Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mosaïque (suite)

Les Romains, qui se montrèrent les héritiers de la Grèce — lorsqu’ils ne firent pas directement appel à des artistes grecs —, continuèrent à concevoir les compositions en mosaïque comme de véritables tableaux. On connaît les petites scènes, d’un impressionnisme saisissant, trouvées dans la « villa de Cicéron » de Pompéi et transportées au Musée national de Naples. Signées par Dioscoride de Samos, elles représentent des Musiciens ambulants et une Scène de comédie (seconde moitié du iie s. av. J.-C., à partir d’originaux grecs du siècle antérieur). Une autre œuvre du même musée, celle-ci de très grandes dimensions et trouvée dans la « maison du Faune » de Pompéi, montre qu’on demandait à la mosaïque de copier les grands chefs-d’œuvre de la peinture et d’en reproduire aussi bien les effets linéaires que les valeurs spatiales. À l’aide d’une multitude de petits cubes de pierre, elle représente la Victoire d’Alexandre* sur Darios. L’original pourrait être une fresque célèbre peinte par Philoxène d’Érétrie (fin du ive s.) pour le roi Cassandre de Macédoine. La copie ne fut exécutée qu’un siècle et demi plus tard.

Fréquemment, les compositions figurées se limitaient à un petit panneau, ou emblema. Celui-ci, produit par un centre artistique spécialisé, était exporté au loin, pour prendre place au centre de vastes encadrements géométriques exécutés sur place. L’exemple de la villa de Piazza Armerina, en Sicile, prouve cependant que le goût pour les immenses pavements historiés se maintint encore très vif jusqu’à la fin de l’Empire. On vit aussi se développer dans les provinces des ateliers locaux dont la rusticité n’excluait pas l’originalité. On n’en voudra pour preuve que les émouvantes mosaïques funéraires de Tunisie, qui appartiennent déjà à l’art chrétien. Antioche* offre un autre exemple de production continue et diverse.

D’abord limité aux pavements, l’usage de la mosaïque s’étendit aux revêtements muraux, au moins dès la fin de la République romaine. Il semble que cette pratique soit d’abord apparue dans les nymphées. Sans doute répondait-elle à des nécessités pratiques, le matériau apparaissant plus résistant que la peinture à l’action de l’eau. Mais les préoccupations esthétiques ne furent probablement pas absentes, dans la mesure où la richesse et l’éclat des pierres de couleurs, et bientôt des cubes de verre, s’harmonisaient poétiquement au chatoiement de l’eau.

Du domaine des nymphes et des muses, la mosaïque passa rapidement dans les lieux funéraires. Les fouilles conduites dans la nécropole située sous Saint-Pierre de Rome* ont amené la découverte d’un décor de voûte du iiie s. comportant un Christ-Hélios entouré de pampres d’un vert bleuâtre sur fond d’or.

Cependant, les chrétiens, en adoptant la mosaïque murale, allaient faire subir au style une métamorphose décisive. Jusque-là, l’ambition avait été d’imiter la peinture à l’aide d’une technique qui se prêtait assez mal aux effets illusionnistes. Les disciples du Christ eurent conscience de cette antinomie et ils explorèrent les possibilités spécifiques de la mosaïque pour créer à travers elle un art proprement spirituel, correspondant au contenu de leur foi. Il s’agit là d’une conquête progressive. Les grands monuments chrétiens apparus sous Constantin, au lendemain de la Paix de l’Église, accueillent encore sur leurs murs des motifs d’origine païenne. Au mausolée de Constance à Rome (v. 350) se déploient sur les voûtes les mêmes scènes de vendanges avec des Amours qu’on trouvait auparavant sur le sol.

L’événement qui précipita les choses fut le transfert de la capitale de l’Empire dans sa partie orientale, à Constantinople*. Le mysticisme ambiant aidant, le nouveau style définit rapidement son idéal et ses canons (v. byzantin [art]). Certes, les destructions effectuées entre le viie et le ixe s., lors de la crise iconoclaste, ne permettent guère de retrouver ces premières manifestations dans la ville impériale, mais il nous reste Thessalonique* et surtout Ravenne*, l’antenne occidentale de Byzance. Du mausolée de Galla Placidia (première moitié du ve s.) à Sant’ Apollinare Nuovo (apr. 526) et de San Vitale à Sant’ Apollinare in Classe (consacrées la première en 547 et la seconde en 549), la mosaïque murale déploie ses fastes dans un accord de plus en plus intime avec les exigences architecturales.

L’importance de Rome, centre politique déchu, mais capitale religieuse du monde chrétien, n’est pas moins grande. Chaque définition dogmatique conduit les papes à créer un nouveau cycle d’images. Sous Sixte III (432-440), la proclamation du « symbole d’Éphèse » détermine l’apparition à Santa Maria Maggiore d’un riche ensemble de mosaïques en l’honneur de la Theotokos, la Mère de Dieu. Parallèlement se fixe un décor d’abside en rapport avec le développement du culte des martyrs à l’intérieur de la cité. Le constant renouvellement stylistique s’oppose cependant à l’établissement d’une formule figée ou stéréotypée. À l’église des Santi Cosma e Damiano (526-530), les saints titulaires offrent leurs couronnes au Christ triomphant sur un fond de nuages aux couleurs d’apocalypse. Plus tard, à Sant’ Agnese (624-638), la petite martyre est représentée en princesse byzantine sur un champ d’or éclatant de lumière.

La participation du reste de l’Occident à l’histoire de la mosaïque chrétienne demeure plus faible, sauf à l’époque carolingienne*. Nous avons perdu le décor de la voûte de la chapelle de Charlemagne à Aix, mais les tendances de l’époque s’expriment encore à Germigny-des-Prés. Un grand personnage de la cour, Théodulf, avait fait construire un oratoire à proximité du grand monastère de Saint-Benoît-sur-Loire, dont il était l’abbé. La mosaïque absidale, du début du ixe s., est contemporaine du renouveau de cet art qui s’opérait à Rome sous les papes Léon III et Pascal Ier.