Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

négritude (suite)

 F. Fanon, Peau noire, masques blancs (Éd. du Seuil, 1952 ; nouv. éd., 1965) ; les Damnés de la Terre (Maspero, 1959 ; nouv. éd., 1968). / C. A. Diop, Nations nègres et culture (Éd. africaines, 1955 ; nouv. éd., Présence africaine, 1965) ; l’Unité culturelle de l’Afrique Noire (Présence africaine, 1960) ; Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ? (Présence africaine, 1967). / C. A. et A. Diop, A. Memmi et E. Morin, Culture et colonialisme (la Nef de Paris, 1957). / A. Memmi, Portrait du colonisé (Buchet-Chastel, 1957). / L. Kesteloot, les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature (Institut de sociologie, Bruxelles, 1961 ; nouv. éd., 1965) ; Anthologie négro-africaine (Gérard, Verviers, 1967). / J.-P. N’Diaye, Enquête sur les étudiants noirs en France (Réalités africaines, 1962) ; la Jeunesse africaine face à l’impérialisme (Maspero, 1971). / L. S. Senghor, Nation et voie africaine du socialisme (Présence africaine, 1962) ; Négritude et humanisme (Éd. du Seuil, 1964) ; les Fondements de l’africanité ou Négritude et arabité (Présence africaine, 1967). / J. Ki Zerbo, le Monde africain noir, histoire et civilisation (Hatier, 1964). / C. Wauthier, l’Afrique des Africains. Inventaire de la négritude (Éd. du Seuil, 1964). / R. Pageard, Littérature négro-africaine (le Livre africain, 1966). / S. S. K. Adotévi, Négritude et négrologues (U. G. E., 1972). / J. Nantet, Panorama de la littérature noire d’expression française (Fayard, 1972).

negro spiritual

Chant religieux du peuple noir des États-Unis.


Essentiellement vocal, l’art désigné sous le nom de negro spiritual et plus récemment de gospel song est l’adaptation par la sensibilité nègre, imprégnée de souvenirs africains, de chants d’origine européenne. À la recherche d’une identité culturelle, les esclaves noirs aux États-Unis ont ainsi absorbé et transformé des formes populaires enseignées par des animateurs religieux, méthodistes et baptistes. Ces « traductions » d’hymnes wesleyens étaient encouragées par les prédicateurs, l’ardeur dans l’expression de la foi primant la latéralité du texte. Au cours du xixe s., les chants religieux seront un puissant instrument d’évangélisation par conversion, aussi bien par les paroles (promesse d’une vie future idéale particulièrement séduisante pour un peuple opprimé) que par l’intensité de l’expression corporelle (danses, trémoussements, jerk, scènes d’extases et d’hystérie).


Au rythme des églises

À partir de 1870, les Jubilee Singers, de Fisk University à Nashville (Tennessee), font apprécier à des audiences blanches cet aspect rassurant de la culture négro-américaine et contribuent à favoriser les premiers mouvements antiségrégationnistes, tandis que se développe dans les églises et les réunions en plein air (camp meetings) — parallèlement à la création du jazz, avec lequel les échanges stylistiques sont évidents — une très féconde mutation du matériau musical occidental. C’est ainsi que s’opère un mouvement double : il y a en même temps intégration et refus de la culture proposée. Au xxe s., la radio et le disque aident à la diffusion des gospel songs. Ils font partie, dès le plus jeune âge, de la vie quotidienne du peuple noir et contribuent au conditionnement rythmique de cette communauté. Des milliers de sectes recrutent et retiennent leurs fidèles grâce au talent d’artistes à leur dévotion, les principales églises étant la Pentacostal Church, la Church of God in Christ, Church of God Apostolic, Church of Holiness Science, the Baptized Holiness Church, the Ebenezer Church.


« Soul music », musique du corps

Le compositeur-arrangeur Thomas A. Dorsey, né en Géorgie en 1899, eut, à partir de 1930, une profonde influence sur l’évolution du gospel song — à l’époque où les conséquences de la crise économique de 1929 contribuent à remplir les églises. Il apporta dans ce domaine son expérience d’ancien chanteur de blues (sous le nom de Georgia Tom) et de pianiste boogie-woogie. Désormais, si l’on excepte la tendance représentée par Marian Anderson et Paul Robeson, qui s’attachaient surtout à chanter selon la tradition européenne du « bel canto », les caractéristiques musicales du genre se définissent ainsi :
— utilisation de mélodies d’origine européenne, adultérées — comme le blues — par le souvenir de la gamme pentatonique ;
— prédominance du chant en question/réponse avec soliste et chœur, sorte de prêche où le dialogue permet de faire répéter les lignes des psaumes à des analphabètes ;
— rythme très accentué (assimilable au swing), surtout par le contretemps soutenu par les battements de mains, avec parfois recherche de la transe en tempo rapide où la durée des œuvres est allongée à l’infini ;
— syncopation, comme pour le jazz, résultant en partie de l’adaptation à la prononciation anglaise d’un peuple qui n’avait pas oublié ses idiomes primitifs (ainsi le mot heaven est prononcé heb’n en bourdonnant le n final) ;
— prédominance d’effets vocaux particuliers, par exemple glissandos, vibratos et cris, impossibles à transcrire en notations connues ;
— liberté de chacun à l’intérieur d’un canevas simple donnant ainsi une impression de polyphonie. Autour des voix, l’instrumentation se réduit à l’harmonium (aujourd’hui remplacé par l’orgue), au piano, à la guitare, au tambourin, quelquefois à la basse et à la batterie et, rarement, à des instruments à vent. Quant aux textes, ils reflètent une foi naïve. Avoir confiance en Dieu, c’est être sauvé : je ne peux le voir, mais je sens sa présence en moi. La plupart des thèmes sont donc contemplatifs, certains cependant racontent des histoires inspirées par la Bible ou des événements contemporains, et depuis l’assassinat de Martin Luther King* en 1968 la résignation cède parfois à la revendication. Pour illustrer le genre, les formules vont du large chœur d’église au soliste en passant par le « quartette », particulièrement en vogue depuis 1940. Ainsi, toutes les richesses des tessitures nègres, de la basse au « falsetto », sont mises en valeur avec une exaltation d’autant plus expressive qu’il est nécessaire d’émouvoir aussi bien les corps que les âmes.