Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mustafa Kemal

Surnommé Atatürk, homme d’État turc (Thessalonique 1881 - Istanbul 1938).



Introduction

Il naît dans une famille d’origine paysanne. Son père, Ali Rıza, d’abord petit fonctionnaire dans les services de la Dette ottomane, quitte en 1888 l’administration des finances et se lance dans le commerce du bois. À sa mort en 1893, la situation de la famille est assez précaire. Mustafa doit abandonner tôt l’école, pour accompagner sa mère chez un oncle, fermier près de Thessalonique.

Se sentant une vocation d’officier, il entre à l’école des cadets de Thessalonique malgré l’opposition de sa mère, qui veut en faire un « hodja » (prêtre). Très ambitieux, il se donne à ses études avec beaucoup d’application. À dix-sept ans, il quitte Thessalonique avec le surnom de Kemal (« perfection ») pour Monastir (auj. Bitola), la capitale de la Macédoine occidentale. En 1902, après de brillantes études à l’école militaire de cette ville, il est désigné pour suivre les cours de l’Académie de guerre d’Istanbul, où sont formés les cadres destinés au grand état-major. En 1905, à l’âge de vingt-quatre ans, il sort de l’École supérieure de guerre avec le grade de capitaine.

L’Empire turc est alors à l’agonie. Amputé à l’extérieur, il est en butte à toutes les humiliations. Ses finances et son commerce passent progressivement sous contrôle étranger. Il croule sous le poids de ses dettes, et son indépendance n’est plus qu’une fiction. Miné par la question d’Orient, il ne doit sa survie qu’à la rivalité des grandes puissances, qui s’épient jalousement en attendant de se partager les dépouilles de l’« homme malade ». Le Sultan maintient un pouvoir théocratique et gouverne selon les prescriptions de l’islām. Hostile à toute innovation, il s’appuie sur un clergé qui exerce son influence dans le sens de la religion la plus réactionnaire.


L’agitateur politique

C’est à Monastir que Mustafa Kemal prend conscience de cette situation. La capitale de la Macédoine occidentale constitue alors le centre de l’agitation. Les organisations secrètes y foisonnent. Mustafa découvre, à travers leurs publications, le caractère despotique du régime ainsi que l’incurie et la corruption des administrateurs impériaux. Il y puise aussi certaines théories qui préconisent le renversement de l’Empire. Très vite, il est gagné aux idées modernistes, que fortifie la lecture secrète de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, de Mirabeau et de Robespierre. Il écrit pour un journal clandestin des articles sur la liberté et appelle ses camarades à délivrer la Turquie des « vampires étrangers et des fonctionnaires sans scrupule qui la mettent au pillage ».

À Istanbul, il s’aperçoit, non sans étonnement, que la plupart de ses camarades de l’École de guerre partagent ses opinions à l’égard de l’Empire et se sentent humiliés par l’ingérence des puissances étrangères dans les affaires du pays. Il existe alors à l’École un cercle d’études, le Vatan, qui, outre ses activités officielles, tient des réunions clandestines et publie un bulletin bimensuel intitulé Vatan (« Patrie »), dans lequel les aspects traditionnels de la vie turque sont dénoncés avec une virulence toute particulière. L’islām y est présenté comme l’antipode du progrès, et le clergé comme l’ennemi du peuple. Les membres du Vatan s’engagent sur la foi du serment à délivrer le peuple de l’absolutisme du Sultan et de l’emprise du clergé, à extirper du pays les vieilles idées et à lui infuser des idées nouvelles.

Interdit à l’école, le Vatan cesse d’être un cercle d’études pour devenir une association secrète. Mustafa en assume alors la direction. À la fin de 1904, le groupe est découvert, et Mustafa est arrêté avec quelques-uns de ses amis. Mais, quelques semaines plus tard, le jeune capitaine est gracié et affecté à un régiment de cavalerie à Damas. Il ne renonce pas pour autant à ses activités politiques. Il n’abandonne pas son rêve de constituer une nation indépendante, moderne et libérée des entraves du passé. En Syrie, il gagne la confiance des jeunes officiers hostiles au régime et organise parmi eux plusieurs sections du Vatan. Mais il s’aperçoit que le pays n’offre pas un terrain propice à une action sérieuse et demande son affectation dans une garnison européenne. En 1907, il est nommé à l’état-major de la IIIe armée de Thessalonique.

La ville connaît alors une intense activité politique. Mustafa tente d’y organiser une section du Vatan. Mais les officiers sont déjà acquis au comité « Union et Progrès », mouvement moderniste qui préconise la lutte contre le despotisme du Sultan et l’institution d’un régime constitutionnel à l’instar des puissances européennes. Mustafa adhère à ce mouvement, mais ne tarde pas à entrer en conflit avec ses dirigeants, qu’il accuse de démagogie. Du reste, trop orgueilleux pour accepter l’autorité du comité, il est définitivement mis à l’écart.

Ainsi, en 1908, lorsque les Jeunes-Turcs du mouvement « Union et Progrès » prennent le pouvoir, il se trouve en dehors de la vie politique. Cependant, quand, en 1909, le sultan Abdülhamid II parvient, grâce à l’appui du clergé, à expulser le nouveau gouvernement, accusé d’athéisme, Mustafa contribue à sauver la situation, en mettant au service de la révolution l’armée de Macédoine, à laquelle il appartient comme officier d’état-major.

Revenus au pouvoir, les Jeunes-Turcs renvoient Mustafa en Macédoine, où il est nommé chef d’état-major de la IIIe armée. En 1910, Mustafa est chargé de réorganiser l’école d’officiers de Thessalonique. C’est alors qu’il commence à dénoncer les nouveaux dirigeants, leur reprochant de renouer avec la politique d’emprunt de l’ancien régime, d’ouvrir le pays à la pénétration allemande et de sacrifier ainsi son indépendance.


Le soldat

En 1911, Mustafa Kemal cesse toute activité politique pour se consacrer à son métier de soldat et lutter contre les agressions des pays européens. Il se distingue d’abord en Tripolitaine (1911-12) contre les Italiens, qui ont attaqué, sans préavis, cette province ottomane, ensuite au cours de la première guerre balkanique (1912-13) lorsqu’il parvient à interdire aux Bulgares l’accès de la presqu’île de Gallipoli. Cette dernière victoire sauve les Dardanelles et évite à la Turquie d’être envahie. En 1914, lors de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, Mustafa est un soldat confirmé. Il participe à la défense des Détroits, d’abord comme colonel, ensuite à la tête d’une division. Sa victoire d’Anafarta (août 1915) contre les forces alliées écarte pour un temps le danger qui pèse sur les Dardanelles. Dès lors, Mustafa Kemal est un personnage célèbre.

Cependant, il est conscient que le rapport des forces est favorable aux Alliés. Au surplus, le vainqueur des Dardanelles supporte mal l’emprise de l’Allemagne sur son pays. Il préconise la rupture avec cette puissance et la conclusion d’une paix séparée avec les Alliés.

Pour l’éloigner de la capitale, le gouvernement lui donne successivement le commandement du 16e corps d’armée au Caucase (1916), celui de la IIe armée en Arménie (1917) et celui de la VIIe armée en Syrie (1917-18).