Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mozart (Wolfgang Amadeus) (suite)

Du quintette en mi bémol pour haubois, clarinette, cor, basson et piano (KV 452), Mozart a écrit lui-même, dans une lettre à son père, qu’il le tenait pour « le meilleur qu’il avait écrit » et qu’il avait reçu « un accueil extraordinaire » ; il ajoute même qu’il « s’est fatigué en le jouant »... C’est un modèle de perfection formelle, un véritable enchantement sonore, et pourtant une musique dont le message spirituel est proche des œuvres pour clarinette et du dernier concerto pour piano. Quelques mois plus tard, Mozart inventa le quatuor pour trio à cordes et piano en le dotant immédiatement d’un bouleversant chef-d’œuvre en sol mineur (KV 478). Un merveilleux trio pour piano, clarinette et alto (KV 498), que le musicien aurait composé pendant une partie de quilles, est un modèle de musique de chambre où les trois partenaires ont une importance rigoureusement égale comme dans les plus beaux de ses trios pour violon, violoncelle et piano, ceux en mi majeur (KV 542) et en ut majeur (KV 548), musique « profonde » s’il en est, mais qui n’oublie jamais qu’il faut d’abord que cela sonne et qu’on ait plaisir à la jouer ; on peut très bien ne jamais vivre la « profondeur » de ces pages et pourtant les apprécier pleinement. Le trio en mi anticipe Cosi et le trio en ut la Flûte enchantée ; le dépouillement de ce dernier fait parfois songer à A. von Webern.

Une cinquantaine de sonates et variations pour piano et violon pèsent moins lourd dans la balance que ces deux trios ; pourtant, les trois dernières révèlent une perfection du style contrapuntique qui est comme un hommage à J.-S. Bach. Il est vrai aussi qu’il y a l’extraordinaire sonate en mi mineur (KV 300c), écrite à Paris presque en même temps que la sonate pour piano en la mineur (KV 300d) ; « issue des régions les plus profondes du sentiment, dit Alfred Einstein, et non plus tout à fait alternée, dialoguée, quant à la forme, mais d’un caractère touchant au dramatique, au seuil de cet univers inquiétant dont Beethoven a ouvert les portes ». Pour pousser la sonate pour violon et piano aussi loin qu’il a conduit les autres genres, Mozart aurait dû faire ce qui lui déplaisait le plus : ajouter au désordre du cœur humain l’angoisse inquiétante de la musique.

Les dix-huit sonates pour piano de Mozart se répartissent en cinq grands cycles aux tonalités enchaînées qui mériteraient à elles seules une étude d’importance. L’idéal de la sonate mozartienne est peut-être celle en si bémol (KV 570), mais les deux grandes sonates en mineur nous émeuvent davantage encore. Celle en la mineur (KV 300d) est une offrande mortuaire de Mozart à sa mère, à son maître salzbourgeois Anton Cajetan Adlgasser et à Maximilien de Bavière, l’un des rares grands de son temps qui semble avoir compris le compositeur. Celle en ut mineur (KV 457), que Mozart dotera un peu plus tard d’une monumentale fantaisie introductive (KV 475), est bien la « pathétique » du musicien ; non seulement elle annonce l’œuvre beethovénienne, mais elle l’égale et la dépasse. C’est sur les mêmes sommets que se situe l’énigmatique rondo en la mineur (KV 511), autre offrande mortuaire assurément. La plus prestigieuse des séries de variations, celle sur un thème de Gluck (KV 455), offre un raccourci de l’esthétique pianistique, mais aussi de la virtuosité improvisatrice de Mozart ; on y trouve un concentré de son art, des pages dignes d’un quatuor à cordes ou d’un grand concerto. Parmi les pages pour plusieurs interprètes, il faut connaître au moins les sonates à quatre mains en fa (KV 497) et à deux pianos en (KV 375a), où se rencontre déjà cette correspondance idéale de la perfection formelle, de la science architecturale et de la profondeur de l’expression qui fait toute la valeur des concertos.

Sur les trente concertos pour piano de Mozart, il y en a vingt grands, épuisant les possibilités à l’intérieur du genre. Le concerto en mi bémol (KV 271) est l’« Eroica » de Mozart, dédié à une pianiste française et évoquant donc la grandeur, l’héroïsme et la désolation des plus belles pages lyriques de Rameau. Les concertos en mineur (KV 466) et en ut mineur (KV 491) sont intensément préromantiques ; celui en la (KV 488) ouvre la porte à Chopin, surtout dans l’étonnant mouvement central en fa dièse mineur. Celui en ut (KV 467) est bien le « Jupiter » des concertos ; celui en mi bémol (KV 482) est un pur ravissement, qui n’ignore pas pour autant la peine profonde et la fine mélancolie des fins d’automne ou le lyrisme de Cosi. Mais le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, c’est l’ultime concerto en si bémol (KV 595), écrit quelques mois avant la mort du musicien : extrême économie et concentration des moyens, rondo débouchant sur une sorte de chanson enfantine appelant le « beau mois de mai » et larghetto central qui est une des plus profondes révélations de toute la musique.


Pour l’église et pour les loges

Sur les soixante grandes partitions destinées à l’église, deux seulement ont été commandées à Mozart : la messe en ut mineur (KV 139 ou, plus exactement, KV 47b) et le Requiem. Or, cette messe (KV 47b) du musicien de douze ans ne relève en rien de l’esthétique de la musique sacrée de son temps ; sans même recourir à des cantus firmus grégoriens, aux modes ecclésiastiques ou apparentés — ce qu’il fera ailleurs —, il y a là un recueillement et une gravité, une intensité dramatique et spirituelle qui nous surprennent encore. Quelle profondeur d’accent, étrangère à toutes les habitudes du genre, dans le Salus infirmorum de telles litanies (KV 186d) de l’adolescent, dans le Kyrie de Munich (KV 368a) ou dans tel psaume des Vêpres (KV 321 et 339), surtout l’inoubliable Laudate Dominum (KV 339) ! Et que dire de la grande messe « votive » en ut mineur (KV 417a), de son double chœur sur le Qui tollis ou de ce sommet solitaire de l’Et incarnatus est, où Mozart atteint plus que le « jubilus » grégorien, presque le chant d’un oiseau louant naturellement la source d’amour de l’univers. L’Ave verum (KV 618) demeure une référence démontrant qu’il est parfaitement possible au génie d’unir le style le plus neuf et le plus personnel à une profondeur d’expression immédiatement perceptible au point de paraître intemporelle. Mais, même dans une œuvre aussi parfaitement conforme aux canons de l’époque que la Messe du Couronnement (KV 317), les mots « et sepultus est » sont traduits par un motif que l’on retrouvera dans l’Ode funèbre maçonnique (KV 479a). Et depuis que nous connaissons l’histoire exacte du Requiem (KV 626) et que nous savons ce qui est de la main de Mozart, nous pouvons mieux apprécier ce chef-d’œuvre inachevé. Il faut espérer que le temps n’est pas loin où l’on comprendra l’envergure de l’oratorio Betulia liberata (KV 118, mais qui devrait être KV 75c ou 93e), si curieusement négligé par la postérité.