Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nécessité (état de)

État de fait rendant impossible le fonctionnement régulier des institutions et justifiant la réunion provisoire entre les mains des autorités légalement chargées de l’exercice de la fonction gouvernementale* d’un ensemble de pouvoirs quasi dictatoriaux.


Certaines constitutions* ont reconnu la possibilité d’une telle réunion de pouvoirs dans des circonstances exceptionnelles.


L’article 48 de la Constitution de Weimar

Au lendemain de la défaite de 1918, l’Allemagne avait connu des troubles violents. Le texte de la Constitution du 11 août 1919, envisageant la possibilité de nouveaux troubles, permit au président de la République, élu au suffrage universel, de décréter l’état de siège et de déléguer au chancelier le pouvoir de légiférer par ordonnances, « lorsque la sûreté et l’ordre public sont gravement troublés ou compromis dans l’État ».

Dans la confusion politique, partiellement née de l’emploi de la représentation proportionnelle, l’article 48 devint un moyen de gouvernement presque normal, ce qui a probablement contribué à hâter la fin du IIe Reich.


L’article 16 de la Constitution française de 1958

Sur la demande expresse du général de Gaulle, la Constitution actuelle de la France permet au président de la République de prendre les mesures exigées par les circonstances lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu.

La rédaction même de ce texte est caractéristique de la démarche de pensée du général, traumatisé par les conditions dans lesquelles l’armistice de 1940 a été signé et le gouvernement de Vichy légalement mis en place.

C’est pour éviter le retour de tels événements que le président de la République peut constitutionnellement, s’il le juge nécessaire, exercer l’ensemble des fonctions gouvernementales et législatives* sous la quadruple réserve suivante : 1o la nation doit être informée par un message, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des Assemblées et du Conseil constitutionnel ; 2o le Parlement est réuni de plein droit ; 3o on ne peut dissoudre l’Assemblée nationale pendant la durée d’exercice des pouvoirs exceptionnels ; 4o les mesures prises dans le cadre de ces pouvoirs doivent être inspirées par la volonté d’assurer — dans les moindres délais — aux pouvoirs publics constitutionnels les moyens d’accomplir leur mission, le Conseil constitutionnel étant consulté à leur sujet.

Application de l’article 16 a été faite du 23 avril au 30 septembre 1961 à la suite de la révolte d’une fraction de l’armée en pleine guerre d’Algérie. Le Conseil d’État s’est reconnu le droit de soumettre à sa censure le texte des ordonnances prises dans le cadre des pouvoirs exceptionnels.

R. M.

 G. Camus, l’État de nécessité en démocratie (L. G. D. J., 1965).

Necker (Jacques)

Financier et homme d’État (Genève 1732 - Coppet 1804).


Necker naît au sein d’une famille protestante. Son père, professeur de droit public allemand, est sujet du roi de Prusse avant d’obtenir en 1726 le droit de bourgeoisie dans la ville suisse où il se marie avec la fille du premier syndic.

Jacques est envoyé en 1750 à la Banque de Paris du Genevois Isaac Vernet. Douze ans plus tard, il fonde avec l’aide d’amis sa propre banque. Il a trente ans. Pendant une dizaine d’années, il va spéculer sur les blés et surtout prêter de l’argent au Trésor royal. En 1772, il se retire des affaires, fortune faite. Entre-temps, en 1764, le banquier s’est marié. La demoiselle Suzanne Curchod (1739-1794) qu’il a épousée est fille d’un ministre de la religion réformée ; elle est sans fortune, et, chose rare pour l’époque, le mariage est un mariage d’amour. Mme Necker ouvre salon, et les beaux esprits du temps y côtoient Marmontel, Buffon ou Laharpe. Necker y prépare son ascension aux responsabilités d’État. Son Éloge de Colbert est couronné par l’Académie française en 1773, mais lui vaut l’animosité des physiocrates*, dont il a attaqué le guide spirituel : Quesnay*. C’est un homme proche de ces économistes, Turgot*, qui est appelé au poste de contrôleur général des finances. Déçu de voir la place lui échapper, Necker luttera contre les mesures prises par le nouveau ministre. Il attaque tout particulièrement, dans son Essai sur la législation et le commerce des grains (1775), la libre circulation des grains. Le livre paraît au moment même où a lieu la « guerre des farines », qui va être une des causes de la disgrâce de Turgot en 1776. Celle-ci acquise, et après le court ministère de J. E. B. de Clugny de Nuits (1729-1776), Necker est appelé, avec l’appui de Maurepas, à réorganiser les finances royales. Il sera non pas contrôleur, car son appartenance à la religion réformée lui interdit l’entrée au Conseil, mais directeur général des finances (29 juin 1777).

La situation financière de la monarchie s’aggrave encore par l’entrée en guerre de la France, en 1778, pour soutenir la lutte des Américains. Necker se montre tout d’abord administrateur prudent et, reprenant en partie la politique de Turgot, accomplit des réformes utiles : parmi celles-ci, la mise en régie de certaines des taxes perçues par la ferme générale. Il réorganise cette dernière et en retire pour le Trésor public une plus-value de 14 millions. Par arrêt du 7 mars 1779, il fait sanctionner les statuts de la Caisse d’escompte, créée en 1776. Il obtient l’abolition du droit de mainmorte (août 1779) dans les domaines du roi, espérant que l’exemple ainsi donné poussera les seigneurs à agir de même à l’égard de leurs serfs. Il fait abolir la « question préparatoire ». Enfin, la création d’assemblées provinciales semble annoncer une participation des propriétaires au fonctionnement de l’État. Mais, sur le plan financier, Necker n’opère pas la réforme fiscale nécessaire et s’en tient à des économies réalisées en supprimant des offices ou des postes à la Cour. Ne voulant ni attaquer de front les privilégiés ni augmenter les impôts, il doit recourir à l’emprunt, ce qui précipite le désastre financier. La plupart des historiens partagent à son égard le jugement d’un contemporain, Gabriel Sénac de Meilhan (1736-1803) : « Sans but, sans doctrine ni système, il ne songea qu’à faire des opérations qui eussent de l’éclat. Insensible à l’amour, à l’amitié, aux plaisirs de la société, et dévoré d’une soif inextinguible d’applaudissements, les moyens de sévérité ne coûtaient rien à son esprit. » Une basse jalousie de tous ceux à qui leur fortune procurait quelque éclat ajoute encore à l’austérité de ses projets économiques ; mais son intérêt le fait céder aux personnes dont il peut redouter le crédit à la Cour ou l’ascendant dans le grand monde.