Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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monuments historiques (suite)

Au point de vue de la politique générale des crédits, on constate l’alternance des opérations peu nombreuses mais spectaculaires et des interventions multipliées et minimes. Les lois-programmes de 1962, sur l’initiative d’André Malraux*, ministre d’État chargé des Affaires culturelles, concentrèrent massivement les crédits sur sept monuments appartenant à l’État : Invalides, Vincennes, Chambord, Versailles, Fontainebleau, Louvre et cathédrale de Reims. La loi de 1968 eut pour idée directrice d’en faire bénéficier une centaine de monuments essentiels (tel le palais des Papes d’Avignon) appartenant à des collectivités locales, avec la contribution financière de celles-ci. Depuis lors, un autre ministre, Jacques Duhamel, a résumé dans une formule clé le renversement de cette politique de prestige, en préconisant des interventions légères limitées à l’entretien : « Mieux vaut sauver 1 000 monuments pour cinquante ans que 50 monuments pour mille ans. »


Des critères de protection et une législation en extension continue

Simultanément, le champ d’action du Service des monuments historiques s’étend de plus en plus. Le xixe s., avec la loi de 1887, embryon timide mais méritoire, en était resté au stade de l’initiation. Le xxe s. va mettre en place une législation dont chaque nouveau texte constitue une étape vers un contrôle plus exigeant et plus vaste. La justification philosophique esquissée par Victor Hugo — une socialisation de la Beauté — s’analyse sur le plan juridique comme une restriction au droit individuel de propriété par une servitude d’utilité publique. Le critère est l’intérêt d’art et d’histoire interprété toujours plus largement et appliqué au profit de la collectivité à toutes les catégories de propriétaires, privés ou personnes morales publiques : État, départements, communes. Son domaine d’application couvre non seulement les édifices et les œuvres d’art, mais aussi leur environnement, les sites, la nature, menacés de multiples façons.

La loi du 31 décembre 1913 est la véritable charte de la sauvegarde des monuments et des œuvres d’art ; elle codifie le classement, degré supérieur de la protection, et l’applique à l’égard des particuliers pour éviter altérations ou dégradations. La loi du 23 juillet 1927 met au point une protection au second degré, l’inscription sur l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, et s’oppose plus fortement au « dépeçage », c’est-à-dire au démontage partiel. Suivant les mêmes principes, la loi du 2 mai 1930 institue le classement des sites et leur inscription sur un Inventaire supplémentaire. Une section chargée des sites est instituée au sein de la Commission supérieure des monuments historiques, relayée au niveau régional par des commissions départementales. Les infractions constatées sont pénalisées (aggravation par une loi de 1966).

Jusque-là, les mesures de protection étaient limitées à des objectifs ponctuels : tel monument, tel objet d’art, tel site. Avec la Seconde Guerre mondiale et l’importance des dommages qu’elle cause, on prend conscience de la nécessité d’élargir le contrôle à des ensembles. Le monument n’est pas isolé ; il est à envisager dans un contexte plus vaste. La loi du 25 février 1943 protège les abords et instaure une servitude sur les immeubles avoisinants (périmètre de 500 m). Allant plus loin, la loi du 4 août 1962, à l’initiative d’André Malraux, se propose de sensibiliser le public aux noyaux urbains anciens et crée des « secteurs sauvegardés ». Elle place ainsi sous la surveillance du Service des monuments historiques des ensembles valant par leur unité organique et la qualité moyenne de leur architecture.

Enfin, pour lutter contre le pillage et les vols de plus en plus fréquents d’œuvres d’art, la loi du 23 décembre 1970 complète le texte de 1913 en créant, par analogie avec les deux ordres de protection déjà existants pour les monuments et les sites, à côté du classement, l’inscription sur un Inventaire supplémentaire des objets mobiliers. Et pour appliquer cette loi, comme il existe des commissions départementales des sites, on met en place des commissions départementales des objets, constituées d’érudits et de personnalités locales.

Cet ensemble législatif cohérent donne théoriquement à l’Administration les armes nécessaires à son action. Ces armes sont essentiellement le classement des bâtiments et leur inscription sur l’Inventaire supplémentaire, la réglementation des abords et des secteurs sauvegardés, le contrôle des œuvres d’art, la recherche archéologique.


Le classement

La procédure pour les immeubles peut se résumer ainsi : l’Inspection générale des monuments historiques soumet à la Commission supérieure une proposition de classement. Après avis de cette assemblée, si le propriétaire est d’accord, un arrêté du ministre classe le monument en tout ou partie. Si le propriétaire n’accepte pas, l’Administration peut passer outre par décret en Conseil d’État portant classement d’office (procédure exceptionnelle). Le propriétaire peut, dans un délai de six mois, introduire une demande en indemnisation s’il estime le classement préjudiciable. L’arrêté est transmis au bureau des hypothèques et, chaque année, le Journal officiel publie la liste intégrale des monuments classés au cours de l’année précédente.

Les conséquences du classement sont l’interdiction pour le propriétaire de détruire ou seulement de modifier sans autorisation l’édifice (défense étendue aux abords), l’obligation de notifier au Service des monuments historiques toute vente de celui-ci et de soumettre les projets de modifications à un accord préalable.

L’architecte en chef des Monuments historiques, territorialement compétent, établit le devis des travaux. Ceux-ci, une fois agréés, sont pris financièrement en charge à raison de 50 p. 100 par le Service des monuments historiques, l’autre moitié étant la contribution du propriétaire. Si celui-ci montre une mauvaise volonté évidente et refuse les travaux indispensables, le ministre peut le mettre en demeure d’y procéder ; si cette mise en demeure est infructueuse, il a la faculté de les exécuter d’office avec occupation temporaire ou même expropriation pure et simple (fort rare).

Pour parer à un péril immédiat, une mesure d’urgence peut être proposée : l’instance de classement par la Commission supérieure. Elle produit les mêmes effets, mais pour une durée limitée à un an.

On compte actuellement 11 000 édifices classés en France, religieux ou civils.