Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Araignées (suite)

Sans doute guidé par l’odorat, le mâle s’approche de la femelle et se livre à des manœuvres prolongées destinées, semble-t-il, à s’assurer que l’état physiologique de l’élue correspond au sien et qu’elle ne le considérera pas comme une vulgaire proie. Ces attitudes, appelées parfois danses prénuptiales, sont d’une variété incroyable : chez les Dysdères, le mâle caresse la femelle ; chez la Filistate, la communication s’établit par tiraillements des fils de la toile, sur laquelle le mâle ne s’engage qu’après avoir perçu une invitation de la femelle ; les Hyptiotes tendent un fil et vont sur lui à la rencontre l’un de l’autre ; les mâles des Salticidés exécutent des mouvements complexes du corps et des pattes, tandis que la femelle reste impassible ; chez Pisaura mirabilis, le mâle apporte à la femelle une proie fraîchement capturée et emballée de soie ; celui des Mygales maçonnes n’éprouve pas de difficultés à découvrir le terrier de la femelle et à en soulever l’opercule ; chez Atypus, le mâle déchire le tube de soie qui émerge du terrier de la femelle pour la rejoindre.

De toute manière, il arrive un moment où les réactions naturelles d’agressivité de la femelle disparaissent, ce qui permet l’accouplement proprement dit ; selon les cas, les deux partenaires se font face (Mygales), ou le mâle se tient plus ou moins complètement sous la femelle (Néphiles), ou encore sur son dos (Salticidés, Lycoses). Il introduit alternativement l’extrémité de ses bulbes génitaux dans les orifices d’accouplement ou, à leur défaut, dans l’orifice femelle, et les spermatozoïdes se déversent dans les spermathèques ; ils y resteront jusqu’à la fécondation, qui n’a lieu qu’à la ponte des œufs.

Puis, brusquement, le mâle s’éloigne ; le moindre retard risque de lui être fatal, sa compagne momentanée n’hésitant pas à le saisir et à s’en repaître, comme on l’a observé chez les Lycoses, les Linyphies et les Latrodectes.


Le cocon, l’éclosion et la dispersion des jeunes

Une femelle pond en général 25 à 50 œufs, mais Hyptiotes n’en produit que 7 ou 8, alors que chez les Epeires on a pu en compter un millier. Sauf chez Pholcus, où les œufs sont simplement agglutinés, la ponte est enfermée dans un cocon de soie ; une femelle fait d’un à cinq cocons à intervalles variés.

Un certain nombre d’Araignées abandonnent les œufs après avoir fixé le cocon sur une plante (Argiope), dans une feuille enroulée (Misumena), ou l’avoir suspendu dans l’air à un fil (Theridiosoma). Mais bien d’autres conservent la ponte près d’elles ou la transportent dans leurs déplacements : les Thomises restent sous une pierre, sans manger, le cocon entre les pattes ; les Clubionides construisent une coque où elle restent avec leurs œufs ; Atypus les garde dans son terrier, que les jeunes ne quitteront qu’au bout de plusieurs mois ; l’Argyronète laisse son cocon dans sa cloche immergée. Une curieuse construction est celle de Spilasma artifex du Venezuela : au-dessus de sa toile horizontale, il suspend à une branche un abri conique ouvert en bas et portant un prolongement qui se rabat comme un couvercle ; l’Araignée y fixe ses œufs, et, lorsqu’en cas de danger elle s’enferme dans son cornet, sa ponte se trouve également protégée.

Diverses Araignées transportent leur ponte avec elles : ainsi Pholcus la porte dans les chélicères, Heteropoda sous le ventre, les Lycoses et les Pardoses au bout de l’abdomen.

Certaines mères conservent près d’elles leur progéniture plus ou moins longtemps après l’éclosion. Lorsque le moment de la sortie des jeunes approche, la femelle de Pisaura mirabilis place son cocon sur une branche, l’entoure d’une enveloppe soyeuse grosse comme une prune, où les petits resteront quelque temps, surveillés de l’extérieur par la mère. Chez Nemesia, les jeunes restent dans le terrier maternel, puis s’en échappent un par un, et le dernier restant est déjà d’une belle taille. Le cas des Lycoses est célèbre depuis la description qu’en a faite J. H. Fabre. Dès l’éclosion, les jeunes grimpent sur le dos de la mère et y restent plusieurs semaines sans manger. La femelle ne s’inquiète guère de ceux qui tombent : à eux de remonter par leurs propres moyens. Elle accepte une nichée supplémentaire et même le remplacement de ses propres enfants par ceux d’une autre femelle. De tels faits montrent les limites des relations mère-jeunes, et, lorsqu’on parle d’instinct maternel chez les Araignées, il ne faudrait pas l’assimiler à celui que nous connaissons chez les Vertébrés supérieurs.

De toute manière, les soins aux jeunes, pour curieux qu’ils apparaissent, ne représentent que des cas particuliers chez les Araignées ; en règle générale, les nouveau-nés, anatomiquement inachevés, restent quelque temps dans le cocon et mènent une vie grégaire ; lorsque après une mue ils s’échappent du cocon, leur comportement change : ils se dispersent et, pour le reste de leur vie, ils manifesteront un net individualisme.

Les Araignées vivent-elles longtemps ?

Pour beaucoup la longévité n’atteint pas un an : les jeunes Épeires éclosent au printemps, deviennent adultes à la fin de l’été et meurent après la ponte, en abandonnant le cocon. Les espèces qui surveillent les œufs jusqu’à la dispersion des jeunes vivent un peu plus d’un an. On cite des cas de longévité plus élevée : quatre ans chez une Filistate, sept ans chez un Atypus ; on a de bonnes raisons de croire qu’une grande Mygale peut dépasser vingt ans. Dans tous les cas, les mâles vivent moins longtemps que les femelles.


Araignées sociales

Cependant, on connaît quelques formes tropicales (Amérique, Afrique, Inde, Australie) chez lesquelles persiste une véritable vie communautaire. Theridion socialis, d’Amérique du Sud, construit un nid sphérique atteignant un mètre de diamètre, où cohabitent des centaines d’individus. Une Épeire sociale des mêmes régions en fait autant ; la nuit, chacune sort, file une toile-piège, et rentre le matin dans le nid commun. Uloborus republicanus construit un abri central où l’on trouve d’abord les mâles et les femelles, puis les femelles surveillant chacune son cocon ; autour, installées sur une charpente commune, des toiles géométriques sont construites par d’autres individus de la société. Au Mexique, Cœnothele gregaris vit dans une grosse boule de soie, par centaines d’individus ; les indigènes emportent parfois ces colonies, les installent chez eux, où elles débarrasseront des mouches, à condition de les humecter régulièrement.

Ces quelques exemples n’épuisent pas tous les cas de vie sociale connus chez les Araignées. S’ajoutant aux manifestations souvent étonnantes du comportement citées précédemment, ils montrent que, par leur biologie, ces animaux encore trop partiellement connus ne méritent pas le discrédit dont ils sont souvent les innocentes victimes.

M. D.