Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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naturalisme (suite)

Il ne faut donc pas se tromper sur les dates. Si le Roman expérimental et les Romanciers naturalistes ont paru en 1880-81, c’est dès 1866-1868 que s’est fixée dans la pensée de Zola la théorie naturaliste. Et, par Taine, Flaubert, les Goncourt, par l’admiration que Zola voue lui-même à la Comédie humaine, elle remonte tout droit jusqu’au grand exemple de Balzac. Si la polémique a pris du retard sur l’énoncé des thèses, c’est tout simplement parce que Zola a tardé lui-même à trouver une tribune pour s’exprimer ; celle-ci lui fut offerte entre 1875 et 1881, lorsqu’il écrivit chaque semaine un article de critique dramatique et littéraire dans le Bien public, puis dans le Voltaire et enfin dans le Figaro.


Définition du naturalisme

Au cours de ces six années, Zola a multiplié les définitions du naturalisme. Retenons-en quelques-unes : « Le naturalisme, c’est le retour à la nature, c’est cette opération que les savants ont faite le jour où ils se sont avisés de partir de l’étude des corps et des phénomènes, de se baser sur l’expérience, de procéder par l’analyse. Le naturalisme, dans les lettres, c’est également le retour à la nature et à l’homme, l’observation directe, l’anatomie exacte, l’acceptation et la peinture de ce qui est [...]. Ainsi, plus de personnages abstraits dans les œuvres, plus d’inventions mensongères, plus d’absolu, mais des personnages réels, l’histoire vraie de chacun, le relatif de la vie quotidienne [...]. Les écrivains n’avaient désormais qu’à reprendre l’édifice par la base, en apportant le plus possible de documents humains, présentés dans leur ordre logique » (le Roman expérimental, Paris, 1880). « Veut-on savoir ce que c’est que le naturalisme ? [...] Dans l’histoire, c’est l’étude raisonnée des faits et des personnages, la recherche des sources, la résurrection des sociétés et de leurs milieux ; dans la critique, c’est l’analyse du tempérament de l’écrivain, la reconstruction de l’époque où il a vécu, la vie remplaçant la rhétorique ; dans les lettres, dans le roman surtout, c’est la continuelle compilation des documents humains, c’est l’humanité vue et peinte, résumée en des créations réelles et éternelles » (le Naturalisme au théâtre, Paris, 1881 [article du 30 octobre 1876]). « On me demande pourquoi je ne me suis pas contenté du mot réalisme, qui avait cours il y a trente ans ; uniquement parce que le réalisme d’alors était une chapelle et rétrécissait l’horizon littéraire et artistique. Il m’a semblé que le mot naturalisme élargissait au contraire le domaine de l’observation » (ibid.). « Les écrivains naturalistes sont ceux dont la méthode d’étude serre la nature et l’humanité du plus près possible, tout en laissant, bien entendu, le tempérament particulier de l’observateur libre de se manifester ensuite comme bon lui semble » (ibid.). « Une fois encore, le naturalisme est purement une formule, la méthode analytique et expérimentale. Vous êtes naturaliste, si vous employez cette méthode, quelle que soit d’ailleurs votre rhétorique. Stendhal est un naturaliste, comme Balzac, et certes sa sécheresse de toucher ne ressemble guère à la largeur parfois épique de Balzac, mais tous les deux procèdent par l’analyse et par l’expérience. Je pourrais citer, de nos jours, des écrivains dont le tempérament littéraire paraît tout opposé, et qui se rencontrent et communient ensemble dans la formule naturaliste. Voilà pourquoi le naturalisme n’est pas une école, au sens étroit du mot, et voilà pourquoi il n’y a pas de chef distinct, parce qu’il laisse le champ libre à toutes les individualités » (le Roman expérimental). « Prenez des faits vrais que vous avez observés autour de vous, classez-les d’après un ordre logique, comblez les trous par l’intuition, obtenez ce merveilleux résultat de donner la vie à des documents humains, une vie propre et complète, adaptée à un milieu, et vous aurez exercé dans un ordre supérieur vos facultés d’imaginer. Eh bien ! notre roman naturaliste est justement le produit de ce classement des notes et de l’intuition qui les complète » (ibid.).

Nature, observation, analyse, anatomie, document, enquête, réalité, esprit scientifique, logique, déterminisme, ce sont donc les mots clés par lesquels Zola explicite le plus souvent naturalisme ; mais aussi création, vision, peinture, tempérament, intuition, don du réel, expression personnelle, intensité, abondance. Vers 1878, après avoir lu l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, de Claude Bernard, Zola en ajoutera un autre : expérimentation. « Si la méthode expérimentale a pu être portée de la chimie et de la physique dans la physiologie et la médecine, elle peut l’être de la physiologie dans le roman naturaliste » (le Roman expérimental). Comme le physiologiste institue des expériences sur les animaux de son laboratoire, pour contrôler la valeur de ses hypothèses biologiques ou médicales, le romancier, observateur et expérimentateur, « fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude [...] ». « Nous devons opérer sur les caractères, sur les passions, sur les faits humains et sociaux, comme le chimiste et le physicien opèrent sur les corps bruts, comme le physiologiste opère sur les corps vivant. » Henry Céard, Brunetière et d’autres eurent beau jeu de démonter le sophisme de ce raisonnement et de montrer que le romancier ne peut rien provoquer en fait d’expérience. « Expérimenter sur Coupeau, écrit Brunetière, ce serait se procurer un Coupeau qu’on tiendrait en chartre privée, qu’on enivrerait quotidiennement à dose déterminée [...] et qu’on ouvrirait sur la table de dissection aussitôt qu’il présenterait un cas d’alcoolisme nettement caractérisé. Il n’y a qu’observation ; et dès lors c’est assez pour que la théorie de M. Zola sur « le roman expérimental » manque et croule aussitôt par sa base. »