Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Novgorod (suite)

Devenue vassale de la grande principauté de Kiev, résidence, vers 970, de Vladimir Ier le Grand, fils cadet du prince de Kiev Sviatoslav, Novgorod ne renonce au paganisme que sous la contrainte, à la suite du baptême, vers 988, de ce même Vladimir, devenu entre-temps prince de Kiev. La ville, qui est le siège de l’unique diocèse fondé peu après dans le nord de la Russie et qui s’orne bientôt de nombreux monastères et églises, apparaît dès lors comme une ville typiquement slave (ou, à la rigueur, finnoise), mais nullement scandinave dans son cadre matériel : les maisons et les rues sont construites et pavées en madriers empilés (quatre à cinq pavages par siècle) reposant sur des fondations constituées de deux ou trois couches de troncs d’arbre disposés en longueur ; la céramique est de fabrication purement locale ; les objets d’importation nordique sont très rares.

Par ailleurs, dès le xie s., le slave et les caractères cyrilliques sont d’un usage quotidien dans les documents écrits. Enfin, les institutions apparaissent purement slaves. Apanage du fils aîné du prince de Kiev en fait depuis les origines, dotée d’une charte en 997 par Iaroslav, Novgorod est administrée en réalité par des gouverneurs (possadnik) qui représentent le prince non résident. Tentant de se rendre indépendant avec l’appui de la population locale, l’un d’eux est exécuté en 1016, et ses successeurs, nommés par les princes, doivent faire face à de violentes révoltes, notamment en 1068 et en 1118-1120. Finalement, celle de 1136 permet à l’aristocratie novgorodienne, formée de patriciens, d’artisans et de petits marchands, de transférer au vetche la réalité du pouvoir et d’acquérir ainsi son indépendance vis-à-vis de Kiev. Assemblée des chefs de famille où toutes les catégories de la population sont représentées, mais que dominent les boyards (propriétaires fermiers) et les marchands, le vetche désigne à la fois le gouverneur civil (possadnik), le gouverneur militaire (tyssiatski), investi de pouvoirs judiciaires, et, à partir de 1156, l’êvêque, arbitre naturel entre les factions. Réduit à la condition de salarié, bientôt choisi en dehors de la famille des Riourikovitch et contraint à prêter serment de fidélité au « Grand Souverain Novgorod », affaibli enfin par la révolution de 1209, le prince disparaît définitivement en 1270.

Bien qu’elle contrôle Pskov et Ladoga, et fonde des colonies, telles Viatka et Vologda, la république de Novgorod est en fait un colosse aux pieds d’argile. Elle est peuplée en 1016 de 4 000 hommes adultes, ce qui suppose une population de 10 000 à 15 000 âmes, qui sera portée à 20 000 ou 30 000 au xiiie s. Cela est considérable pour une ville qui ne contrôle que des terres incultes de Pskov à Ladoga. Aussi Novgorod se trouve-t-elle totalement à la merci de l’État souzdalien, par où transite le blé nécessaire à son ravitaillement. Certain de pouvoir la réduire ainsi à la famine et, par là même, à la sujétion, le prince de Vladimir-Souzdal André Bogolioubski (1157-1174) la contraint, en 1169-70, à nommer ses protégés aux postes de kniaz et de possadnik. Plus exigeant, son successeur, Vsevolod Iourevitch (1176-1212), lui impose même son fils aîné, Konstantin, comme prince. Enfin, en 1242, Alexandre Nevski lui impose même un tribut pour prix de la victoire remportée par lui sur les chevaliers Porte-Glaive, qui menacent l’indépendance de Novgorod. Menacée de tomber définitivement dans la dépendance de l’État souzdalien, la république cherche à l’ouest des alliances de contrepoids, qui la font alors tomber au milieu du xiiie s. sous la dépendance économique de la Hanse germanique.

N’ayant, en fait, qu’une influence très effacée sur les institutions et sur la culture novgorodiennes en raison de leur faiblesse numérique et de leur inaptitude à s’adapter à des civilisations étrangères, « les Varègues, marchands et mercenaires de leur profession [...] » (Lucien Musset), ont eu le mérite d’éveiller Novgorod au commerce international en lui faisant prendre conscience de la valeur exceptionnelle de sa situation géographique de carrefour de voies fluviales, qui assurent dès le ixe s. l’essor d’un commerce direct entre Scandinaves et Arabes. Mais, en fait et grâce surtout au Peterhof, comptoir de la Hanse germanique fondé au début du xiiie s., Novgorod devient au Moyen Âge le grand centre de redistribution vers l’Orient des produits de l’agriculture et de l’élevage de la Russie : cire, cuirs, chanvre, lin, oiseaux de chasse des pays de la Dvina occidentale (Düna) et de la Volga, blé du Sud, poissons salés de la Caspienne et de la mer Noire, enfin fourrures, premier article d’exportation à partir du milieu du xive s. (peaux d’écureuil que les Hanséates, les Anglais et les Hollandais achètent massivement, et, en moins grand nombre, fourrures de luxe [hermine, martre, belette, zibeline], complétées au xive s. par les peaux de loup, d’ours, de loutre et de lièvre). En échange et jusqu’au développement d’une industrie textile indigène, Novgorod importe d’Occident, par l’intermédiaire de la Hanse, des draps de luxe (écarlates de Flandre et d’Italie) et plus encore des tissus courants (draps de Poperinge et, depuis la fin du xie s., draps allemands et anglais ; subsidiairement, elle lui achète du sel et des métaux précieux pour stimuler ses échanges commerciaux : or sous forme de monnaies étrangères qui ne circulent pas dans le pays et argent d’Europe centrale destiné au monnayage.

Novgorod, menacée par la politique expansionniste des princes de Moscou, s’allie aux Polonais. En vain. En 1456, Basile (Vassili) II lui impose un tribut ; en 1478, Ivan III annexe ses immenses possessions et ferme en 1494 le Peterhof, ce qui scelle le déclin de son commerce. Ainsi, les marchands n’y reviennent plus. Seul l’éclat de la civilisation intellectuelle et artistique de Novgorod témoignent désormais de l’antique splendeur de cette ville, où l’influence de Byzance se marque dans les Chroniques, qui y ont été élaborées aux xe et xie s., dans l’architecture, qui s’y est épanouie dès le xie s., dans la peinture, célèbre par ses fresques et par l’école d’icônes fondée par Théophane le Grec (v. 1350 - v. 1410), qui s’y établit vers 1370, dans les œuvres érudites de Pacôme le Logothète (1400-1485) et de Nil de la Sora (1433-1508). Mais, en annexant la ville par ruse en 1523, en ruinant ses boyards en 1570 par crainte du parti lituanien, Basile III et Ivan IV font de Novgorod une ville secondaire, dont les dernières tentatives pour maintenir des contacts économiques avec l’Occident sont brisées par les guerres qui se déroulent aux confins baltiques de la Russie à la fin du xviie s. et surtout par la fondation, en 1703, de Saint-Pétersbourg, qui accapare désormais à son profit exclusif les contacts avec l’Occident.