Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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noblesse (suite)

L’aîné n’est pourtant pas automatiquement le bénéficiaire de cette dévolution prioritaire de biens qui constituent le support économique indispensable à l’accomplissement total des services d’ost ou de conseil, services indivisibles par nature. Cette dévolution peut, en effet, être réservée à un fils cadet et, à défaut de descendant direct, à un frère ou à un neveu. Pour atténuer le tort causé aux autres héritiers par cette pratique, la coutume admet que ces derniers deviennent les vassaux de leur aîné, vivent « en frérèche » avec lui, tenant ainsi des fiefs « en parage » (Gesamte Hand), notamment en Germanie occidentale au xiie s. Mais, appauvrissant finalement un lignage trop nombreux, ce système est condamné dès 1209 en Île-de-France, et le droit d’aînesse amendé ; le bénéficiaire de ce dernier se voit attribuer dès lors une part prédominante, représentant en général les deux tiers des biens, dont la sauvegarde est encore assurée par la pratique du retrait lignager en cas de mutation de terres, pratique originellement autorisée jusqu’au septième degré, mais finalement limitée à l’aube du xiiie s. aux seuls neveux et cousins germains du défunt.

L’intervention possible d’un seigneur étranger à la famille dans la dévolution des biens nobiliaires entraîne, pour la même raison, et jusqu’au xive s., l’exclusion de l’héritière unique d’un fief ; cette exclusion est systématique en Allemagne tant qu’il existe un homme dans la famille ; elle est limitée en France à l’existence d’un parent de même degré que la bénéficiaire théorique de la succession.


L’évolution de la noblesse au bas Moyen Âge et au début des Temps modernes

L’essor démographique continu qui se produit du xie au xiiie s. entraîne la division incessante des patrimoines et menace d’avilissement la qualité chevaleresque. La noblesse s’allège de tous ceux qui perdent ce qui a été jusque-là la marque extérieure de cette qualité : la possession de la terre et de la seigneurie banale haut justicière, apparue au début du xiie s., et l’adoubement, auquel renoncent à partir de 1235 ou de 1240 de nombreux écuyers peu fortunés. Rejetés dans la catégorie des sergents de seigneurs plus riches et plus puissants qu’eux-mêmes, ces hommes appartiennent peut-être encore à la noblesse, mais ils ne « jouissent [...] sans doute plus de la considération qui s’attache à elle » (Léopold Génicot).

Contrepartie de cette déperdition de substance humaine, qui la scinde socialement en deux groupes, la noblesse se renouvelle, semble-t-il, par diverses voies : l’achat de terres allodiales ou féodales par les détenteurs de la fortune mobilière (bourgeois, patriciens urbains) ou surtout de la fortune foncière ; le service du prince (ou de la ville [Florence, 1260]), d’abord service des armes, qui assure dès 1100-1150 la promotion du groupe des milites au sein de la familia, puis service administratif au bas Moyen Âge grâce à l’exercice de charges supérieures, qui facilitent l’accès à la chevalerie et emportent parfois l’anoblissement ; l’octroi de cette chevalerie, dont le prestige est tel que, dès le xiie s. en France et le xiiie s. dans d’autres régions, le clivage de la société ne s’opère plus en nobiles et en ignobiles, mais en milites et en alii ; un riche mariage, qui rend possibles l’acquisition d’une seigneurie banale et, là aussi, l’obtention de la chevalerie ; enfin, la reconnaissance par les pairs, reconnaissance généralement acquise au bout d’une ou de plusieurs générations.

La naissance n’apparaissant plus, de ce fait, comme le mode fondamental d’acquisition de la noblesse, force est de reconnaître que la diversité des voies par lesquelles celle-ci se renouvelle entraîne sa diversification en de nombreux types différents : noblesse utérine, noblesse de cloche, noblesse de robe, selon qu’elle provient uniquement de la mère, de l’exercice d’une fonction échevinale ou d’une fonction de justice.

Détruite, l’unité de la noblesse ne se reconstitue plus, même si les anoblis acquièrent les privilèges et les préjugés de leur ordre. De plus, si la détention des privilèges souligne la position prééminente de la noblesse dans la société, la soumission aux préjugés maintient ses membres dans une situation d’infériorité économique croissante ; elle les empêche, en effet, de se livrer aux activités mécaniques, commerciales et agricoles, qui entraînent la dérogeance, c’est-à-dire la perte de la noblesse, celle-ci devenant définitive après un siècle ou après deux générations de travail « ignoble ». Sans doute, l’exploitation directe d’une ou de deux charrues de terres est-elle tolérée, mais elle permet tout juste aux nobles ruinés de nourrir leur famille sans espoir d’accroître leur capital ; quant au travail du verre, à l’exploitation des forges et, plus tard, des mines ainsi qu’au commerce de mer, que le roi soustrait pourtant à la sanction de la dérogeance, ils ne sont pratiqués que trop rarement par une noblesse qui lie trop étroitement sa condition sociale au service du roi et plus particulièrement au métier des armes.

Agrégation à la noblesse

Par ce processus, de riches roturiers peuvent accéder à la noblesse sans titre juridique. Débutant par l’achat de biens fonciers, d’une seigneurie et des droits dits « féodaux » qui lui sont attachés, complété par celui d’offices qui n’anoblissent pas, mais qui exemptent de la taille, ce processus est parachevé par l’adjonction au patronyme (qui disparaît bientôt) du nom du village, centre de la seigneurie, par la reconnaissance de la qualité d’écuyer par les hommes de loi locaux, enfin par la renommée publique, qui, au bout de deux ou de plusieurs générations, reconnaît à la famille — dont les origines roturières ont été oubliées — un type de vie noble et, donc, la noblesse à laquelle elle se trouve de facto agrégée.


La diversité de la noblesse à la fin de l’Ancien Régime

La noblesse, qui compte peut-être 300 000 personnes, soit de 1 à 1,5 p. 100 des Français, apparaît alors très hétérogène. Réputés de noblesse « immémoriale », disposant d’une fortune foncière parfois considérable, mais géographiquement dispersée et financièrement obérée par des dépenses très supérieures aux recettes, les Grands, c’est-à-dire les princes du sang, les ducs et pairs ainsi que les hauts prélats, prétendent pourtant contrôler le Conseil du roi et se réserver les postes des gouverneurs de province ainsi que les principaux commandements militaires. Ne comptant que quelques centaines de personnes, n’hésitant pas à se rebeller jusqu’en 1660 contre l’autorité royale sous prétexte de l’éclairer, notamment au temps de la Fronde*, mais manquant de personnalité et trop souvent de savoir et de courage politique, n’échappant enfin à leurs créanciers que grâce aux pensions que le roi n’accorde qu’à ceux qui lui ont été « présentés », ils sont finalement domestiqués à Versailles par Louis XIV, qui fait d’eux les plus illustres de ses 4 000 courtisans.