Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Muḥammad V ou Mohammed V (suite)

Parallèlement, il prend conscience de ses responsabilités de souverain et s’attelle d’abord à l’établissement de son autorité sur le makhzen. Pour atteindre cet objectif, il s’appuie sur le pacha de Marrakech Al Ḥādjdj Thāmī al-Glāwī, dit le Glaoui, contre le puissant vizir al-Moqrī. Mais, une fois son pouvoir récupéré à Rabat, il se retourne contre le Glaoui au nom de la supériorité du pouvoir central sur les grands fiefs.

À partir de 1936, son pouvoir s’étend grâce au général Noguès (1876-1971), un ancien collaborateur de Lyautey au Maroc. Renouant avec la tradition du maréchal, le nouveau résident général mène, pendant près de sept ans, une politique d’entente et de collaboration avec le palais.


Le sultan et les nationalistes

Son trône affermi, Muḥammad V entreprend de se dégager de la tutelle étrangère.

Dès 1934, il est attiré par le mouvement nationaliste né en 1930 à la suite de la promulgation du dahir (ẓahīr, texte législatif) portant sur l’organisation de la justice en pays berbère et considéré comme une entreprise anti-islamique des autorités du protectorat visant à l’assimilation d’une partie de la population et, par conséquent, à la division du Maroc.

Toutefois, le jeune sultan ne se déclare pas ouvertement nationaliste et adopte même une attitude prudente et réservée vis-à-vis du mouvement national. Il ne sort de sa réserve qu’en 1943, à la suite de l’évolution de la conjoncture internationale. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle le peuple marocain prend, sous son instigation, une bonne part aux côtés des forces alliées, il sent le moment venu de s’émanciper. Sa rencontre en 1943, à Anfa, avec le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt lui ouvre les perspectives de libération du Maroc avec l’appui américain. Désormais, Muḥammad V s’engage à fond dans l’action politique pour demander l’émancipation de son pays et affirmer sa souveraineté sur le Maroc.

Il s’entoure de jeunes nationalistes et complète à leur contact sa formation politique. À la fin de 1943, il favorise le rapprochement de tous les nationalistes, qui se constituent en un seul parti : al-ḥizb al-Istiqlāl ou parti de l’indépendance. Le 11 janvier 1944, trois semaines après sa fondation, le nouveau parti soumet au souverain un manifeste réclamant la reconnaissance de « l’indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale sous l’égide de S. M. Muḥammad ibn Yūsuf ». Et le sultan ne manque pas de le communiquer, par l’intermédiaire de son entourage, au résident général ainsi qu’aux représentants diplomatiques des puissances alliées.

Mais, non préparé à la lutte, il ne résiste pas aux pressions des autorités françaises, incite l’Istiqlāl à modérer sa position et écarte du Conseil des ministres les deux membres qui ont appuyé sans réserve les revendications nationalistes.


Le chef du mouvement national

Après une période difficile, durant laquelle le mouvement national est décapité, Muḥammad V reprend son action en faveur de l’indépendance. Reçu par le général de Gaulle en 1945, il fait part au chef du gouvernement provisoire des aspirations du peuple marocain à la liberté. Quelque temps plus tard, il prend ouvertement la direction du mouvement national.

Son discours de Tanger (10 avr. 1947), dans lequel il souligne le caractère arabo-musulman du Maroc sans faire la moindre allusion à la puissance protectrice, est interprété par les autorités françaises comme un acte d’indépendance. Désormais, l’attitude du sultan vis-à-vis de la France est de plus en plus ferme. Muḥammad V conteste l’interprétation du gouvernement français selon laquelle les pays du protectorat font partie ipso facto de l’Union française. Bien plus, pour affirmer sa souveraineté sur le Maroc, il refuse de signer les mesures législatives et administratives qui lui sont soumises par la Résidence. Invité en France en 1950, il résiste aux pressions du gouvernement de la République et demande au cours de conversations politiques une modification profonde des relations franco-marocaines.

En 1951, il entre en conflit ouvert avec les autorités du protectorat. Sommé par le résident général de désavouer les représentants de l’Istiqlāl au Conseil du gouvernement — qui profitent de la discussion du budget pour le présenter comme servant uniquement les intérêts des Français du Maroc —, il refuse de s’exécuter sous prétexte qu’il est au-dessus des partis.

Les autorités françaises s’appuient alors sur le Glaoui, qui parvient, grâce à son influence dans les milieux berbères, à réunir autour de lui des caïds contre le sultan et les nationalistes. Parallèlement, le pacha de Marrakech dépêche des cavaliers de tribus berbères dans les villes de Fès et de Rabat.

À la fin de février 1951, cédant à ce coup de force, Muḥammad V rend hommage à la France, accepte de se séparer de ses collaborateurs de l’Istiqlāl et autorise le grand vizir à condamner les méthodes de ce parti.

Mais le mouvement national sort renforcé de la crise de 1951. L’Istiqlāl consolide ses assises populaires et élargit son audience internationale. À l’automne 1951, la question marocaine est même portée pour la première fois à l’ordre du jour de l’O. N. U.


De l’exil au pouvoir

L’évolution des rapports de force encourage le sultan marocain, qui revient à la charge avec plus de vigueur. Le 14 mars 1952, dans une note au président de la République, Muḥammad V réclame l’ouverture de négociations pour garantir au Maroc sa pleine souveraineté et établir des relations avec la France sur des bases nouvelles. Les autorités françaises envisagent alors l’éloignement de ce souverain, avec lequel ils ne conçoivent plus de collaboration possible. Comme en 1951, elles suscitent contre lui l’opposition de certains chefs berbères, qui réclament son remplacement. Le 20 août 1953, le résident général est autorisé à déposer Muḥammad V, qui refuse d’abdiquer. Exilé d’abord en Corse, puis à Madagascar, Sidi Muḥammad ibn Yūsuf gagne en popularité et devient aux yeux du peuple marocain le symbole de la lutte de libération nationale. À l’automne 1955, il est l’interlocuteur le plus valable auquel le gouvernement français fait appel pour mettre fin à la résistance armée et trouver une solution à la question marocaine. Il mène alors des négociations avec la France qui aboutissent, le 2 mars 1956, à la reconnaissance de l’indépendance du Maroc. Le 7 avril, l’Espagne reconnaît, elle aussi, l’indépendance du Maroc.