Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Morte (manuscrits de la mer) (suite)

Une communauté surgie du passé

Entre la mer Morte et la falaise aux flancs de laquelle fut découverte la première grotte aux manuscrits s’étend une petite plaine quasi désertique traversée par le wādi Qumrān. Un site, la ruine de Qumrān, attira l’attention des archéologues ; il était déjà connu et, en 1873 notamment, l’orientaliste Charles Clermont-Ganneau l’avait visité, mais sans hasarder une hypothèse sur la date et l’origine de ces ruines. À partir de 1951, il fut soumis à une fouille minutieuse. Les constructions mises au jour se révélèrent avoir servi de centre à une communauté d’une cinquantaine de personnes, qui s’y réunissaient pour les repas, pour une activité artisanale, jour la constitution et l’utilisation l’une importante bibliothèque. Plusieurs grandes citernes pouvaient recueillir, en cas de pluie, l’eau qui cascadait dans la falaise. À côté se trouvait un cimetière d’environ 1 100 tombes. À quelques kilomètres, près de la source sulfureuse d’Aïn Fachkha, des installations agricoles permettaient quelques cultures.

Grâce à de nombreux débris de poterie, à un millier de pièces de monnaie récupérées dans les divers bâtiments et surtout à un trésor de 561 pièces d’argent, dont la plus récente est de l’an 8 av. J.-C., les archéologues ont pu préciser qu’une première installation s’était faite en cet endroit vers le viiie et le viie s. av. J.-C., puis que d’autres bâtiments plus importants furent construits vers le règne de Jean Hyrcan (134-104 av. J.-C.), agrandis sous celui d’Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.) et rebâtis après un incendie sous celui d’Hérode Archélaos (4 av. J.-C. - 6 apr. J.-C.). L’ensemble de ces bâtiments fut complètement détruit par une action militaire, sans doute par la légion romaine qui s’empara de la ville voisine de Jéricho le 21 juin 68 apr. J.-C.


La communauté de Qumrān


Son histoire

Aucun document ne contient une véritable histoire de la communauté qui vécut à Qumrān et qui composa ou conserva ces manuscrits. Les diverses illusions contenues dans les écrits sont souvent très difficiles à interpréter. En les examinant à la lumière des découvertes archéologiques et des renseignements fournis par trois écrivains anciens (Philon d’Alexandrie, Pline l’Ancien et Flavius Josèphe), on n’obtient qu’une reconstitution conjecturale, dont plusieurs points restent sujets à controverses.

Lorsque les Maccabées se révoltèrent contre Antiochos IV Épiphane (175-164 av. J.-C.), un mouvement religieux traditionaliste chercha à maintenir une totale fidélité à la dynastie des grands prêtres descendant de Sadoc (Sadoq) et au calendrier biblique traditionnel, qui comptait des années de 364 jours. Les Maccabées avaient accepté le calendrier lunaire en usage dans le monde hellénistique, avec des années de 354 jours ; lorsque Jonathan Maccabée (160-142) eut usurpé le souverain pontificat en 152 av. J.-C., les deux partis entrèrent dans un conflit de plus en plus violent. On ne sait pas trop quels liens unissaient ce mouvement religieux à celui des hasidim, ou assidéens, ancêtres supposés des pharisiens. Mais on pense généralement qu’il s’identifie à celui des esséniens, quoique, en fait, aucun document trouvé à Qumrān ne parle des esséniens, mais seulement des « Fils de l’Alliance », des « Hommes de parfaite sainteté », des « Hommes de la Communauté ».

Une vingtaine d’années après sa fondation, donc vers 150 av. J.-C., ce mouvement attira une recrue exceptionnelle, appartenant peut-être à la famille pontificale de Sadoc, qui devait assez vite devenir le chef et l’animateur du mouvement et qui nous est connu sous le titre de « Docteur de justice ». Dans l’euphorie qui avait suivi les premières découvertes, on avait vu en lui un prototype de Jésus. En fait, il fut une personnalité religieuse de grande envergure et il est sans doute l’auteur d’une partie des ouvrages découverts dans les grottes de Qumrān, surtout la Règle de la Communauté et les Hymnes. Ce mouvement « essénien » prônait une observance de la loi juive beaucoup plus stricte que celle qui était admise par les pharisiens, que les écrits de Qumrān qualifient de « chercheurs de fourberies ». Le « Docteur de justice » fut spécialement en butte à l’hostilité criminelle d’un personnage, surnommé le « Prêtre impie », à la fois grand prêtre et chef politique. Certains pensent que ce nom de « Prêtre impie » désigne Jonathan Maccabée ou Alexandre Jannée.

À cause de cette hostilité, le groupement essénien, qui avait peut-être déjà depuis un certain temps une maison de formation établie à Qumrān, s’y exila définitivement et rompit avec le culte du Temple, qui était, à ses yeux, exercé par un pontife illégitime, à des dates illégales et selon des rites souillés. Après cet exil furent composés les diverses Applications, ou Commentaires, de prophètes et de psaumes qui mentionnent souvent le « Prêtre impie », et par la suite le Document de Damas.

Sous le règne d’Hérode le Grand (37-4 av. J.-C.), qui était en lutte permanente contre les pharisiens, les esséniens semblent avoir joui d’une certaine faveur, qui leur permet peut-être de revenir à Jérusalem. Mais sous le gouvernement d’Hérode Archélaos (4 av. J.-C.- 6 apr. J.-C.), ils s’installent de nouveau à Qumrān et en réparent les bâtiments.

Ils y étaient encore lorsque la prise de Jéricho par les Romains les obligea à cacher dans les grottes d’alentour leur bien le plus précieux, leur immense bibliothèque. Beaucoup d’entre eux furent capturés par les Romains et, selon Flavius Josèphe, ils supportèrent les plus cruelles tortures plutôt que de renoncer à la loi juive et à leurs observances.

Quelques vestiges de leur influence apparaissent chez certains Pères de l’Église et surtout dans le caraïsme, mouvement juif très répandu à partir du ixe s. apr. J.-C.


Sa vie quotidienne

Celui qui désirait entrer dans la communauté devait subir un examen préalable, puis deux années de préparation, pendant lesquelles il n’avait pas le droit de se mêler aux anciens. Il était admis définitivement lors d’une cérémonie d’« entrée dans l’Alliance », où il promettait de se convertir à la loi de Moïse. Selon Flavius Josèphe, il faisait aussi serment de pratiquer la justice et de haïr les pécheurs, d’être docile à ses supérieurs et compréhensif envers ses inférieurs, de ne rien cacher à ses confrères et de ne rien révéler aux étrangers de la doctrine et des livres de la secte. Il remettait alors tous ses biens à la communauté.