Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mozart (Wolfgang Amadeus) (suite)

La musique destinée à la liturgie des loges maçonniques dont il fit partie constitue l’autre volet de la musique sacrée de Mozart. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve dans l’Ode funèbre (KV 479a) le cantus firmus grégorien emprunté à la musique traditionnelle des défunts et que le musicien reprendra dans le Requiem. Il ne reste que deux pages d’une suite instrumentale destinée à la tenue des loges (KV 440a et 440d), mais elles se situent dans l’univers spirituel du trio KV 593, du dernier concerto pour clavier et du concerto pour clarinette. Dans certaines cantates maçonniques (KV 420a, KV 471, KV 619 et KV 623), on trouve des pages atteignant les sommets des messes et de la la Flûte enchantée. Enfin, il ne faut pas oublier que Mozart, auteur d’admirables mélodies, est aussi l’inventeur du lied, de cette création réputée schubertienne et romantique, dans cette Abendempfindung an Laura (KV 523), qui est déjà un chef-d’œuvre du genre.


Opéras de jeunesse

Le centre de gravité du monde musical de Mozart, sa référence essentielle, se situe dans le théâtre lyrique. Mais l’opéra mozartien constitue une réussite si solitaire qu’il ne se trouve rien qui puisse lui être comparé ; seule l’intimité prolongée permet d’en entrevoir les lignes de force. Les dons exceptionnels de l’enfant se révèlent dès les premières partitions ; dès Apollo et Hyacinthus (KV 38), La Finta semplice (KV 46a) et Bastien et Bastienne (KV 46b), œuvres d’un enfant de onze ans, le génie de la caractérisation musicale des personnages et des situations apparaît clairement ; le « Singspiel » sur le livret d’après la bergerie de Favart permet d’entrevoir déjà les lieder scéniques de l’Enlèvement au sérail et de la Flûte enchantée.

Avec la « festa teatrale » ou « serenata » Ascanio in Alba (KV 111), Mozart fait son apprentissage dans l’« opera seria », mais avec un tel éclat que le grand Hasse, assistant à la création, affirme que ce jeune homme de quinze ans « nous fera tous oublier un jour [...] ». Et, de fait, on y perçoit déjà cette vérité musicale nouvelle, ces soupirs et ces battements de cœur qui font passer de la convention à la vie frémissante et qui nous émeut encore. Dans Lucio Silla (KV 135), Mozart tentera même, comme il le fera une fois encore à la veille de sa mort dans La Clemenza di Tito (KV 621), de mettre en scène les grands idéaux de liberté et d’amour de l’humanité en s’adressant pour ainsi dire directement aux spectateurs à travers ses personnages. À Prague, l’impératrice s’en rendra si bien compte qu’elle traitera Titus de « porcheria tedesca », et le public milanais de Lucio Silla sera désorienté, lui aussi, quinze ans plus tôt par une œuvre si fortement en avance sur son temps.

L’étape suivante, essentielle, c’est le chef-d’œuvre révolutionnaire qui passe en janvier 1781 sur la scène de l’Électeur de Bavière : Idomeneo, re di Creta (KV 366). Cette partition achève et dépasse le cadre de l’opera seria ; elle couronne une longue évolution culminant dans les plus belles pages de Rameau, en ouvrant les voies aux grands oratorios de Haydn et, mieux encore, aux opéras d’atmosphère comme le Vaisseau fantôme de Wagner ; il n’était pas possible d’aller plus loin dans la transposition d’une action scénique sur le plan intérieur de l’oratorio. C’est dans Idomeneo que l’on trouve pour la première fois l’andante sostenuto, que Mozart reprendra dans Don Giovanni et dont Beethoven fera le premier mouvement de la sonate dite « au clair de lune ».


Les cinq « grands » opéras

Après Idomeneo, c’est l’Enlèvement au sérail (KV 384), le premier des cinq grands opéras mozartiens, l’épithalame adressé à Constance aussi, l’héroïne centrale portant le nom de sa femme. Il n’y a pas un numéro de la partition qui n’exprime parfaitement et le caractère de chaque personnage et ses sentiments de l’instant ; nous savons qui va intervenir, nous pressentons ce qui va se passer, nous sommes associés à l’action dès les premières mesures de l’orchestre. Comme il faut bien classer les œuvres dans les genres, on dit de l’Enlèvement qu’il est un singspiel* en raison du respect de certaines conventions extérieures ; il suffit, pourtant, d’étudier par exemple l’étonnant caractère musical d’Osmin pour se rendre compte qu’on en est fort loin et que la densité humaine des êtres que nous voyons agir et chanter est d’un tout autre ordre. La sympathie sincère du créateur à l’égard de tous les personnages de son œuvre, sa conception très profonde des petites comme des grandes qualités des hommes conquiert le public le plus exigeant ; la musique de Mozart semble supprimer les conventions du théâtre lyrique.

Les Noces de Figaro (KV 492) sont aussi éloignées de l’opéra bouffe traditionnel que l’Enlèvement l’est du singspiel du xviiie s. On est immédiatement frappé par la vérité nouvelle des récitatifs secco, formule stéréotypée s’il en est d’entre tous les lieux communs de la musique dite « classique ». Mozart fait de ces conversations musicales quelque chose d’aussi naturel et d’aussi beau que l’alexandrin français manié par Racine ou Molière. On ne peut guère lui comparer pour la vérité des dialogues musicaux que Moussorgski, Debussy ou Richard Strauss. L’œuvre de Beaumarchais* est très directement liée à l’actualité de cette période prérévolutionnaire (1786), alors que l’opéra de Mozart anticipe, notamment dans son final, le monde musical et humain de la 9e symphonie de Beethoven. Ce n’est pas un hasard si la comtesse chante un air qui n’est autre que l’Agnus Dei de la Messe du Couronnement : au-delà des bouleversements et des revendications d’ordre social, dont Mozart ne fait pas abstraction, l’action de la « folle journée », chez lui, débouche sur le plan métaphysique, spirituel, et l’on pourrait sous-titrer son œuvre — qui contient par ailleurs les premiers vrais ensembles de l’histoire du théâtre lyrique — à la manière d’un traité de théologie : « où il est démontré qu’il existe des anges... »