Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

navigation fluviale (suite)

Les cours d’eau avaient été aménagés, avant l’apparition de modes de transport concurrents, pour permettre le passage d’embarcations modestes, quelques tonnes de charge bien souvent, quelques dizaines dans le meilleur des cas. Avec des capacités aussi faibles, les prix de revient demeuraient assez élevés, et le chemin de fer n’eut pas de peine à éliminer, sur bien des itinéraires, les transports par voie d’eau. Dans certains pays, là où les canaux jouaient un rôle essentiel, en Angleterre par exemple, la substitution du nouveau mode de transport à l’ancien fut totale. Ailleurs, là où existaient de grands fleuves, l’évolution fut différente. Pour ceux dont les eaux sont très rapides, le Rhône par exemple, l’obligation de disposer d’attelages très nombreux ou de remorqueurs puissants entraînait des prix de revient voisins de ceux de la voie ferrée. Là où les eaux étaient plus calmes, les lits plus profonds, il fut possible de résister à la concurrence ferroviaire : il suffisait, pour cela, de disposer d’un réseau ouvert aux chalands de 300 ou de 400 t.

En France, par exemple, le plan Freycinet permit, à partir de 1879, de créer un ensemble de voies à capacité standardisée, ouvertes aux chalands de 360 ou de 380 t : dans les conditions techniques de la fin du siècle passé, il s’agissait d’une solution satisfaisante. En passant d’unités de 400 t à des unités de 2 000 t, on ne diminue guère les trais que de 20 p. 100. Dans d’autres pays, cependant, on prit la décision de creuser les voies d’eau pour des bateaux plus importants : ce fut le cas en Allemagne, où la navigation rhénane se révélait particulièrement avantageuse. Dès la fin du siècle passé, la section du Mittellandkanal, destiné à unir le Rhin à la Weser et à l’Elbe, était fixée de telle manière qu’elle permettait le passage d’unités de 650 t.


La navigation moderne

Les progrès essentiels ont donc résidé, jusqu’au début de ce siècle, dans l’aménagement des fleuves. Depuis, l’évolution de la construction navale et celle de la navigation ont également facilité la modernisation. Le remorquage par bateaux à vapeur se substitua progressivement au halage dans la seconde moitié du siècle dernier, sans que cela entraînât une transformation décisive, hors du cas de fleuves rapides, comme le Rhin ou le Mississippi.

Ensuite, la multiplication des automoteurs a donné à la navigation intérieure une souplesse qui lui manquait jusque-là, cependant que la technique des pousseurs a permis d’augmenter la taille des convois, de diminuer les charges de main-d’œuvre et de traction, et d’abaisser les prix de revient jusqu’à environ 1 centime la tonne kilométrique. L’utilisation des radars et des sondeurs continus allonge la saison de navigation, d’une durée non négligeable.

Ainsi, la voie d’eau, progressivement transformée et améliorée, a joué un rôle moteur dans l’épanouissement industriel d’un certain nombre de pays. Les investissements nécessaires pour arriver à ce résultat sont, il est vrai, si élevés qu’il est difficile de multiplier les itinéraires. Bien souvent, l’aménagement ne se justifie, comme pour le Rhône en France, que dans le cadre d’opérations à finalités multiples. Dans la plupart des cas, les voies à grand gabarit ne constituent que des tronçons isolés, cependant que les réseaux à gabarit moyen de la fin du siècle passé gardent une certaine activité.

La voie d’eau souffre, par comparaison aux autres modes de transport, de deux maux : l’acheminement des marchandises est lent, parfois irrégulier (lorsque la sécheresse ou le gel réduisent la saison de navigation en particulier) ; les frais de ruptures de charge sont élevés, si bien que le transport n’est réellement intéressant que si le produit est directement utilisé sur les bords du fleuve. Jusqu’à ces dernières années, la voie d’eau ne se prêtait bien, par ailleurs, qu’à l’acheminement des produits en vrac (matériaux de construction, minerais, céréales) ou liquides (produits pétroliers). Pour les marchandises générales, l’obligation de faire des transbordements délicats entraînait des charges : la voie d’eau perdait son avantage. Depuis quelques années, la situation change : les grandes barges sont adaptées au transport des véhicules comme à celui des conteneurs. Depuis quelques années, l’apparition de navires porte-barges permet de supprimer les frais de transbordements au port et donne aux liaisons fluviales un nouvel avantage.

Il serait certainement possible, en employant des hydroglisseurs ou des naviplanes, de créer des services de transport de voyageurs capables de concurrencer les transports en commun ferroviaires : malheureusement, les aménagements effectués pour les transports en masse, la généralisation des retenues et des écluses réduisent les possibilités de ce genre de développement aux fleuves encore peu équipés, ceux des pays tropicaux par exemple.

La géographie de la navigation intérieure traduit à la fois le poids des contraintes naturelles et celui des niveaux de développement. Dans le monde tropical, les fleuves, surtout l’Amazone, le Congo et le Niger, offrent des voies de pénétration au sein du monde sous-développé. Malgré l’ouverture aux navires de mer dans le premier cas et l’utilisation d’embarcations à moteur ailleurs, les trafics demeurent dérisoires par leur masse. Dans les zones surpeuplées de l’Asie du Sud-Est, dans les deltas, dans la plaine du Gange et dans la Chine du Centre et du Nord, il en va différemment. En Chine, en particulier, les voies fluviales continuent à jouer un rôle essentiel dans l’économie des transports.


Les grandes voies

Dans le monde tempéré, trois grands réseaux ont été aménagés à l’heure actuelle. Le réseau intérieur américain a connu un développement rapide depuis une génération. Longtemps négligé au profit de la voie ferrée, il a vu sa situation bouleversée depuis l’avènement des pousseurs modernes et la systématisation de la politique de contrôle des eaux. Les Grands Lacs constituent depuis toujours un cas spécial, puisqu’ils offrent, du lac Supérieur au lac Érié, une voie naturelle qui permet l’emploi de navires dont le tonnage est voisin de celui des cargos de haute mer. L’économie de la production des grains et celle de la sidérurgie ne se comprendraient pas, aux États-Unis, si l’on ne tenait pas compte de l’importance déjà ancienne de cet axe. Aujourd’hui, l’aménagement de l’Ohio, du Mississippi, du Tennessee, de la voie littorale du golfe du Mexique, la mise à grand gabarit des canaux qui permettent de passer de là aux Grands Lacs et l’achèvement de la voie maritime du Saint-Laurent ont créé dans tout l’est du pays un réseau fait pour tous les trafics lourds.