Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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music-hall (suite)

Les attractions, et même les chanteurs, passaient d’un pays à un autre : Fragson traversait fréquemment la Manche. Paris fit un triomphe aux Italiens Leopoldo Fregoli (1867-1936, célèbre par son numéro de « transformations ») et Enrico Rastelli (1896-1931, un jongleur éblouissant), un triomphe aussi à l’Anglais Little Tich (Harry Relph [1868-1928]) — et à de multiples numéros internationaux. Certains music-halls furent même dirigés de l’étranger. L’Alhambra fut dirigé un moment par T. Barrasford, puis par Charles Gulliver, qui habitaient Londres ; Edmond Sayag dirigeait les Ambassadeurs de Paris et le Casino d’Ostende. Il fallait en effet établir des échanges internationaux pour que les attractions passent d’une scène à l’autre. Des revues de Jacques-Charles furent reprises aux États-Unis, et ce dernier en fit venir de l’étranger : c’est ainsi que les Parisiens purent applaudir dans une revue anglaise C. S. Chaplin* (encore inconnu, il n’était pas le grand Charlot du cinéma) et que Joséphine Baker (1906-1975) put conquérir Paris dans la Revue nègre, avec les Black Birds, au théâtre des Champs-Élysées (1925).


Vers le déclin

Alors que le music-hall semblait à son apogée, après la Première Guerre mondiale, il dut faire face à un nouveau concurrent, le cinéma. Il ne put lui résister et, tout comme le music-hall avait peu à peu supplanté le café-concert, le cinéma détruisit peu à peu le music-hall.


La concurrence du cinéma et de la radio

Inventé par les frères Lumière en 1895, le cinéma* n’avait pas été jusqu’ici un concurrent trop dangereux. Il se développait cependant : on comptait onze salles de cinéma à Paris en 1920, quarante-trois en 1922. En 1928, le premier film parlant, le Chanteur de jazz, avec une vedette de music-hall, Al Jolson, fut projeté à Paris, bientôt suivi par le Fou chantant, puis par Sous les toits de Paris, de René Clair (1930). Le public délaissa le music-hall pour fréquenter le cinéma parlant. Ce phénomène se produisit dans tous les pays.

En même temps, d’autres modes de loisir se développèrent. Les premières émissions radiophoniques expérimentales françaises eurent lieu en 1921 à partir de la tour Eiffel. Dès 1931, trois postes d’État (Radio-Paris, Tour-Eiffel, Radio P. T. T.) et des postes privés (Poste Parisien, Radio-Toulouse, Radio-Vitus, Radio L. L., qui deviendra Radio-Cité) diffusent des programmes où la chanson tient une bonne place : le music-hall arrive à domicile.

Si bien que beaucoup de music-halls furent mis en difficulté. Beaucoup d’entre eux « passèrent à l’ennemi » et se transformèrent en cinémas. Pour certains, ce fut une transformation momentanée : l’Alhambra en 1934, puis, après un retour au music-hall, en 1936 ; Bobino en 1929 ; le Palace et l’Empire en 1931 ; l’Olympia en 1929 ; ils revinrent parfois quelque temps au music-hall, mais, pour la plupart, ce ne fut qu’un simple sursis. Pour d’autres, la transformation en cinéma fut définitive : Ba-ta-clan en 1932, la Gaîté-Rochechouart, etc. Certains devinrent des théâtres, comme l’Apollo, dès 1929, ou les Ambassadeurs (bien qu’en 1935 Jean Tranchant y ait présenté une célèbre émission, le Music-hall des jeunes). Les années 30 furent fatales à la plupart des music-halls de variétés.


Le renouveau de la chanson dans les années 30

Mais la chanson des années 30 se renouvelait complètement, passant des anciens genres du café-concert, que le music-hall avait perpétués, à une fraîche exubérance où s’alliaient l’influence du jazz américain et la tradition folklorique française, le surréalisme et la poésie populaire, avec Mireille, Jean Nohain, Pills et Tabet, Jean Tranchant, Germaine et Jean Sablon — et surtout Charles Trenet (v. chanson).

C’est alors que, misant sur la qualité, Mitty Goldin créa en 1934 un nouveau music-hall : l’ABC. En ces temps d’impérialisme cinématographique, cette création était une gageure. Elle réussit.

Paradoxe, l’ABC, « théâtre du rire et de la chanson » (11, boulevard Poissonnière), succédait au Pavillon, music-hall permanent, lui-même successeur du Plaza — qui était une salle de cinéma avec attractions créée en 1928. Mitty Goldin suivait donc une évolution à contre-courant. Mais il sut attirer dans son établissement les meilleurs des jeunes chanteurs de l’époque, ceux qui étaient justement en train d’apporter un sang nouveau à la chanson. C’est à l’ABC que Charles Trenet fit en 1937 ses débuts d’interprète seul (et non plus en duettiste avec Johnny Hess). On put aussi y applaudir Agnès Capri, les Comedian Harmonists, Lys Gauty, Gilles et Julien, Annette Lajon, Edith Piaf et de nombreux chansonniers. L’ABC continua pendant la Seconde Guerre mondiale sous une autre direction, puis contribua à relancer la chanson de qualité après 1944, avec Yves Montand, les Compagnons de la chanson, etc. Il fut cependant transformé en cinéma en 1965, après trente ans de chansons — trente ans de sursis.


Mort du music-hall de variétés

Malgré le succès consolant de l’ABC, les music-halls de variétés continuèrent de disparaître un par un. La télévision, le développement du disque — et l’évasion des citadins vers la campagne grâce à leur voiture — ont accentué encore les difficultés des derniers music-halls. Depuis les années 50-60, la chanson appartient tout entière aux moyens de masse de la société dite « de consommation ». Par le disque, elle dépend d’une industrie qui a ses règles propres. En trois semaines de passage dans un music-hall, l’artiste peut espérer toucher au mieux quarante à cinquante mille spectateurs ; il en touche immédiatement des millions, d’un seul coup, par la télévision. Il n’a plus besoin du music-hall pour être célèbre. Le passage dans un music-hall ne vient donc qu’après le succès obtenu par le disque et la télévision.

Les derniers music-halls ont dû s’avouer vaincus : l’Empire (39, av. de Wagram), qui avait remplacé l’Étoile-Palace en 1924, est équipé pour le Cinérama après 1945 et donc perdu pour le music-hall. L’ABC redevient un cinéma en 1965. On démolit en 1966 Tabarin (rue Victor-Massé), un music-hall qui avait repris le nom d’un vieux cabaret créé en 1895. L’Alhambra (50, rue de Malte), créé en 1850, après quelques grands succès dans les années 1950 (Aznavour, Ferrat, Ferré), est démoli en 1967. L’Alcazar de Marseille, l’un des rares music-halls de province, dont la renommée était considérable depuis sa fondation en 1880, doit fermer en 1966. Le dernier à disparaître est le Concert Pacra (10, boulevard Beaumarchais), qui avait été créé sous un autre nom en 1885 ; la salle est démolie en 1972.

En 1973, après cette dernière démolition, il ne reste plus en France que deux music-halls de variétés, à Paris : Bobino et l’Olympia.

Mais les music-halls qui perpétuent le style des grandes revues de la Belle Époque sont par contre toujours florissants. Contrairement au café-concert de jadis et au music-hall d’hier, ils s’adressent à une clientèle fortunée et souvent étrangère : le Casino de Paris, les Folies-Bergère, le Lido, le Mayol, le Moulin-Rouge (1973).