture. Cette région tropicale offrait à l’homme une exceptionnelle variété de plantes utiles. Tout en poursuivant son activité de cueillette, celui-ci sut diriger et améliorer la croissance de certaines d’entre elles, et notamment celle du taro et de l’igname. Les céréales apparurent ensuite : le coix, le millet puis le riz, ces deux dernières étant probablement originaires de la Chine du Sud. L’ancienne horticulture sur brûlis se maintint dans certaines régions montagneuses du Sud-Est asiatique, mais la riziculture prit ailleurs une place prépondérante. Le monde océanien, tout proche, l’ignora cependant et conserva son héritage horticole tout en l’améliorant. Il n’était donc plus en contact avec l’Asie méridionale quand la riziculture devint, ici, la principale ressource en produits végétaux. En ce qui concerne le peuplement hors de la Chine continentale, la seule datation actuellement connue est celle d’un site de Taiwan (T’ai-wan) : 2500 environ avant notre ère. Elle s’accorde avec d’autres résultats obtenus par les archéologues dans le Pacifique occidental. L’archipel des Salomon était peuplé dès l’an 2000, et tout le Pacifique occidental à la fin du IIe millénaire avant notre ère. Polynésiens et Mélanésiens coexistèrent plus ou moins étroitement au centre de cette région et pendant toute cette période ancienne. Les civilisations polynésiennes, telles que les Européens les découvrirent, ne s’étaient différenciées de cet ancien monde mélano-polynésien qu’au cours du Ier millénaire avant notre ère, dans l’archipel des Tonga et aux Samoa. Certains pensent, aujourd’hui, que les Polynésiens, peuple de la mer, avaient alors déjà appris des Mélanésiens les techniques de l’horticulture et que ce complément de ressources leur permit de coloniser le reste des îles du Pacifique encore inhabitées. En Polynésie occidentale, les îles Samoa furent peuplées dans les tout débuts de l’ère chrétienne. Vers la fin du ive s., les Polynésiens gagnèrent la Polynésie centrale et, de là, peuplèrent tout le Pacifique oriental. Leur relatif et récent isolement explique l’apparente homogénéité des caractères physiques, linguistiques et culturels de ces Polynésiens orientaux. Ce déplacement d’ouest en est apparaît aujourd’hui certain, et l’on ne croit plus à l’ancienne théorie qui supposait que les Polynésiens étaient des Amérindiens. Quelques-uns d’entre eux ont pu, cependant, visiter les côtes occidentales de l’Amérique et en rapporter la patate douce. Les traditions font état de telles expéditions, et la patate douce semble bien originaire de ce continent. L’ancienne notion de grandes vagues migratrices est également abandonnée. D’une part, ces voyages de découverte, volontaires ou involontaires, étaient fréquents et, à chaque fois, le fait de quelques pirogues seulement. D’autre part, il serait impossible d’en tracer les directions et les étapes successives ou définitives sur une carte du Pacifique. En effet, ces voyages tissaient des réseaux de relations interinsulaires dont l’extension et la durée variaient, et qui, chacun, se modifiaient peu à peu.