Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Napoléon Ier (suite)

Paoli est revenu avec l’accord du gouvernement français. Le jeune officier tente de se rapprocher d’un homme qui se méfiera toujours de lui. À force d’intrigues, Joseph devient conseiller général de la Corse, et Napoléon, malgré ses fonctions dans l’armée royale, lieutenant-colonel de la garde nationale de sa ville natale, Ajaccio. C’est à ce titre qu’il fera tirer sur la foule qui manifeste contre la Constitution civile du clergé, puis prendra part à l’expédition malheureuse menée contre les îles sardes.

Puis Napoléon doit fuir un pays où il n’a acquis qu’une médiocre position. Paoli a été dénoncé devant les Jacobins de Toulon par Joseph Bonaparte. La Convention ordonne de l’arrêter. Le héros de l’indépendance corse et ses amis pourchassent les Bonaparte, qui prennent le maquis, vont vers Calvi et de là passent sur le continent (juin 1793). À Marseille, la famille vit dans la misère malgré le mariage de Joseph avec Julie Clary, fille d’un marchand de tissus ; Bonaparte s’éprendra d’une autre fille du marchand, Désirée. Le mariage ne se fera pas, et la jeune fille deviendra par son mariage avec Bernadotte la reine d’un pays qui contribuera à la ruine de l’Empire.

Mais, dans cet été de 1793, la France est de partout menacée. L’Europe des rois cherche à anéantir la république jacobine. Bonaparte s’y rallie. C’est de ce temps « qu’il se naturalise français » et paye de sa personne pour créer la patrie qu’il s’est donnée. Son attachement à la république montagnarde est affirmé par la publication d’un opuscule : le Souper de Beaucaire. À l’opposé des idées girondines, il montre comment la cause de la Montagne est celle de la nation tout entière et que sauver la république naissante est le devoir de tous. Méfiant à l’égard des masses populaires, qu’il a vues à l’œuvre au 20 juin et au 10 août 1792, il veut, comme beaucoup d’autres Français, contenir, canaliser, utiliser leur action pour fonder la patrie des talents et de la richesse.

Grâce à un député corse allié à sa famille, Saliceti, le citoyen Bonaparte, « capitaine instruit qui allait à l’armée d’Italie », est nommé chef de l’artillerie qui doit de Toulon déloger les Anglais. Son action décisive lui vaut, après la prise de la ville, les recommandations les plus vives de Robespierre le Jeune, qui qualifie son mérite de « transcendant ». Il sera nommé par le Comité de salut public général de brigade.

Général terroriste ? Après le 9-Thermidor, ses amitiés montagnardes lui valent la prison. L’élargissement venu, le Girondin Aubry, rapporteur des questions militaires, continue à le suspecter. Malgré les appuis qu’il trouve auprès de la Convention thermidorienne, on l’écarté, on le relègue au commandement de l’artillerie à l’armée de l’Ouest. Le jeune général se rebelle et refuse son poste. Il est mis en disponibilité.

Son regain de fortune lui vient du péril royaliste et de l’amitié d’un ancien terroriste, Barras. Membre de la commission des Cinq chargée de parer à l’action contre-révolutionnaire, ce dernier fait de Bonaparte le commandant en second de l’armée de l’intérieur (oct. 1795). Le 13-Vendémiaire, il aura mission de réduire les insurgés royalistes retranchés dans l’église Saint-Roch après avoir mis en défense le quadrilatère où se tient le pouvoir républicain.

Les royalistes sont vaincus. Barras, nouvellement élu Directeur, protège Bonaparte et lui donne une de ses anciennes maîtresses. Le jeune général, apprenti dans l’art amoureux, est subjugué par le charme de la créole Joséphine. Celle-ci, veuve du général vicomte de Beauharnais, est avec Mme Tallien, son amie, une de ces « merveilleuses » qui font les beaux jours de la société parisienne. Elle a trente-trois ans, Bonaparte vingt-sept, il lui voue une passion, puis une tendresse amoureuse qu’aucune infidélité ne parviendra à tiédir.

Marié le 9 mars 1796, il vient d’être nommé par Carnot commandant en chef de l’armée d’Italie. Accueilli avec suspicion par ses subordonnés, il va très vite s’imposer à eux, parfaire sa pratique militaire et connaître l’exercice de l’autorité politique.

L’armée d’Italie est démunie de tout ; avec la maraude, l’indiscipline y sévit. Bonaparte réunit les généraux, expose avec autant de clarté que s’il avait été à l’œuvre depuis des années la situation et son plan de campagne. Il fait preuve d’une telle autorité devant ces vétérans des guerres révolutionnaires qu’un Augereau avoue : « Ce petit bougre-là m’a fait peur. » Puis, Bonaparte se tourne vers les soldats et leur tient un langage qui va les galvaniser : « Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout : c’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! »

Les instructions du Directoire, dont Carnot est la tête pensante pour les questions militaires, n’assignent qu’un rôle de second plan à l’armée d’Italie. Elle doit faire diversion pendant que l’attaque principale se développera avec Jourdan et Moreau en Allemagne. Ce sont les armées de Sambre et Meuse ainsi que de Rhin et Moselle qui doivent pénétrer les premières dans Vienne. L’action de Bonaparte fait basculer la situation. Dans le Piémont, en une dizaine de jours, il sépare les Autrichiens des Piémontais par les batailles de Montenotte (12 avr. 1796) et de Mondovi (22 avr.). Le 28 avril, le roi de Sardaigne signe l’armistice de Cherasco. Au traité de Paris (15 mai), il abandonne à la France la Savoie, les comtés de Nice, de Tende et de Beuil. L’armée autrichienne est au nord du Pô. Bonaparte la tourne, puis la bat au pont de Lodi le 10 mai et entre à Milan le 14. Tandis que les ducs de Parme et de Modène signent l’armistice et que la papauté fait une convention avec les Français, l’armée d’Italie assiège les Autrichiens dans Mantoue, clé de la route des Alpes et de l’Autriche. Les armées de secours de l’ennemi sont contenues et, après les combats de Castiglione (5 août), de Bassano (8 sept.), d’Arcole (17 nov.) et de Rivoli (14 janv. 1797), Mantoue capitule enfin le 2 février 1797. Ces succès font contraste avec la difficile campagne d’Allemagne, où Jourdan et Moreau sont acculés à repasser le Rhin.