Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

noëls musicaux (suite)

Nicolas Gigault, Nicolas Lebègue, Pierre et Jean-François d’Andrieu, Louis Claude d’Aquin, Michel Corrette comptent parmi les plus célèbres artisans du noël d’orgue, qui atteint son apogée vers 1840 avec Alexandre Pierre François Boëly, dont l’œuvre reprend en grande partie les noëls publiés au Mans et à Paris (1553) par N. Denisot sous l’anagramme du comte d’Alsinois. La paraphrase et la variation sont à la base de ces œuvres d’orgue, qui ont pris un nouvel essor avec le style symphonique des organistes contemporains, après avoir sombré dans une décadence passagère due à l’excessive fantaisie d’instrumentistes comme Claude Balbastre.

Les arrangements de noëls populaires furent en grande faveur aux xviie et xviiie s. Sous le titre de « symphonie », qui désignait alors toute musique instrumentale, les compositeurs en écrivent un grand nombre : ceux de M. A. Charpentier et de M. R. Delalande sont parmi les plus beaux, mais M. Brenet rappelle opportunément qu’« à la chapelle du roi la musique exécutait des noëls pendant la première et la troisième messe de la nuit de Noël », et qu’en 1738 « ce furent Guignon et Guillemain qui les jouèrent ensemble à deux violons ». L’école italienne s’inspira largement de la Nativité ; les « concerto grosso » pour la « nuit de Noël » et les compositions « in forma di pastorale per il santissimo natale » sont assez nombreux dans la période classique, où brillent les noms d’A. Corelli, de F. M. Manfredini, de G. Torelli et de P. A. Locatelli. Bien que relevant d’autres genres musicaux, certains fragments d’oratorios, telles « la Pastorale » du Messie de Händel ou « l’Adoration des bergers » de l’Enfance du Christ de Berlioz, peuvent être considérés comme de véritables noëls enchâssés en des œuvres plus vastes illustrant le mystère de la Nativité.

Cette source d’inspiration, loin d’être tarie, suscite encore l’intérêt des compositeurs modernes, puisque nous devons à Olivier Messiaen les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (piano) et la Nativité du Seigneur (orgue) ; mais ce sont là moins des noëls proprement dits qu’une suite de méditations sur un thème dont l’âme populaire s’est emparée de tout temps et en tout pays pour forger ces chants, tour à tour naïfs, tendres et joyeux, qui évoquent l’aube lumineuse de la nuit rédemptrice.

G. F.

Noirs des États-Unis (les)

Le recensement de 1970 a dénombré 203 millions d’Américains, parmi lesquels figurent 22 672 570 Noirs. La présence de cette minorité raciale pose d’importants problèmes qui s’enracinent dans l’histoire nationale.



Une situation ancienne

Les premiers Noirs ont débarqué en Virginie en 1619. Dès lors, leur nombre n’a cessé d’augmenter : 1 600 en 1640, 236 420 en 1750, 1 771 656 en 1820. En 1860, à la veille de la guerre de Sécession, 4 441 830 Noirs vivent aux États-Unis ; 90 p. 100 d’entre eux sont esclaves dans les États du Sud. Ils sont employés dans les plantations de tabac et de riz, surtout sur les terres à coton de l’Alabama, du Mississippi, de la Louisiane et du Texas. Le prix moyen d’un esclave s’établit à 1 250 dollars en Virginie (quatre fois plus qu’à la fin du xviiie s.) et à 1 800 dollars en Louisiane. Mais l’investissement rapporte d’autant plus que l’entretien de la main-d’œuvre servile ne coûte pas cher, qu’un maître attentif ou un surveillant efficace obtient de bons rendements, que les éleveurs ou les propriétaires d’esclaves ne s’embarrassent d’aucun scrupule pour satisfaire les besoins du trafic ou de la plantation.

Si la Déclaration d’indépendance ne proclame l’égalité qu’entre les Blancs, si la Constitution de 1787 légalise l’esclavage tout en supprimant la traite à partir de 1808, les États du Nord ont aboli graduellement la servitude. Les quakers, puis William Lloyd Garrison (1805-1879), en 1831, ont mis sur pied un mouvement abolitionniste qui réclame l’émancipation dans toute l’Union. L’expansion territoriale des États-Unis à l’ouest du Mississippi renforce l’opposition entre le Sud et le Nord ; des compromis éphémères n’empêchent pas la guerre civile ; la victoire des armées du Nord, en 1865, apporte aux Noirs la liberté.

Émancipés par le treizième amendement, les Noirs reçoivent les droits civiques et politiques avec les quatorzième et quinzième amendements. Les représentants civils et militaires du Nord les aident à s’instruire, à s’intégrer dans la vie politique des anciens États sécessionnistes, à résister à la terreur que fait naître le Ku* Klux Klan. Mais la reconstruction est une période décevante. Peu à peu, de 1870 à 1876, les nordistes abandonnent les Noirs ; les planteurs reprennent le pouvoir dans le Sud. Les anciens esclaves n’ont pas reçu de terres ; ils demeurent dans la dépendance de leurs anciens maîtres : métayers liés par les hypothèques qu’ils ont dû consentir sur la prochaine récolte, rarement fermiers. Écartés au profit des « petits Blancs » des emplois industriels qui se créent alors, pauvres et illettrés, soumis aux maladies des régions subtropicales, ils perdent, par le moyen de subtilités juridiques, leurs droits politiques. Et à l’esclavage succède la ségrégation généralisée. Des lois « Jim Crow » (c’est le surnom que les Blancs du Sud donnent aux Noirs) séparent les deux races dans les transports publics, dans les hôtels, les restaurants, les théâtres et les églises, plus tard dans les cabines téléphoniques, parfois dans les cimetières. En 1896, la Cour suprême légalise la pratique qui s’étend peu après aux bâtiments fédéraux. Les lynchages sont fréquents.

Booker Taliaferro Washington (1856-1915) est le leader noir le plus populaire. Il recommande la patience, accepte provisoirement la ségrégation, encourage ses frères de couleur à acquérir des connaissances techniques et dirige dans ce dessein l’école de Tuskegee dans l’Alabama. Des intellectuels noirs, comme William Edward Burghardt Du Bois (1868-1963), refusent cette modération ; ils entreprennent de combattre par des moyens juridiques les pratiques discriminatoires et fondent, avec des Blancs libéraux, l’Association pour le progrès des gens de couleur (National Association for Advancement of Colored Peoples [NAACP]) en 1909. La victoire n’est acquise qu’un demi-siècle plus tard. Encore a-t-il fallu ajouter aux recours devant les tribunaux le boycottage, les sit-in, des marches de protestation. Néanmoins, l’esclavage et la ségrégation ont laissé des traces profondes aussi bien dans la communauté blanche que dans la société noire ; et la disparition officielle de la ségrégation n’a pas fait disparaître le problème noir, qui a pris d’autres formes.