Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Noirs des États-Unis (les) (suite)

Aujourd’hui, ce problème concerne les grandes villes beaucoup plus que le Sud. En effet, depuis le début de notre siècle, au cours des deux guerres mondiales et plus encore après 1945, les Noirs sont venus chercher du travail et un peu plus de liberté dans le Nord. D’agriculteurs ils sont devenus, pour une grande partie d’entre eux, ouvriers d’industrie ; la maladie des plants de coton et les inondations ont précipité les départs, tandis que les besoins en main-d’œuvre des industries du Nord s’accroissaient. En 1910, 91 p. 100 de la population noire vivent dans le Sud, 27 p. 100 dans des agglomérations de plus de 2 500 habitants — contre 48 p. 100 pour les Blancs. Dans la décennie qui s’étend de 1910 à 1920, 45 400 Noirs quittent chaque année le Sud ; au cours de la décennie suivante, les déplacements annuels touchent près de 75 000 personnes ; de 1940 à 1950, ils atteignent 160 000 personnes, se maintiennent à peu près dans les dix ans qui suivent et se fixent aux environs de 100 000 après 1960. Vers New York et les métropoles du Nord-Est se dirigent les Noirs des Carolines, de la Virginie, de la Géorgie et de l’Alabama ; vers Chicago et les cités qui bordent le Mississippi, les Noirs du Mississippi, du Tennessee, et de l’Arkansas ; vers Los Angeles et les autres villes de Californie, les Noirs du Texas, de la Louisiane, de l’Arkansas et du Mississippi. Non seulement plus de la moitié des Noirs vivent en dehors des États du Sud, mais 70 p. 100 d’entre eux sont des citadins — contre 64 p. 100 des Blancs. Ils constituent un cinquième de la population de New York, de Pittsburgh ou de Kansas City, un tiers de celle de Chicago, de Philadelphie ou d’Oakland, près de la moitié de celle de Detroit, de Baltimore, de La Nouvelle-Orléans, de Birmingham ou de Richmond, plus de 50 p. 100 de celle de Newark (New Jersey), de Gary (Indiana) ou d’Atlanta, 71 p. 100 de celle de la capitale fédérale. La tendance ne fera que s’accentuer, qui transformera bon nombre de grandes villes en cités à majorité noire.

Comme les immigrants le faisaient avant eux, les Noirs ont tendance à se regrouper dans le même quartier. Faute de revenus suffisants, ils s’installent dans les logements les plus anciens. Locataires ou sous-locataires, ils n’assurent pas l’entretien des immeubles ou des maisons, qui, bien vite, se transforment en taudis (slums), encombrés d’ordures, infestés de rats, dépourvus souvent du confort que l’on juge élémentaire aux États-Unis, toujours loués à des prix proportionnellement plus élevés que ceux des logements des Blancs. S’ils parviennent à atteindre un niveau de vie supérieur, ils éprouvent les plus grandes difficultés à quitter le ghetto : l’intimidation, les menaces, la politique des agents immobiliers les découragent de venir habiter un quartier blanc. Et, s’ils le font malgré tout, les Blancs vendent leurs maisons, et le ghetto s’étend. Tandis que les Blancs se réfugient dans les banlieues, le centre des villes (downtown) est de plus en plus abandonné aux Noirs.

Le niveau de vie des Noirs est plus bas que celui des Blancs ; quand les uns disposent en moyenne de 6 520 dollars par famille et par an, les autres ont un revenu de 10 000 dollars. Près d’un tiers des familles noires de deux personnes au moins vivent dans la pauvreté, contre 8 p. 100 des familles blanches ; l’aide publique, le welfare, joue dans les ghettos un rôle primordial. Ce dénuement s’explique d’abord par le chômage, deux fois plus élevé chez les Noirs, qui exercent des métiers peu qualifiés, fortement soumis aux variations de la situation économique. Il résulte aussi de la désunion fréquente des familles noires. En 1966, 25 p. 100 d’entre elles — mais de 23 à 32 p. 100 à Cleveland, de 36 à 39 p. 100 à Watts, dans l’agglomération de Los Angeles — étaient, en l’absence du père, à la charge de la mère, qui occupait généralement un emploi fort mal rémunéré et ne pouvait compter que sur un seul salaire pour nourrir ses nombreux enfants.


Des solutions ?

Les Noirs ont-ils échoué, alors que les Italiens, les Irlandais, les Juifs et bien d’autres groupes d’immigrants parvenaient à gravir les marches de la réussite sociale ? En fait, ils sont arrivés dans les grandes cités au moment où les besoins en main-d’œuvre non qualifiée diminuaient considérablement ; ils ont dû aussi assumer un passé très lourd : ni l’esclavage ni la ségrégation ne les ont préparés à la société industrielle et individualiste de notre siècle ; ils se sont souvent heurtés et se heurtent encore à des pratiques discriminatoires. D’ailleurs, deux générations seulement ont connu les conséquences de l’exode rural, alors qu’il a fallu aux Juifs deux ou trois générations, aux Italiens et aux Irlandais trois ou quatre générations pour atteindre leur niveau actuel. Dans les vingt dernières années, les Noirs ont sensiblement amélioré leur sort : la proportion des familles noires disposant d’un revenu annuel inférieur à 3 000 dollars (valeur 1969) s’établissait à 57 p. 100 en 1947, à 40,5 p. 100 en 1960 et tombait à 20 p. 100 en 1969 ; celle des familles disposant de 5 000 à 10 000 dollars passait, pour les mêmes années, de 15 à 29 p. 100, puis à 37 p. 100. Il existe une bourgeoisie noire, composée de médecins, d’avocats, de pasteurs, d’hommes d’affaires, voire d’entrepreneurs de pompes funèbres ; 35 p. 100 des enseignants de Chicago, 39 p. 100 de ceux de Cleveland, 53 p. 100 de ceux de Baltimore, 55 p. 100 de ceux d’Atlanta sont noirs. Depuis 1960, les bureaux, les entreprises industrielles, les sociétés privées tout comme le secteur public ou les universités emploient plus de Noirs. La progression sociale n’est pas impossible.

Pour l’instant, toutefois, les ghettos ressemblent à une « jungle ». Une naissance sur quatre est illégitime, quand ce n’est pas une sur deux. Un drogué sur deux est un Noir. Si le taux de la délinquance juvénile atteint 5,2 p. 100 en 1965 pour l’ensemble de New York, il dépasse 8 et parfois 11 p. 100 dans les quartiers noirs. Des crimes de toutes sortes, du viol à l’assassinat, du cambriolage à l’attaque à main armée, rendent très pénible la vie des centres urbains aussi bien pour les Noirs que pour les Blancs, réduisent gravement les activités de loisir, donnent aux immeubles bourgeois l’apparence de forteresses.