Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Normands (suite)

Fondant dès le viiie s., sinon même dès le viie, sur la rive orientale de la Baltique, des comptoirs de traite dont le plus ancien est celui de Grobina en Courlande, gagnant par ailleurs le lac Ladoga par les relais des îles Åland et le littoral du sud-ouest de la Finlande et du nord-ouest de l’Estonie, les Suédois (Svears et Goths) entreprennent la traversée du continent du nord au sud. Utilisant la barque monoxyle des Slaves, associant habilement navigation fluviale et portage sur la ligne de partage des eaux par où les fleuves divergent vers la Baltique, la Caspienne et la mer Noire, les Varègues suédois, par l’itinéraire Volkhov-Volga d’abord, par l’axe Dvina-Dniepr ensuite, atteignent la mer d’Azov en 839, le Bosphore en 860, le Tabaristan vers 864-884. Ainsi sont assurés les contacts du monde scandinave avec les mondes slave, byzantin et musulman.

En fait, seuls les premiers sont relativement étroits. Enrôlés comme soldats professionnels, les Varègues suédois s’approprient en effet le pouvoir dans les villes slaves (tel Novgorod), où ils fondent des dynasties princières. L’une d’elles, celle des Riourikovitch de Kiev, qui survit jusqu’au xvie s., parvient même à les unifier en un grand-duché et à lancer leurs forces contre Constantinople, notamment en 860 et en 941.

Ne parvenant pas à s’emparer de la capitale impériale, ils se contentent alors d’y constituer les cadres d’une « garde varangienne », que le basileus utilise au xe et au xie s. contre leurs frères normands établis en Sicile et en Italie du Sud.

Plus ténus encore, les contacts entre Scandinaves et musulmans se nouent aux confins méridionaux de la Caspienne et de l’Ouzbékistan et ne semblent avoir eu qu’une importance commerciale, d’ailleurs considérable, ainsi que l’attestent de très nombreux dirhems iraniens découverts en Suède. Mais, par là même, les Varègues suédois parachèvent l’unification économique d’une Europe scandinave au sein de laquelle les relations commerciales se nouent en quelques lieux privilégiés, situés sur la route ouest-est Quentowic-Dorestad-Staraïa Ladoga : Haithabu (Hedeby), où confluent, entre 804 et les années 1050, les apports de l’Occident atlantique et du monde baltique ; Birka, où s’échangent entre 830 (apogée) et la seconde moitié du xe s. la verrerie et les lainages de l’Occident contre les soieries chinoises et byzantines et les bronzes iraniens ; Kaupang Skiringssal et Vendila enfin, centres particuliers du trafic anglo-scandinave.


Détente et consolidation (xe s.)

Essoufflées par plus d’un siècle d’opérations offensives, les invasions normandes s’interrompent approximativement entre 930 et 980, ce qui permet en particulier aux souverains anglo-saxons du Wessex de reconquérir l’East-Anglia en 917, les Cinq Bourgs en 942, et d’assujettir à son protectorat le royaume d’York en 954, peu après que le Carolingien Louis IV d’Outre-mer eut manqué de reconquérir la Normandie à la suite de l’assassinat de Guillaume Ier Longue-Épée en 942.

De cette accalmie, les causes sont à la fois économiques (substitution en Scandinavie d’une économie monétaire à un commerce de traite) et religieuses (adoption du christianisme par les rois de Dublin Sitric [Sigtrygg] et Olav Kvaran, qui meurent baptisés en 926 et en 981 ; par les rois d’York, par les ducs de Normandie et surtout vers 960 par les rois de Danemark et de Norvège Harald Blåtand [à la Dent bleue] et Haakon Ier le Bon). Mais elles sont encore plus politiques : la paix est une condition indispensable à la lente mise en place de monarchies héréditaires en Norvège par Harald Ier Hårfager (à la Belle Chevelure) [872-933], unificateur du pays, et au Danemark par Gorm l’Ancien et par ses fils et petits-fils Harald à la Dent bleue (v. 940 - v. 986) et Sven (Svend Ier) Tveskaegg (à la Barbe fourchue) [v. 986-1014]. Il faut en effet du temps pour contrôler l’aristocratie anarchique qui régnait au ixe s. et pour doter les nouveaux royaumes d’armées puissantes, disciplinées et efficacement entraînées dans des camps fortifiés circulaires dont les plus importants ont été découverts au Danemark, dans l’île de Sjaelland et à Aggersborg au nord du Jylland et en Suède, à Trälleborg.


La seconde vague migratoire (fin du xe s. - milieu du xie s.)

Plus brève, plus localisée, mais mieux connue que la première grâce à une plus grande abondance de documents, cette seconde vague de migrations n’affecte que faiblement l’Europe orientale, où les Varègues suédois se contentent d’alimenter en mercenaires les principautés de Novgorod et de Kiev ou la garde varangienne de Constantinople après l’échec vers 1040 de l’expédition du chef upplandais Ingvar Vittfarne, victime de la peste, alors qu’à travers la Russie celui-ci se dirige vers l’Asie musulmane. Plus dispersée, la poussée norvégienne s’exerce en vain en Irlande, où elle est définitivement brisée à Clontarf par les autochtones en 1014, en Gaule, où elle ne se marque que par quelques opérations de piraterie littorale entre Loire et Gironde en 1000, 1014 et 1018, en Espagne enfin, où elle anime les raids de 968 contre Saint-Jacques-de-Compostelle, de 966 et de 971 contre le califat omeyyade de Cordoue et de 1013 contre la côte des Asturies. Par contre, à l’ouest, franchissant les solitudes atlantiques à partir de l’Islande, l’invasion des Norvégiens permet la découverte en 981 et la colonisation humaine et pastorale à partir de 985 par Erik Thorvaldsson (le Rouge) du Groenland occidental, à partir duquel le fils de ce dernier, Leif, découvre le Vinland, cette mystérieuse « terre du Vin » qui est sans doute une portion du littoral oriental du Canada.

En fait, ce sont les Danois qui sont les animateurs et les Anglo-Saxons qui sont les victimes principales de cette seconde phase des invasions normandes à partir de 985. Stimulée par le massacre des Danois par le roi anglo-saxon Æthelraed II le 13 novembre 1002, cette poussée danoise culmine avec l’expédition de Sven, qui chasse ce Æthelraed en Normandie en 1013. Sven contrôle toute l’Angleterre en 1014 et lègue sa conquête à son fils Knud* le Grand, roi d’Angleterre (1016/1017-1035). Maître du Danemark (1018) et bientôt de la Norvège (1028), ce souverain se trouve alors à la tête d’un vaste empire centré sur la mer du Nord, mais qui se disloque à sa mort, lorsqu’un Anglo-Saxon, Édouard le Confesseur, assume de nouveau la royauté anglaise en 1042. En vain les Norvégiens en 1075 et en 1085 et les Danois de Harald III Hårdråde en 1066 tentent-ils de reprendre pied en Angleterre. Vaincus par Harold en 1066 à Stamfordbridge, ces derniers perdent tout espoir de reconquérir l’Angleterre, lorsqu’en 1069 le Danelaw est écrasé par le duc de Normandie Guillaume le Conquérant. Paradoxalement, c’est le plus illustre héritier d’une lignée de princes normands, le seul qui ait réussi à créer hors de Scandinavie un État destiné à durer, qui lui porte le coup fatal. L’aventure normande est-elle finie ? Pas tout à fait pourtant.