Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mythe et mythologie (suite)

Jung : Problèmes de l’âme moderne (1931) ; en collaboration avec Kerenyi : Introduction à l’essence de la mythologie (1949)

La mythologie est capitale pour Jung*. Sa théorie psychanalytique a eu plus d’importance immédiate chez les mythologues que celle de Freud, peut-être parce qu’elle offrait plus de facilité pour rattacher la création mythologique à la vie collective. La situation du mythe au sein de la conscience individuelle constitue le point de départ de l’opposition entre Freud et Jung. Pour l’un et l’autre, le rêve et le mythe sont des symboles. Mais Jung complète la théorie de son maître (et la déforme, selon certains) en lui adjoignant la notion d’inconscient collectif, fonds inconscient commun à toute l’humanité, indépendant de toute culture ; c’est de lui que proviennent les archétypes, mot dont les racines grecques suggèrent la traduction de « moules archaïques ». L’archétype de Jung n’est pas l’image archaïque de Freud enfouie dans l’inconscient : c’est une « possibilité de représentations », un moule a priori qui modèle les représentations qui naissent en lui. « Chez l’individu, les archétypes se présentent comme des manifestations involontaires d’activités mentales inconscientes, dont l’existence et le sens ne peuvent être induits qu’indirectement : dans le mythe, par contre, il s’agit de produits d’une tradition remontant à un âge souvent impossible à évaluer. Ils remontent à un monde du passé, primitif, soumis à des données et à des exigences spirituelles semblables à celles que nous observons de nos jours chez les peuples primitifs qui existent encore. À cet échelon, les mythes forment généralement l’enseignement de la tribu, transmis par répétition orale, de génération en génération. »

Jung voit une opposition très forte entre le civilisé et le primitif : elle est dans le degré de conscience qu’ont les hommes des phénomènes. « L’état d’esprit primitif se distingue du civilisé principalement en ce que l’étendue et l’intensité de la conscience y sont moins développées [...]. L’homme primitif ne peut pas prétendre qu’il pense : la pensée se fait en lui, comme on dit. [Or] la spontanéité de sa pensée ne tire pas son origine de la conscience, mais de l’inconscient [...]. Sa conscience est menacée par un inconscient prédominant [...]. La manifestation automatique de l’inconscient, avec ses archétypes, empiète continuellement sur la conscience ; le monde mythique des ancêtres constitue une réalité équivalente à la nature matérielle, si toutefois elle ne lui est pas supérieure. »

L’optique jungienne s’oppose encore à celle de Freud à propos des rapports que le mythe entretient avec le temps vécu par l’homme. L’inconscient collectif englobe tout ce qui est inconscient, notamment « tout l’héritage des possibilités de représentations qui ne sont pas individuelles, mais communes à toute l’humanité ». Alors que l’inconscient de Freud est tourné vers le passé en s’expliquant par lui, l’inconscient de Jung prend en quelque sorte en charge l’avenir du sujet, son évolution, comme celui de toute l’humanité.

La méthode d’analyse mythique est ainsi tracée par Jung : « La question ne se pose plus de savoir si un mythe se rapporte au soleil ou à la lune, au père ou à la mère, à la sexualité, au feu ou à l’eau — il s’agit seulement de paraphraser et de caractériser approximativement un « noyau » significatif inconscient. Le sens de ce noyau n’a jamais été conscient et ne le sera jamais ; il a été et sera toujours uniquement interprété. »

Ainsi, le mythe n’est qu’une manifestation de la toute-puissance des archétypes : la raison même y est en sommeil, et le rationalisme appliqué à un problème fantastique et imaginaire n’est en profondeur qu’une intrusion, sous forme « actuelle », de la toute-puissance de notre inconscient.

Mythe bororo du feu destructeur

Soleil et Lune habitaient jadis sur la terre. Un jour qu’ils avaient soif, ils rendirent visite aux oiseaux aquatiques, qui gardaient l’eau dans de grandes et lourdes jarres.

Désobéissant aux oiseaux, Soleil veut soulever une jarre jusqu’à ses lèvres. Mais il la laisse échapper, elle se brise et l’eau se répand.

Les oiseaux se fâchent, Soleil et Lune se sauvent, les oiseaux les rejoignent dans la hutte où ils se sont réfugiés.

Maintenant, le Soleil est devenu trop chaud. Incommodés par son voisinage, les oiseaux agitent leurs éventails de vannerie, produisant un vent de plus en plus fort qui soulève Soleil et Lune et les fait monter jusqu’au ciel, d’où ils ne redescendront plus.


L’école phénoménologique et comparatiste : Mircea Eliade, Rêves, mythes et mystères (1957) ; Aspects du mythe (1963)

La perspective de Jung est féconde. De plus, elle s’enrichit des apports de la phénoménologie*, méthode empruntée au philosophe Husserl* et visant à la découverte de l’essence des objets. Le mythographe laisse de côté l’histoire et la culture du peuple chez qui l’on trouve le mythe. Il s’agit d’abord de définir le thème général de celui-ci. C’est par exemple la naissance du monde, le monde des Enfers, la terre mère, la végétation, etc. ; ce peut être aussi des thèmes moins importants, comme la bonté originelle de l’homme (mythe du bon sauvage). Pour mieux éclairer le thème du mythe, pour donner un sens à certaines particularités, le mythographe a recours à la comparaison avec les mythes ayant le même thème général, mais qui appartiennent à des cultures très éloignées les unes des autres dans l’espace et dans le temps (méthode comparatiste). L’hypothèse est bien d’origine jungienne : toute manifestation mythique est une manifestation culturelle façonnée par l’archétype. Par la comparaison, l’essence du mythe, sa signification première, apparaît au sein du thème. Cette signification est pour ainsi dire fonctionnelle : tous les mythes ne sont mythes que pour autant qu’ils possèdent une fonction religieuse possible. Par exemple, on découvre que les mythes de la création du monde, dans certaines cultures, visent à recréer le monde dans l’état où il était au moment même de la Création. Cette fonction peut entraîner la présence d’un rite. Ainsi, les Babyloniens récitaient chaque printemps leur mythe de la Création au cours d’une fête codifiée, dans le dessein de garantir au monde la même chance de produire des richesses agricoles que ce monde avait reçue des dieux au moment où ils le créaient.