Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Nicolas Ier (suite)

Tout naturellement, le « tsar de fer » — dont la capacité de travail et d’action est d’ailleurs prodigieuse — va se faire le gendarme de l’Europe des rois menacée par la montée révolutionnaire, et aussi le héraut de la « plus grande Russie », protectrice des chrétiens orthodoxes face à l’Empire ottoman décadent. Après avoir forcé la Porte à donner à la Serbie une autonomie de fait (1826), Nicolas Ier contribue au triomphe de la cause grecque : mais après la victoire de Navarin (1827), ne voulant pas se laisser distancer par les Anglais, il déclare la guerre à la Turquie (1828) et obtient au traité d’Andrinople (1829) les bouches du Danube et une partie du littoral oriental de la mer Noire.

Empêché par le soulèvement polonais de s’intéresser activement aux révolutions française et belge de 1830, le tsar se rapproche de la Prusse et de l’Autriche, renforçant la Sainte-Alliance contre-révolutionnaire (convention de Münchengrätz, 1833), puis il se porte au secours de la Turquie lorsque le Sultan est menacé par l’ambition de Méhémet-Ali* : lors du traité d’Unkiar-Skelessi (1833), il fait fermer aux puissances autres que la Russie l’accès des Détroits ; l’indépendance turque est alors placée sous la garantie de la Russie. Cette politique expansionniste inquiète finalement la Grande-Bretagne, qui, après la seconde incursion de Méhémet-Ali en Turquie, reprend le problème des Détroits et le résout à son avantage (convention de Londres, 1841).

En 1848, lorsque l’Europe est de nouveau soulevée par des mouvements révolutionnaires, la Russie tsariste — seule indemne parmi les grandes puissances — joue à plein son rôle de gardienne de l’ordre établi. Nicolas aide l’Autriche à tenir la Galicie, puis, à la requête du jeune empereur François-Joseph, intervient militairement dans la Hongrie révoltée : la victoire austro-russe de Világos (1849) met fin à la révolution hongroise. L’année suivante, Nicolas Ier contribue largement à la « reculade d’Olmütz » (1850), qui marque la défaite — momentanée — des ambitions prussiennes face à une Autriche soutenue par la Russie.

C’est la protection accordée par la France aux catholiques d’Orient qui, alors qu’il est à son zénith, pousse le tsar vers une guerre dont l’issue lui sera fatale. À la suite d’une querelle avec Napoléon III sur la garde des Lieux saints (1853), Nicolas Ier — qui se pose en protecteur naturel et historique des chrétiens soumis aux Turcs — fait occuper par ses troupes la Moldavie et la Valachie (juin 1853). La France et la Grande-Bretagne étant hostiles à ses vues et à sa politique, le tsar leur déclare la guerre (févr. 1854). S’ensuit l’invasion de la Crimée par les forces franco-anglaises ; la terrible guerre de Crimée se déroule alors. N’ayant pu empêcher les alliés d’assiéger Sébastopol, Nicolas Ier est tellement affecté qu’il néglige de prendre les précautions de santé rendues indispensables par un dur hiver : il meurt d’une pleurésie le 2 mars 1855.

P. P.

➙ Romanov / Russie.

 T. Schiemann, Geschichte Russlands under Kaiser Nikolaus I. (Berlin, 1904-1919 ; 4 vol.). / C. de Grünwald, la Vie de Nicolas Ier (Calmann-Lévy, 1946).

Nicolas II

En russe Nikolaï II Aleksandrovitch (Tsarskoïe Selo, près de Saint-Pétersbourg, 1868 - Iekaterinbourg 1918), dernier tsar de Russie (de 1894 à 1917).


Fils aîné d’Alexandre III* et de Marie Fedorovna (Dagmar de Danemark), Nicolas manifeste très jeune un goût prononcé pour tout ce qui touche à l’armée. D’un naturel timide, il grandit loin des préoccupations politiques, son père et K. P. Pobedonostsev assurant la conduite d’un État dont ils persuadent le tsarévitch qu’il ne peut être gouverné que par un autocrate. Le 26 novembre 1894, Nicolas épouse Alix de Hesse (Aleksandra Fedorovna, 1872-1918), qui lui donnera quatre filles et un fils. Quelques jours avant son mariage, il a succédé à son père, décédé, comme empereur de toutes les Russies (1er nov.) ; il sera couronné à Moscou le 26 mai 1895.


Un autocrate

Son penchant le porte à vivre le plus souvent au sein d’une famille qu’il chérit. Le fossé se creuse entre lui et un peuple russe travaillé par des courants révolutionnaires et de plus en plus marqué par les aspirations et les mutations de la civilisation industrielle. Dominé par son épouse, il laisse celle-ci passer sous la coupe d’un illuminé cynique et débauché, Grigori Iefimovitch Raspoutine (1872-1916), qui finit par imposer son trouble ascendant au couple impérial.

Monté sur le trône des Romanov, Nicolas II proclame sa volonté de faire triompher l’autocratie tsariste face aux « libéraux » et aux révolutionnaires : attitude anachronique et dangereuse en ce début du xxe s. et qui, imparablement, ne peut que conduire aux grandes catastrophes. Suivant aveuglément les conseils de Pobedonostsev, le tsar étend à la Finlande la russification des allogènes. L’épargne française, que le ministre russe des Finances Sergueï Ioulievitch Witte (ou Vitte, 1849-1915) sait habilement et fortement utiliser, permet à la Russie d’entrer résolument dans la voie d’une industrialisation dont l’envers est la paupérisation d’un prolétariat grossissant et qui, sur le plan politique, ne profite pas à une bourgeoisie enrichie avide de participer à la gestion de l’État. Tout naturellement, le mécontentement populaire profite au parti ouvrier social-démocrate de Russie (P. O. S. D. R.), d’inspiration marxiste, né en 1898. Grèves ouvrières et jacqueries paysannes — favorisées par le rachat des terres aux petits paysans et par les famines — se multiplient. La police impériale intervient durement tandis que le terrorisme se développe ; les juifs, victimes de sévices et de pogroms, sont fréquemment les boucs émissaires d’une opinion exaspérée.

La tension atteint son maximum en 1904, après l’assassinat du ministre de l’Intérieur Viatcheslav K. Pleve (ou Plehve) ; bientôt, les premières défaites essuyées par les troupes russes en Mandchourie, où elles sont aux prises avec une armée japonaise bien mieux préparée et équipée, incitent une assemblée de libéraux, délégués des zemstvos, à réclamer une régime constitutionnel. Nicolas II fait de vagues promesses, puis laisse sauvagement réprimer la manifestation pacifique des ouvriers de Saint-Pétersbourg lors du « Dimanche rouge » (22 janv. 1905).