Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mycènes (suite)

L’Argolide des Achéens, en effet, avait pu entrer très tôt en rapport avec les marins de la Crète minoenne ; au xve s. même, les Achéens avaient, à leur tour, franchi la mer et construit autour de Knossós un royaume. En Grèce même, les Mycéniens avaient étendu leur influence, imposant peut-être l’autorité de leur roi (ce qui paraît bien difficile à admettre), mais surtout leurs coutumes et leur art. Autour de Vafió (Vaphio) s’étendait un royaume laconien ; à Pylos régnait le sage Nestor ; à Athènes, à Thèbes, dans les îles abondent les souvenirs des rois. Partout se parlait le même grec, transcrit de la même façon à l’aide des signes empruntés à la Crète (écriture dite minoen linéaire B, déchiffrée par Michael Ventris et John Chadwick). En chacune des citadelles, qui, de terroir en terroir, engrangeaient les récoltes et protégeaient le plat pays (toutes les ressources en étaient soigneusement comptabilisées au profit du roi, qui en inscrivait la nature sur des tablettes d’argile), s’élevait le palais royal, où vivait le wa-na-ka (en grec anax, souverain), flanqué du la-wa-ge-te (en grec lawagetas, chef du peuple chargé de conduire à la guerre les compagnons du roi, guerriers brillants et entraînés capables de mener des chars au combat).

Le monde mycénien mourut dans la guerre au cours du xiie s. ; lors de l’invasion des Doriens, les greniers à blé brûlèrent, et, une fois dissous le pouvoir qui en maintenait l’administration, la Grèce tomba dans la division.

Le site de Mycènes

Dès le début du xxe s. av. J.-C., des hommes vinrent sur l’acropole, y creusant la fosse de leurs tombeaux, que les Achéens purent réutiliser à partir du xvie s. Au xive s. furent bâties les fortifications de calcaire aux blocs cyclopiques, une muraille de 1 200 m de développement, qui pouvait atteindre 17 m de hauteur et suivait le haut des ravins. Dans la muraille, au fond d’un étroit couloir à ciel ouvert que pouvaient surveiller des défenseurs, fut percée la « porte des lions », formée de deux têtes affrontées à une colonne sur un triangle de décharge de 3 m de hauteur : c’est la première sculpture monumentale de la Grèce, prière à la déesse protectrice de la citadelle, blason de la royauté. Peu à peu, au cours des siècles, devant l’audace plus grande des raids des Doriens, les défenses se perfectionnèrent. Ne se contentant plus de leurs citernes, les rois firent, par un audacieux souterrain, capter la source Perseia.

La voie royale menait de la porte au palais, demeure bien médiocre si on veut la comparer aux palais de la Crète, puisqu’elle aurait pu tenir dans la cour du palais de Knossós. Les murs ne s’ouvrant guère sur l’extérieur, la lumière venait des cours intérieures et des portiques. Le roi recevait dans le mégaron, pièce tripartite s’ouvrant sur la cour principale, devant le foyer central, flanqué de quatre colonnes. Les murs étaient décorés, comme en Crète, de fresques et de stucs peints. La forteresse protégeait aussi des demeures privées : la maison aux colonnes avec sa cour à portique et ses escaliers, la maison dite « du marchand d’huile ». Le bois entrait sans doute pour une grande part dans toutes ces constructions.

Ce sont les fouilles des tombeaux de la citadelle qui nous ont permis, depuis les travaux de Schliemann en 1876, de découvrir le visage des rois et la beauté d’une vie point aussi rude que pourrait le laisser supposer la raideur des fortifications. Tombes à fosses anciennes et réemployées, tombes à chambre, ou tholos, composées d’un couloir d’accès (dromos) aboutissant à une pièce sur laquelle s’ouvrent des petites chambres latérales (il y en a neuf à Mycènes, et la plus belle en est le « trésor d’Atrée » : le dromos s’enfonce dans le versant d’une colline sur une longueur de 36 m ; on entre dans la chambre funéraire par une porte décorée de demi-colonnes de pierre engagées ; l’ogive, pour un diamètre originel de 14,50 m, monte, appareillée d’assises circulaires, à 13,20 m de hauteur), sont riches d’objets : masques mortuaires d’or qui moulaient les visages des défunts, armes damasquinées décorées de scènes d’inspiration crétoise (chasses du lion, chasses dans les roseaux, fleurs de lis), coupes d’or au décor souvent naturaliste, bagues en or à l’art minutieux pouvant servir de cachet (comme cette représentation de la chasse du cerf que l’on trouve dans l’une des tombes à fosse), bijoux (bracelets, broches ou anneaux d’oreille) souvent voyants et toujours extraordinairement riches.

La céramique fut tout d’abord influencée par celle de la Crète ; elle en copia la plupart des éléments décoratifs (coquilles de nautile, dauphins, fleurs de lis), mais peu à peu s’en dégagea pour vouloir, tel ce fameux vase des guerriers, représenter, comme on ne le faisait alors que sur les fresques, des personnages et surtout pour découvrir l’abstraction de la forme traitée pour elle-même, la courbe d’une ligne qui n’eût pour s’épanouir pas besoin des bras d’un poulpe, et ainsi tracer les jalons de l’art géométrique.

Mycènes ne fut, après les invasions doriennes, qu’une ruine promise à la curiosité des archéologues. Mais, aux Grecs des temps classiques elle fut comme une préconscience ; leur langue, leurs mythes, leur art y plongeaient leurs racines. Mycènes habitait, sans qu’ils en fussent bien conscients, leur âme et prenait sa part du miracle grec.

J.-M. B.

➙ Achéens / Atrides (les) / Crète / Grèce.

 J. Chadwick, The Decipherment of Linear B (Cambridge, 1958, nouv. éd., New York, 1970 ; trad. fr. le Déchiffrement du linéaire B, Gallimard, 1972). / E. Vermeule, Greece in the Bronze Age (Chicago, 1964). / A. Severyns, Grèce et Proche-Orient avant Homère (Lebègue, Bruxelles, 1965). / R. Matton, Micènes et l’Argolide antique (Klincksieck, 1966). / G. E. Mylonas, Mycenae and the Mycenian Age (Princeton, 1966). / V. R. D’A. Desborough, The Greek Dark Ages (Londres, 1972).