Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Novalis (suite)

La voie nouvelle de Novalis, conforme à la nouvelle sagesse, fut celle des sciences de la nature, et plus particulièrement de la géologie, qu’il vint étudier à l’école des mines de Freiberg, en Saxe, en 1798. Novalis y suivit l’enseignement du plus fameux géologue romantique, Abraham Gottlob Werner (1750-1817), qui lui révéla les ressources infinies de la connaissance des minéraux et ce que l’on pourrait appeler le langage des métaux, avec leurs affinités, leurs aptitudes aux transformations et aux alliages. Avec l’étude des cristaux et, plus encore, avec celle des phénomènes électriques, dont l’exploration commençait alors, il découvrit des champs d’hypothèses sans limite et très favorables à la recherche des analogies entre les ordres de la nature, de tous les liens mystérieux de sympathie qui existent entre les êtres, apparemment inanimés, mais qui portent en eux le souvenir ou l’espérance d’un rapport avec l’esprit. À Iéna, il suivit les expériences de Johann Wilhelm Ritter (1776-1810), physicien inspiré et philosophe de la nature, premier « électricien » de son temps, qui découvrit l’existence des rayons ultraviolets et construisit une « colonne galvanique sèche » qui était un accumulateur électrique. Homme d’intuitions géniales, Ritter demeura ignoré pour avoir présenté ses travaux dans un langage philosophique méprisé des savants, mais qui enthousiasma Novalis et lui inspira le plan d’une encyclopédie d’un genre nouveau. Les connaissances y auraient été classées d’après les relations profondes entre les domaines du savoir comme entre les ordres de phénomènes.

Après l’été de 1795, c’est l’année 1799 qui représenta le deuxième bonheur dans la vie de Novalis, celui de l’amitié, de la poésie partagée, du « banquet philosophique » : il avait retrouvé à Iéna Friedrich Schlegel et il y rencontra grâce à lui Ludwig Tieck. À eux trois, ils constituèrent le groupe d’Iéna, qui représenta le plus brillant moment de la poésie romantique allemande ; « ce furent de belles journées, écrivit Ludwig Tieck, que nous passâmes alors en compagnie de Schlegel, de Schelling et de quelques autres amis ». Novalis s’y montrait joyeux et affable, bon cavalier et brillant causeur. Promis à une mort prochaine, il était l’inverse d’un héros mélancolique. Il était même si bien dans la vie qu’il se fiança une seconde fois, avec Julie von Charpentier. À ceux qui s’en sont étonnés, Tieck a répondu : « Sophie demeura cependant, on le voit bien dans ses œuvres, le pôle de ses pensées. Morte, il la vénérait peut-être plus encore que de son vivant ; pourtant il pensait avoir le droit, dans une certaine mesure, de compenser sa perte par la compagnie de la beauté. » Peu après cette décision, Novalis tombait malade. Toute l’année 1800 se passa en alternances d’espoir et de rechute. La phtisie emporta Novalis le 25 mars 1801.

En 1802 paraissait, par les soins de Ludwig Tieck, Heinrich von Ofterdingen (Henri d’Ofterdingen), roman inachevé, principale œuvre en prose de Novalis, qu’il avait lui-même définie comme l’« apothéose de la poésie ». Dans la première partie, Ofterdingen reçoit sa formation de poète, dans la seconde, la poésie le transfigure. Seule la première partie a été décrite et conçue par son auteur comme une réplique au Wilhelm Meister de Goethe, que Novalis admirait, mais qu’il trouvait trop « économique », le long itinéraire de Wilhelm ne le menant qu’à choisir une vie utile, certes, mais seulement utile et bien peu poétique. C’est dans les premières pages de ce roman qu’est le rêve le plus fameux de tous les contes romantiques, celui de la fleur bleue, qui attire irrésistiblement le jeune homme, car sa corolle entoure un visage de jeune fille, mais qui s’évanouit aussitôt qu’il essaye de s’en approcher. Tel qu’il est, ce « roman de formation » ressemble plus à une suite de contes qu’à l’histoire d’une jeunesse parmi les hommes.

Les Chants spirituels (Geistliche Lieder) de Novalis sont d’un croyant serein, pour qui la louange du Créateur est comme le langage naturel de la Création. La foi de Novalis, disciple du piétiste Nikolaus Ludwig von Zinzendorf (1700-1760), l’attirance exercée sur lui par la beauté des offices l’ont amené tout près du catholicisme. L’Église catholique avait aussi à ses yeux le mérite unique d’être universelle ; elle seulement demeurait d’un univers autrefois uni et aujourd’hui disloqué. Novalis a fait l’éloge de cette unité dans son fragment sur l’Europe médiévale, la Chrétienté ou l’Europe (Die Christenheit oder Europa, 1799).

Avant cette apologie de la chrétienté médiévale, il avait composé en 1797, sous le titre de Foi et Amour (Glauben und Liebe), une célébration en prose du couple royal de Prusse : Frédéric-Guillaume III, qui venait de monter sur le trône, et la toute jeune reine Louise, incarnant l’esprit universaliste du siècle précédent, fécondé par la foi et la poésie.

Poète et visionnaire, mêlant la réflexion à l’utopie, Novalis a laissé un grand nombre de fragments, groupés pour une part sous le titre de Graines de pollen (Blüttenstaub, publié en 1798 dans Athenäum), et aussi un petit traité de la nouvelle connaissance, en forme d’histoire philosophique, intitulé les Disciples à Saïs (Die Lehrlinge zu Saïs). Composées en 1798, ces pages groupent des méditations et des dialogues autour de l’initiation à la connaissance de la nature, dans le temple de Saïs en Égypte. On y voit les hommes de science pure s’efforcer en vain de connaître, car, à l’esprit géométrique, il faut ajouter l’intuition, l’esprit de poésie, que seuls transmettent les grands maîtres. Eux seuls révèlent les harmonies cachées et entendent « la musique intérieure de la Nature ».

P. G.

 A. G. Tournoux, la Langue de Novalis (Robbe, Lille, 1920). / R. Huch, les Romantiques allemands (Grasset, 1933). / A. Béguin, l’Âme romantique et le rêve (Cahiers du Sud, 1937 ; nouv. éd., Corti, 1974). / M. Besset, Novalis et la pensée mystique (Aubier, 1947). / F. Hiebel, Novalis (Berne, 1951). / M. Colleville, Étude sur l’œuvre et la pensée de Novalis, « Heinrich von Ofterdingen » (C. D. U., 1957). / P. Garnier, Novalis (Seghers, 1962).