Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Neruda (Pablo) (suite)

En octobre 1971, Pablo Neruda, alors ambassadeur de son pays en France, recevait le prix Nobel de littérature, vingt-six ans après sa compatriote Gabriela Mistral*. Couronnement d’un demi-siècle de très féconde création poétique, ce prix allait donner au poète, par-delà les frontières de l’Amérique latine, une audience à la mesure de son chant aux éléments, à la Terre, aux hommes, à l’amour, une dimension universelle. Pablo Neruda devait mourir peu après le coup d’État militaire exécuté contre le régime de S. Allende.

J.-P. V.

 J. Marcenac, Pablo Neruda (Seghers, 1954 ; nouv. éd., 1971). / M. Aguirre, Genio y figura de Pablo Neruda (Buenos Aires, 1964). / E. Rodriguez-Monegal, El viajero immovil : introducción a Pablo Neruda (Buenos Aires, 1966 ; trad. fr. Neruda, le voyageur immobile, Gallimard, 1973). / A. Alonso, Poesía y estilo de Pablo Neruda (Buenos Aires, 1968).

Nerval (Gérard de)

Écrivain français (Paris 1808 - id. 1855).



L’homme et ses personnages

Au matin du 26 janvier 1855, le poète Gérard de Nerval était trouvé pendu rue de la Vieille-Lanterne à Paris, à proximité de l’actuelle place du Châtelet. La plupart de ses contemporains n’avaient jamais vu en lui qu’un gentil poète, un sympathique bohème, un polygraphe de talent. Pendant trois générations, nul ne chercha à pénétrer le sens profond de son œuvre. Et si Mallarmé, Remy de Gourmont le lurent et surent tirer profit de leur lecture, il fallut attendre Apollinaire pour trouver un disciple avoué : quand, en 1914, parut la grande biographie d’Aristide Marie, il écrivit dans le Mercure de France : « Je l’aurais aimé comme un frère. » Si Nerval ne fut jamais vraiment oublié de ses pairs, jusque vers 1935 il restait absent des histoires de la littérature française (ou bien son nom était relégué dans quelque note en bas de page).

Le reclassement général des valeurs artistiques auquel procédèrent les surréalistes les conduisit à faire de Nerval l’un de leurs ancêtres. Dans son premier Manifeste du surréalisme (1924), Breton plaçait explicitement le nom même du surréalisme et certaines tendances fondamentales du mouvement sous le patronage de la préface des Filles du feu.

À l’heure actuelle, Gérard (c’est de ce prénom qu’il signa ses premiers ouvrages) a pris place à côté des autres grands romantiques français ; le centenaire de sa mort, en 1955, fut l’occasion de nombreuses et chaleureuses manifestations, et Jean Senelier, qui tient à jour la bibliographie du poète, a dû publier récemment un fascicule spécial pour la seule période qui va de 1960 à 1967 : c’est dire l’extraordinaire développement des études nervaliennes. Nerval a lui-même déclaré : « Je suis du nombre des écrivains dont la vie tient intimement aux ouvrages qui les ont fait connaître. » Le destin de Nerval a l’allure d’une création de l’art ; l’œuvre et la vie semblent s’engendrer mutuellement.

Gérard Labrunie naquit à Paris le 22 mai 1808. Son père, chirurgien militaire, rejoignit l’armée du Rhin en avril 1810. Sa mère, qui avait accompagné le docteur Étienne Labrunie, mourut le 29 novembre de cette année-là, en Silésie, où elle fut enterrée. Le souvenir de cette jeune morte, devinée et absente, dont, semble-t-il, ne subsistait pas même un portrait, tiendra un rôle considérable dans le psychisme et dans l’œuvre du poète. On resta longtemps sans nouvelles du docteur Labrunie, blessé au pied durant le siège de Vilna (auj. Vilnious). Jusqu’à l’âge de sept ans, Gérard vécut chez son grand-oncle Antoine Boucher, à Mortefontaine, dans le Valois. À la fin de sa vie, ses souvenirs d’enfance, revivifiés par de fréquentes excursions, devaient lui fournir le cadre et la substance d’une partie de ses récits.

Au retour de son père, en 1814, le jeune Gérard fut inscrit comme élève externe au lycée Charlemagne à Paris. C’est là qu’il connut Théophile Gautier, de deux ans son cadet. À l’âge de dix-huit ans, il publia de médiocres Élégies nationales, où il célébrait l’épopée napoléonienne. Ces élégies témoignaient surtout de son précoce besoin d’écrire et de publier. Mais sa traduction du premier Faust de Goethe, en 1828, lui valut aussitôt la notoriété : c’est à travers cette traduction que plusieurs générations de lecteurs connaîtront l’œuvre de Goethe. (En 1836, lors d’une réédition, il corrigera les fautes les plus graves.) Deux ans plus tard (1830), le jeune écrivain publiait, presque en même temps, une étude sur les poètes du xvie s. accompagnée d’un choix de poèmes et un ensemble des traductions de poésies allemandes. Ainsi se trouvaient indiqués, dès cette date, les deux principaux courants auxquels devait puiser son talent.

Nerval fit partie du groupe de l’impasse du Doyenné ; il évoquera cette époque dans les pages des Petits Châteaux de Bohême. On sait peu de choses certaines sur ses amours romanesques, peut-être en partie imaginaires, avec la frivole actrice et cantatrice Jenny Colon. On pense que c’est pour pouvoir célébrer à la fois sa belle et le théâtre que Gérard, après un voyage dans le midi de la France et en Italie (1834), lança l’entreprise du Monde dramatique (1834-1836, ensuite poursuivie durant quelques années par un autre directeur), luxueuse publication illustrée dont le coût devait engloutir ce qui lui restait de l’héritage de ses grands-parents. En avril 1838, Jenny se mariait avec un obscur musicien, Leplus ; elle devait mourir en 1842, épuisée par ses tournées en province et des maternités trop rapprochées. Par la suite, semble-t-il, Gérard devait s’éprendre d’une autre actrice, Esther de Bongars.

À partir de 1834 et jusqu’à sa mort, Nerval voyagera beaucoup, et les impressions qu’il rapportera seront à l’origine d’une partie de son œuvre. Il ira en Allemagne quatre ou cinq fois, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Suisse, en Autriche, séjournant tout un hiver à Vienne (1839-40). En 1843, il visitera l’Égypte, le Liban, Constantinople. « Touriste littéraire », il monnaiera dans les journaux et les revues ses récits de voyages, avant d’en tirer la substance de deux livres : le Voyage en Orient (1851) et Lorely (1852).

Il semble bien que le grand tournant de la vie de Nerval se soit produit en février 1841, date de sa première crise nerveuse attestée. La démence acheva de faire de lui un personnage romantique et presque irréel.