Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musique (suite)

Un cénacle d’humanistes à Florence

Avec la Renaissance s’est répandu l’attrait pour la civilisation gréco-latine. À Florence, vers 1580, un gentilhomme de haute culture, Giovanni Bardi (1534-1612), réunissait en une sorte d’académie privée des humanistes épris d’art antique, cherchant à faire revivre la tragédie des anciens Grecs. Ces humanistes s’inspiraient de Platon, et la musique était souvent le sujet de leurs discussions. On rencontrait dans cette « Camerata de’Bardi » des érudits tels que Vincenzo Galilei (v. 1520-1591 ; père de l’illustre astronome), le poète Ottavio Rinuccini (1562-1621), les compositeurs-chanteurs Giulio Caccini, Jacopo Peri, l’organiste-compositeur Emilio de’Cavalieri. On venait de découvrir trois hymnes grecs sans pouvoir d’ailleurs en déchiffrer le contexte musical. Cela aiguilla V. Galilei vers une voie de rénovation quand il eut l’idée de composer des chants pour une voix avec accompagnement de luth sur des textes extraits de la Divine Comédie de Dante et des Lamentations de Jérémie. La polyphonie vocale en usage, avec ses multiples lignes mélodiques superposées, sacrifiait la clarté du texte, souvent noyé dans l’ensemble. Cette fois, le chant accompagné reste libre, peut épouser les moindres inflexions du texte, donner à chaque mot l’accent qui lui convient. Ainsi naît, par hostilité au contrepoint, un nouveau style monodique : le récitatif, accompagné de quelques accords laissant l’hégémonie à l’envol mélodique, à la déclamation. Après des essais dont la musique est perdue, Rinuccini et Peri collaborent pour produire une Euridice, représentée à Florence en 1600 lors du mariage d’Henri IV avec Marie de Médicis. Les récitatifs qui ont le pas sur le chant proprement dit sont entrecoupés de petits morceaux pour 3 flûtes, de chœurs, de danses qui se mêlent intimement à l’action. Des décors fixes et mouvants (« machines ») y font leur apparition, en sorte que nous sommes en présence d’un modèle de notre opéra* moderne. Croyant ressusciter la tragédie grecque, les Florentins ont créé le stilo rappresentativo (propre à la scène). Au surplus, l’accompagnement du chant par le clavecin, auquel peuvent s’ajouter le luth, le chitarrone (luth grave), la lyre, est fixé dans la partition par la basse continue (continuo), sur laquelle repose tout l’édifice sonore. Elle porte des chiffres qui indiquent la nature des accords à frapper et à enchaîner. Ce canevas chiffré va jeter les bases d’une science nouvelle : l’harmonie*, ou science des accords et de leur enchaînement, indépendamment de tout contexte mélodique, alors que, chez les polyphonistes, l’accord résultait de la rencontre fortuite de plusieurs voix. La même année 1600, Cavalieri donne à Rome la Rappresentazione di anima e di corpo (« la Représentation de l’âme et du corps »), sorte de drame liturgique fondé sur le nouveau style récitatif, prouvant ainsi qu’il convenait à la musique spirituelle. L’exécution ayant eu lieu à l’Oratoire (« lieu de prière ») de saint Philippe de Neri, le genre a pris le nom d’oratorio. Sa forme définitive, chez les Italiens, sera fixée par Giacomo Carissimi* (1605-1674), l’auteur de Jephté, qui a introduit le récitant. L’opéra va connaître une rapide expansion, d’abord à Rome avec Domenico Mazzocchi, Michelangelo Rossi, Stefano Landi, qui, dans la Mort d’Orphée (1619), introduit un air mi-tragique, mi-comique, amorce de l’opéra bouffe. Ces drames nouveaux se donnaient chez les princes, les grands seigneurs, où seule la haute société était conviée. La figure qui domine l’opéra naissant est celle de Monteverdi* (1567-1643). Virtuose de l’orgue, de la viole, chanteur, celui-ci est à vingt-deux ans le musicien en titre de la cour de Mantoue, l’une des plus brillantes de la Renaissance. Le prince Vincent de Gonzague, passionné de lettres et de musique, lui commande un spectacle à la manière des Florentins. Ce sera L’Orfeo de 1607, l’une des plus grandes œuvres de l’histoire de l’opéra. Le récitatif y prend une forme mélodique sans, pour cela, tomber dans le style stéréotypé de l’aria, et l’orchestre, composé de 36 musiciens, sans innover use avec ingéniosité du coloris instrumental. Venise va jouer un rôle important en ouvrant le premier opéra public, le théâtre de San Cassiano (1637). Les décors, les machines, les jeux de lumière ajoutent au faste des représentations, où brillent un Pier Francesco Cavalli*, auteur d’un Ercole amante, Antonio Cesti, vite populaire avec son opéra Dori. S’adressant à un public plus vaste, populaire, les compositeurs vont s’orienter vers un art plus direct. La longue mélodie du style récitatif va s’écourter, les chansons vont s’y intercaler, et l’opéra va tendre vers un ensemble d’airs découpés. Bientôt, la voix sera reine, s’ornera de trilles, de traits de virtuosité, apanages du « bel* canto », qui connaîtra son apogée avec l’école napolitaine, la dernière en date et dont Alessandro Scarlatti* (1660-1725), le père du claveciniste Domenico, auteur d’une centaine d’opéras, est le maître incontesté. L’usage abusif de l’aria à da capo, avec la reprise obligée du début, va altérer pour longtemps le sens dramatique du genre, qui perdra de son originalité. Il essaimera dans toute l’Europe, sauf en France, où réagit Lully.


