Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Móricz (Zsigmond) (suite)

Après l’écrasement de la Commune de Budapest, il consacrera, dans un esprit de plus en plus critique, plusieurs romans à la « gentry » hongroise, en laquelle il espère trouver les forces capables d’orienter le pays dans la voie des réformes (Uri muri [Fiesta de seigneurs, 1927] ; Rokonok [la Famille, 1930]). De 1924, année particulièrement tragique dans la vie de Móricz, date Pillangó (le Papillon), idylle paysanne pour laquelle il gardera toujours une prédilection. Mais l’ouvrage le plus important de cette période est peut-être le Jardin féerique (Tündérkert, 1922), premier volume d’une trilogie historique publiée en 1934 sous le titre Transylvanie (Erdély). Deux tempéraments politiques, mais aussi deux conceptions des devoirs de l’homme d’État y sont confrontés dans les deux figures centrales de Bethlen et de Báthory. Entre d’une part la principauté de Transylvanie, seule parcelle précairement indépendante d’un territoire hongrois partagé au xviie s. entre les Habsbourg et les Turcs, et d’autre part le petit royaume sans roi né à Trianon, les analogies ne manquaient pas, et les contemporains déchiffrèrent dans ce livre de nombreuses allusions à l’actualité.

À partir de 1930, le populisme de Móricz s’accentue encore. Dans Barbares (Barbárok, 1932), l’un des chefs-d’œuvre de la nouvelle hongroise, il raconte avec une rare puissance l’assassinat d’un berger par deux de ses compagnons. Les héros de ses derniers romans (Betyár [le Bandit, 1931] ; Sándor Rózsa, 1941-42) ne sont plus des hobereaux libéraux ou des intellectuels soucieux d’éclairer le peuple, mais des paysans devenus bandits d’honneur et tout prêts à prendre la tête d’une jacquerie. Poussé par le même souci de mettre sa plume au service de l’enquête sociologique qui, à la même époque, incitait Illyés* à écrire son célèbre Ceux des pusztas, Móricz fait éclater la forme romanesque et s’efface de plus en plus devant un narrateur dont il semble seulement consigner les propos : Un homme heureux (A boldog ember, 1935) s’appuie sur le récit qu’un paysan de ses parents lui avait fait de sa vie ; Orpheline (Árvácska, 1941) reflète les expériences d’une fillette abandonnée dont l’auteur avait fait la connaissance et dont il s’occupa comme d’une fille adoptive.

Le destin voulut que Móricz mourût le 4 septembre 1942. Cette nuit-là, les premières bombes tombaient sur Budapest. La Hongrie, dont il avait si souvent fait le procès dans ses livres, entrait en agonie. Était-ce l’avènement du monde nouveau qu’il avait appelé de ses vœux ? Ou l’auteur de Transylvanie se souvint-il de la remarque qu’il avait mise naguère dans la bouche de Bethlen : « Un petit pays ne peut avoir qu’un seul souci : ne pas laisser l’ennemi franchir les frontières... » ?

J.-L. M.

Mori Ōgai

Écrivain japonais (Tsuwano, département de Shimane, 1862 - Tōkyō 1922).


Descendant d’une lignée de médecins du clan Tsuwano, Mori Rintarō (Ōgai est son pseudonyme littéraire) reçoit dans son enfance la formation classique de tradition chinoise. En 1872, il suit son père à Tōkyō, où il entre dans une école du nouveau système d’inspiration occidentale. En 1881, il est le plus jeune diplômé de la nouvelle école de médecins de l’université de Tōkyō. Médecin militaire, il fait une brillante carrière, qu’il termine en qualité d’inspecteur général et de directeur des services de santé de l’armée (de 1907 à 1916). Versé dans le cadre de réserve, il est nommé, en 1917, directeur du Musée impérial et de la bibliothèque du Palais.

Plusieurs événements jalonnent cette carrière exemplaire de haut fonctionnaire du nouveau Japon : un séjour de quatre ans en Allemagne (Berlin, Leipzig, Dresde, Munich) de 1884 à 1888, où il découvre à la fois la science et la littérature occidentales ; deux campagnes militaires (guerres sino-japonaise et russo-japonaise) ; un long séjour en province (1899-1902) comme chef des services médicaux de la division de Kokura (Kyūshū).

Fils d’un samurai de province sans fortune, devenu officier et fonctionnaire du nouveau régime, le personnage est complexe. L’idéologie féodale teintée du confucianisme des Tokugawa se mêle et se heurte chez lui à une connaissance profonde et directe de la civilisation européenne, étayée par une solide formation scientifique.

C’est en Allemagne qu’il découvre la littérature occidentale ; à son retour, il participe aux activités d’un groupe de poètes, mais se signale surtout par une courte nouvelle, Maihime (la Danseuse, 1890), qui raconte les amours d’un étudiant japonais et d’une jeune Berlinoise. Par l’exotisme du sujet aussi bien que par la nouveauté du style, cette œuvre consacre une rupture totale avec les procédés classiques. Une vive polémique s’engage entre Ōgai et Tsubouchi* Shōyō, le théoricien du nouveau roman (Shōsetsu-shinzui [la Moelle du roman], 1885). Ōgai défend une conception de l’idéalisme esthétique que l’on retrouvera dans la suite de son œuvre. Jusqu’en 1909 cependant, absorbé par ses fonctions officielles, il ne publie guère que des poèmes, des traductions et des essais.

Le triomphe du naturalisme, qu’il qualifie d’impudentisme, le fait sortir de sa réserve ; en 1910, il publie Vita sexualis, roman autobiographique qui se veut « antinaturaliste » par l’usage parodique des recettes de ses adversaires poussées à leurs extrêmes limites, aggravées par le sérieux de la précision médicale. L’intention fut mal comprise sans doute, car le livre fut un temps interdit pour « immoralité ». Seinen (le Jeune Homme), qui décrit les tribulations d’un écrivain en herbe venu de sa province natale, contient une description politique des milieux artistiques et littéraires où paraissent un certain nombre de contemporains, sous des pseudonymes transparents. Gan (l’Oie sauvage, 1911), le chef-d’œuvre de cette période de l’auteur, propose un traitement analytique de la psychologie des personnages : par son succès durable et son influence, ce roman est sans conteste l’un des plus importants du siècle.