Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Nouvel Empire (suite)

Aménophis II, qui succède à son père en 1450 av. J.-C., maintient énergiquement cette œuvre admirable. Il réprime implacablement deux révoltes du Retenou, remontant jusqu’à Ougarit et Kadesh. Et le roi du Mitanni, Shaushtatar, signe alors avec lui un traité de « fraternité et de paix », lui laissant tous les territoires situés au sud de l’Oronte, avec l’Amourrou et Kadesh. Mettant fin à ce long duel d’influences mitanno-égyptien, la puissance mitannienne s’incline.


L’Empire pacifique

Succession sans histoire de père à fils, aucune mention de campagne asiatique, quelques rares expéditions répressives en Nubie : la dynastie égyptienne est ferme sous Thoutmosis IV et Aménophis III (de 1425 à 1372 av. J.-C.), et l’Empire pacifique vit aisément, comblé de ses richesses.

Le développement des relations internationales entraîne alors la naissance d’une diplomatie nouvelle, qui se substitue aux entreprises guerrières. Les alliances défensives se multiplient (avec le Mitanni, Babylone) ; elles sont soutenues par des mariages politiques : Thoutmosis IV en inaugure la tradition en faisant d’une princesse mitannienne, Moutemouia, mère du futur Aménophis III, la grande épouse royale. (Une Indo-Européenne, pour la première fois, s’allie à une dynastie sémitique, où la consanguinité est d’usage.) Aménophis III épouse la sœur, puis la fille du roi de Babylone, une fille du prince d’Arzawa, etc. Ces mariages ont aussi l’avantage de dégager la monarchie de l’emprise du clergé d’Amon (à l’influence duquel Hatshepsout a trop cédé). Des accords financiers scellent les ententes ; le roi d’Égypte est le grand prêteur d’or de son temps : il prête à « ses frères », les rois du Mitanni, de Babylone, d’Assyrie, du Hatti — activité financière qui lui vaut un prestige considérable. Fait isolé, semble-t-il, un traité commercial (exemptant des droits de douanes) lie Thèbes et le royaume d’Alasia (Chypre). Entre les Cours, des ambassadeurs circulent, chargés de missions courtoises ou politiques ; un protocole de formules et d’usages naît alors, la langue officielle étant l’akkadien (langue des villes du pays d’Akkad, dont Babylone est devenue la métropole).

La cour de Thèbes est le centre vers lequel convergent toutes les entreprises économiques et politiques de l’Orient, ainsi que la résidence d’une société aimable et aisée. Temples, palais et villas luxueuses s’étendent sur les rives du Nil : sur la rive droite, à Karnak, se dresse le grand temple d’Amon-Rê, puis, à quelques kilomètres en amont, celui qui fut bâti à Louqsor par Aménophis III et dont la cour est ornée d’élégantes colonnes aux boutons de lotus. En face, sur la rive gauche du fleuve (peut-être pour s’éloigner ainsi des clercs de Karnak), s’élève le palais de ce souverain, à Malpata, au sud de Médinet Habou (où Ramsès III fera construire le sien) — relié par une chaussée à son temple funéraire (situé à 2 km au sud-ouest) et que seules dénoncent encore actuellement, à la lisière d’un champ, les statues royales dites « colosses de Memnon ». En son palais, le monarque reçoit, récompense, administre — aidé désormais de deux vizirs, l’un résidant à Thèbes, l’autre à Héliopolis... Au plus profond de la campagne, en bordure du désert dans la montagne de l’Occident, s’étend le site sauvage et se creusent les tombes en hypogée de la Vallée des Rois.

Dignitaires palatins et nobles familles résident en de confortables villas, ceintes de parcs, ombragées de sycomores et d’accacias. Au centre de la villa, dans un étang, fleuri de nénuphars, s’ébattent poissons et oiseaux ; au-dessus du sous-sol (aménagé en magasins), se trouve l’étage d’habitation (salle de réception pourvue de divans, appartements privés au plus profond, parfois encore sis dans un étage supérieur) ; les plus riches maisons comportent des salles d’eau. Banquets parfumés de lotus, belles que l’on pare et que l’on sert, corps souples et graciles aux longues tuniques transparentes de lin pur, diadèmes floraux, bijoux de perles rares, jeux, musiques et danses : les peintures des tombes témoignent encore de ce monde léger, facile, disparu et qui a laissé des traces nostalgiques.

Le fleuve est le lieu d’une vie animée. Ce sont les parties de chasse et de pêche menées dans les marais des rives, cependant qu’arrivent les navires apportant en la capitale les tributs du vaste Empire : lourds cargos phéniciens, voiliers cypriotes, crétois et égéens (qui avaient relâché dans l’île de Pharos, à l’ouest du Delta, où le génial Thoutmosis III avait déjà jeté les bases du premier port maritime de l’Égypte), transporteurs à fond plat, qui remontent le Nil depuis Napata, Ouadi-Halfa, Abou-Simbel. On échange des marchandises de tous les pays : des Syriens créent les premières banques de dépôt. Égypte joyeuse, indolente et comblée. Empire pacifique.

L’Empire est menacé par une rupture de l’équilibre international. À ce moment, en effet, la situation du Mitanni est très affaiblie à la suite d’une scission dynastique. Par contre, le roi Souppilouliouma, du Hatti, a su donner à son pays une position dominante en Asie, et son armée représente désormais une force considérable ; il cherche donc à s’ouvrir les voies du trafic international vers la mer et vers l’Euphrate. Il entre en campagne, envahit le Mitanni et conquiert Washouganni, puis, au sud, se rend maître de toute la Syrie jusqu’à l’Oronte. Aménophis III, appelé à l’aide par ses alliés mitanniens et ses vassaux syriens, pacifique et vieilli, temporise. L’ordre s’effondre en Syrie ; le roi de Babylone, préoccupé de la sécurité de ses marchands, recherche l’alliance hittite. Une grave menace se lève contre l’empire thébain, qui poursuit une politique opportuniste (ultime « manœuvre » : Aménophis III demande la main d’une princesse mitannienne...).

En 1372 av. J.-C., sa mort laisse le pouvoir à son jeune fils, Aménophis IV*, né de la reine Tii (phénicienne ? égyptienne ?). Élevé dans le milieu thébain, enfant mystique, le jeune prince est surtout préoccupé d’idéal religieux ; en l’an 4 de son règne (soutenu dans son œuvre par son épouse Nefertiti, la princesse mitannienne demandée par son père), il instaure le culte unique du disque solaire Aton, frappe d’interdit tous les autres cultes, supprime la classe sacerdotale et, sous le nom d’Akhenaton (« Celui qui est agréable à Aton »), règne en sa nouvelle capitale, sise à Amarna*. C’est le terme d’une évolution suivie de la pensée religieuse et d’une résistance politique à un certain cléricalisme ainsi que le désir, peut-être, de créer autour du culte solaire un lien idéologique entre les pays de l’Empire.