Le style concertant

Voulant retrouver la tragédie grecque, les Florentins ont créé le style récitatif, l’opéra, l’oratorio, développé l’harmonie avec la généralisation de la basse continue. Une dernière conquête, tout aussi involontaire, sera la « sonate classique » et ses dérivés. L’orgue, le luth, le clavecin avaient un répertoire. La suite, ou partita, composée de danses juxtaposées, sera cultivée au xviie s. et jusqu’au début du xviiie. L’alternance des mouvements lents et vifs, comme allemande et courante, sarabande et gigue, va se retrouver dans la sonate*. La sonata, en Italie, désignait un morceau instrumental, en opposition à la cantata, pièce chantée, puis le solo accompagné. La monodie florentine passe tout naturellement à l’instrument. Soutenu par l’orgue, le solo donne la « sonate d’église ». À côté, on aura la « sonate de chambre » ou profane, le mot chambre désignant l’organisation des cours princières. Les deux genres vont se confondre, et le violon en sera vite le support essentiel grâce aux progrès considérables de sa facture, œuvre des luthiers de Crémone. Il faut citer ici les belles sonates du violoniste Arcangelo Corelli* (1653-1713), bâties sur le schéma lent-vif, lent-vif. Une forme très vite répandue, la « sonate à 3 », conjugue deux violons qui dialoguent (survivance du contrepoint), tandis que la basse continue (chiffrée), jouée au clavecin ou à l’orgue, doublée par une basse d’archet, réalise le remplissage harmonique. Ce trio de cordes, cultivé durant trois quarts de siècle, représente une première forme de style concertant que beaucoup appellent baroque, terme qu’aucune logique ne peut imposer. Toutefois, le concerto* sous ses deux formes représente dans toutes ses conséquences le style concertant. La première, toujours vivante, oppose un soliste virtuose à l’orchestre accompagnateur ; le violon, la flûte, la trompette, la harpe, la mandoline ont été à l’honneur à la fin du xviie s. et au début du xviiie grâce à de nombreux maîtres, dont Vivaldi*. La seconde forme oppose un petit groupe de solistes, le « concertino » au reste de l’orchestre, le « concerto grosso », qui donne son nom au genre. Il y a dialogue ou accompagnement. Giuseppe Torelli semble en être le créateur, mais Corelli, Alessandro Stradella, A. Scarlatti et Tomaso Albinoni ont joué leur rôle. Pour clore la liste des inventions italiennes du xviie s., il faut signaler que la symphonie* classique, née au milieu du xviiie s., doit son origine au transfert à la salle de concert de la sinfonia en 3 parties, prélude instrumental des opéras de A. Scarlatti. Un premier modèle de la forme classique, à part un essai du Liégeois Jean-Noël Hamal en 1743, semble fourni par Giovanni Battista Sammartini (v. 1700-1775).