Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nationalisation (suite)

Les entreprises nationalisées sont prépondérantes en France dans les secteurs de base. Globalement, la valeur ajoutée par les entreprises publiques avoisine le sixième ou le septième du revenu national. Celles-ci participent pour plus de 10 p. 100 à la P. I. B. (production intérieure brute) ; leurs investissements atteignent 25 p. 100 de l’investissement total national. Les branches où les entreprises publiques sont le plus fortement représentées sont les charbonnages (98 p. 100), l’électricité (95 p. 100), la banque (58 p. 100), l’automobile (38 p. 100), les hydrocarbures.


Le phénomène juridique

La nationalisation se réalise juridiquement par deux solutions distinctes : soit le transfert du patrimoine de la société* nationalisée à l’État, la société dès lors disparaissant (industries minières, production d’électricité) ; soit le transfert des actions formant le capital de la société à un actionnaire public, l’État, la société ici survivant à l’élimination des anciens actionnaires (assurances, Renault). Le problème de l’indemnisation revêt une grande importance ; il s’agit de nationaliser sans spolier, à moins que, dans le cas de la confiscation (qui doit résulter de dispositions législatives spéciales), il ne s’agisse de pénaliser des chefs d’entreprise. Les actionnaires des banques nationalisées reçurent ainsi, en échange de leurs actions, des obligations ou des parts bénéficiaires négociables sur le marché financier.

S’il n’y a pas de régime législatif unique des entreprises nationalisées, il existe cependant des règles et des principes communs. Mis à part le fait qu’il ne s’agit pas toujours d’un « service public » (par exemple Renault), les entreprises nationalisées suivent « des méthodes et règles aussi voisines que possible de la vie des entreprises privées commerciales ». La privatisation est plus poussée que pour les services publics industriels et commerciaux ordinaires ; cela vaut tant pour les formes d’organisation que pour le régime juridique. Ainsi, les nationalisations françaises, si elles ont eu des incidences sur la politique des firmes, n’ont apporté que des modifications limitées aux règles de gestion antérieurement suivies.

L’établissement public est ici apparu comme le moins inadapté des modes classiques de gestion de par son caractère décentralisé. Mais il s’agit parfois d’établissements publics très particuliers, concessionnaires de services publics à la suite des anciennes compagnies concessionnaires (gaz, électricité).

De même, on constate des innovations vis-à-vis du droit commun des sociétés (banques, assurances). Dans la mesure où il y a acquisition de la totalité des actions par l’État, la société nationalisée ne répond plus aux règles de la société anonyme (par exemple, il y a cogestion au sein du conseil d’administration : État + personnel + usagers + « personnalités compétentes » ou techniciens). Le même phénomène se vérifie pour les sociétés d’économie mixte, qui apparaissent bien souvent comme un prolongement, voire un démembrement de l’Administration.

Le régime juridique, tant administratif que financier, est, de la même manière, très privatisé. Les entreprises nationalisées sont généralement soumises au droit privé et aux tribunaux judiciaires ; elles ne possèdent qu’un domaine* privé, même s’il est déclaré inaliénable par le législateur. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un régime de droit privé pur ; ainsi, les voies d’exécution sont exclues.

Le régime financier a essentiellement pour but de soustraire les entreprises nationalisées à la comptabilité* publique ; les entreprises nationalisées « se comportent en matière de gestion financière et comptable suivant les règles couramment en usage dans les sociétés industrielles et commerciales ». Il y a, en fait et en droit, substitution de l’État aux actionnaires anciens, entraînant le versement des dividendes au budget de l’État ou, au contraire — surtout pour les nationalisations-monopoles —, des recours importants auprès du Trésor.


Restaurer la notion d’entreprise


Une évolution contestée

• L’entreprise nationalisée à la pointe de la nation. Par sa masse même, le secteur public nationalisé est un moyen d’action non négligeable sur la conjoncture ; néanmoins, la manipulation des investissements* des entreprises nationalisées n’est pas toujours compatible avec les nécessités techniques et les projets élaborés longtemps à l’avance.

Dans le cadre de la politique de croissance*, l’entreprise nationalisée permet une action à long terme, et ce à quatre niveaux. Elle contribue au développement du progrès technique, notamment du fait des avantages de la grande entreprise (les réussites techniques de la S. N. C. F., de l’E. D. F. et de l’industrie aéronautique sont incontestables). Elle participe éminemment à l’aménagement régional : l’implantation de la Régie Renault en Basse-Normandie contribue à une croissance économique harmonieuse. En troisième lieu, dans le contexte actuel d’ouverture des frontières et de nécessaires mutations de structures, l’entreprise nationalisée peut jouer un rôle d’amélioration de la productivité en donnant l’exemple de fusions et concentrations (secteur bancaire par exemple). En dernier lieu, elle contribue à l’amélioration du système socio-économique : elle a fréquemment une attitude de pointe dans le domaine social (la Régie Renault lança la quatrième semaine de congés payés en 1963) ; elle a servi de test à la politique de développement de l’actionnariat ouvrier et à la politique des contrats de progrès (E. D. F., S. N. C. F.). Elle a donc un rôle à la fois moteur et régulateur. Cependant, elle se heurte à un problème stratégique, car elle n’est pas véritablement autonome.

• Le ghetto étatique. La tendance à l’étatisme résulte des multiples contrôles et tutelles pesant sur l’entreprise nationalisée. La tutelle financière est lourde : elle ne se borne pas à se superposer à la tutelle technique exercée par un commissaire du gouvernement, mais souvent empiète sur l’autonomie de gestion de l’entreprise et confine à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique. On assiste à un développement des tutelles dites « parallèles » : par le F. D. E. S. (Fonds de développement économique et social) en matière d’investissements, par la Commission interministérielle des salaires, par la Commission de contrôle des opérations immobilières, par la Commission des marchés.