Móricz (Zsigmond) (suite)
Après l’écrasement de la Commune de Budapest, il consacrera, dans un esprit de plus en plus critique, plusieurs romans à la « gentry » hongroise, en laquelle il espère trouver les forces capables d’orienter le pays dans la voie des réformes (Uri muri [Fiesta de seigneurs, 1927] ; Rokonok [la Famille, 1930]). De 1924, année particulièrement tragique dans la vie de Móricz, date Pillangó (le Papillon), idylle paysanne pour laquelle il gardera toujours une prédilection. Mais l’ouvrage le plus important de cette période est peut-être le Jardin féerique (Tündérkert, 1922), premier volume d’une trilogie historique publiée en 1934 sous le titre Transylvanie (Erdély). Deux tempéraments politiques, mais aussi deux conceptions des devoirs de l’homme d’État y sont confrontés dans les deux figures centrales de Bethlen et de Báthory. Entre d’une part la principauté de Transylvanie, seule parcelle précairement indépendante d’un territoire hongrois partagé au xviie s. entre les Habsbourg et les Turcs, et d’autre part le petit royaume sans roi né à Trianon, les analogies ne manquaient pas, et les contemporains déchiffrèrent dans ce livre de nombreuses allusions à l’actualité.
À partir de 1930, le populisme de Móricz s’accentue encore. Dans Barbares (Barbárok, 1932), l’un des chefs-d’œuvre de la nouvelle hongroise, il raconte avec une rare puissance l’assassinat d’un berger par deux de ses compagnons. Les héros de ses derniers romans (Betyár [le Bandit, 1931] ; Sándor Rózsa, 1941-42) ne sont plus des hobereaux libéraux ou des intellectuels soucieux d’éclairer le peuple, mais des paysans devenus bandits d’honneur et tout prêts à prendre la tête d’une jacquerie. Poussé par le même souci de mettre sa plume au service de l’enquête sociologique qui, à la même époque, incitait Illyés* à écrire son célèbre Ceux des pusztas, Móricz fait éclater la forme romanesque et s’efface de plus en plus devant un narrateur dont il semble seulement consigner les propos : Un homme heureux (A boldog ember, 1935) s’appuie sur le récit qu’un paysan de ses parents lui avait fait de sa vie ; Orpheline (Árvácska, 1941) reflète les expériences d’une fillette abandonnée dont l’auteur avait fait la connaissance et dont il s’occupa comme d’une fille adoptive.
Le destin voulut que Móricz mourût le 4 septembre 1942. Cette nuit-là, les premières bombes tombaient sur Budapest. La Hongrie, dont il avait si souvent fait le procès dans ses livres, entrait en agonie. Était-ce l’avènement du monde nouveau qu’il avait appelé de ses vœux ? Ou l’auteur de Transylvanie se souvint-il de la remarque qu’il avait mise naguère dans la bouche de Bethlen : « Un petit pays ne peut avoir qu’un seul souci : ne pas laisser l’ennemi franchir les frontières... » ?
J.-L. M.