Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabes (suite)

Toutes ces idées ont profondément pénétré les masses. C’est que les idéologies concurrentes se révélaient d’une puissance mobilisatrice bien plus faible en face des problèmes que les peuples arabes avaient à affronter, qu’il s’agisse de l’idéologie religieuse, des idéologies sociales ou de celles qui peuvent se former autour des affiliations étatiques ou de clan. Cela n’exclut pas la force réelle de ces affiliations de tout ordre. Mais la puissance de l’idéologie « arabiste » pousse à réinterpréter toute idéologie concurrente dans le cadre de l’arabisme, donne une mauvaise conscience quand une attitude, une action déterminée, inspirées par les autres affiliations, entrent en contradiction avec celui-ci.


Idées et action politique

La substructure qui accorde cette suprématie à l’idée arabiste vient des problèmes communs qui se posent aux peuples arabes. L’effort vers l’indépendance et vers une modernisation autonome a rencontré les mêmes obstacles : essentiellement, les impérialismes politiques européens et la suprématie économique européo-américaine, qui tendait à subordonner tout développement économique modernisateur aux intérêts d’ensemble de cette économie dominante.

Les premiers défenseurs du nationalisme arabe ont été des membres des couches possédantes : dynastes, grands propriétaires fonciers, etc. Ils ont essayé de réaliser leurs objectifs dans le cadre de l’ordre international existant. Ils ont été poussés par là à des compromis ou à des renoncements partiels. D’où une orientation beaucoup plus radicale qui s’est fait jour progressivement au fur et à mesure que la direction du mouvement passait à des couches sociales de niveau moins élevé (petite bourgeoisie).

L’obstination des Occidentaux et notamment des Américains, à l’époque de la guerre froide, à tenter de former un bloc moyen-oriental, immense base militaire pour la lutte contre le danger soviétique, a particulièrement contribué à radicaliser les masses arabes. En effet, il en résultait la consolidation du statu quo social et international sous la direction des Occidentaux, la mobilisation contre un péril qui ne paraissait (au pis) que très lointain aux Arabes, en négligeant les problèmes qui s’imposaient à eux primordialement (poursuite de la décolonisation notamment au Maghreb, question israélienne), l’alliance au moins indirecte avec des adversaires (Grande-Bretagne, France, Israël), la subordination (par suite de leur primauté militaire) à des États musulmans moyen-orientaux d’un pro-occidentalisme décidé comme la Turquie et l’Iran, étrangers aux problèmes arabes. Les Arabes ont éprouvé ces efforts comme une machination destinée à les embrigader (comme en 1914-1918) dans une lutte ne les concernant en rien pour les intérêts des puissances dominantes, alors que les leurs continueraient à être sacrifiés.

D’où, par contraste, une sympathie de plus en plus affirmée pour l’Union soviétique, qui, naturellement, s’opposait à ces projets. Elle a paru la grande puissance industrielle non colonisatrice opposée aux impérialismes coloniaux, comme l’Allemagne avant 1939. Assurément, la bourgeoisie arabe n’avait aucune sympathie pour le communisme, mais l’Union soviétique, à partir de 1955 environ, traite en alliés, sans considération de régime, tous les opposants à l’hégémonie européo-américaine, même neutralistes. De plus, la bourgeoisie capitaliste formait en général une couche limitée et faible. Par contre, une couche très nombreuse d’intellectuels ou de semi-intellectuels, sans emploi ni influence dans les régimes où dominaient propriétaires fonciers et capitalistes, envisageaient sans déplaisir (pour le moins) l’instauration de régimes à secteur d’État puissant, où ils formeraient des cadres administratifs dirigeants.

Le nationalisme arabe fournissait une idéologie très adaptée à la lutte pour l’indépendance et la modernisation, justifiant l’alliance avec ceux qui respectaient cette lutte, communistes ou non (par exemple, la France gaulliste également), ainsi que l’instauration d’États forts dominant et mobilisant l’économie au service de la lutte. Il s’oppose également à une fragmentation de cette lutte par recours des États arabes particuliers à un égoïsme sacré (par exemple, à l’attitude tunisienne). Il s’oppose aussi à un nationalisme panmusulman, du fait notamment de l’appui américain à un regroupement musulman anticommuniste, tirant parti de la propagande d’État athéiste dans les masses musulmanes des pays communistes (Asie centrale soviétique et chinoise, Albanie, etc.), noyant les revendications arabes dans les préoccupations d’États pro-occidentaux comme la Turquie et l’Iran.

Toute idéologie, cependant, a sa dynamique propre, très relativement autonome, et ses tendances et tonalités diverses. Le nationalisme arabe, chez les théoriciens, est, on l’a vu, souvent ouvert vers une vision universaliste. Il a pris aussi dans certains courants une tonalité chauvine, peu respectueuse des droits nationaux des autres peuples (Kurdes d’Iraq, Noirs du Soudan). Indépendamment de ce clivage, on trouve aussi des courants de gauche, qui accordent une large place à l’exigence de justice sociale, et des courants de droite, qui privilégient le maintien de l’ordre, parfois de l’ordre nouveau, mettant aux postes de commande une nouvelle bourgeoisie administrative. La tendance conservatrice a utilisé au maximum l’appel à la vieille idéologie religieuse, très vivante chez des couches déterminées de la paysannerie et de la petite bourgeoisie, entre autres, c’est-à-dire à l’islām. Un courant musulman intégriste, non sans soutiens populaires çà et là, ayant pour programme la restauration de l’ordre médiéval et sympathique à l’idéologie antiathéiste des États-Unis, cause bien des difficultés aux États socialisants sympathiques au bloc communiste.

M. R.

➙ Baath / Islām / Mahomet.