Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mont-Saint-Michel (Le) (suite)

 P. Gout, le Mont-Saint-Michel (A. Colin, 1910 ; 2 vol.). / V. de Miré, le Mont-Saint-Michel au péril de la mer (Hachette, 1953). / Y. M. Froidevaux, le Mont-Saint-Michel (Hachette, 1965 ; nouv. éd., 1969). / J. Vallery-Radot et Y. M. Froidevaux, « le Mont-Saint-Michel. Travaux et découvertes », dans 124e Congrès archéologique de France (Picard, 1966).

Chronologie des constructions

2e tiers du xe s.

Notre-Dame-sous-Terre. Voûtée après 992, elle serait le seul reste des constructions préromanes, sans doute à l’emplacement du premier sanctuaire aménagé dans le rocher.

1023-1048

Cryptes : chapelle Saint-Martin.

1060-1080

Église romane et crypte de l’Aquilon.

après 1112

Reconstruction du mur nord de la nef ; promenoir des moines (muni d’une voûte gothique après l’incendie de 1138).

1203-1228

La Merveille : travaux échelonnés de l’aumônerie (niveau inférieur, côté est) au cloître (3e niveau, côté ouest).

après 1250

Officialité, Belle-Chaise (siège de l’abbé) et bâtiments abbatiaux, à l’est (côté de l’entrée) et au sud-est.

1311

Clocher gothique en remplacement du clocher roman, incendié en 1300 (de nouveau reconstruit au xviie, puis au xixe s.).

après 1391

Fortifications et grande citerne.

1446-1521

Crypte aux gros piliers, puis reconstruction du chœur (écroulé en 1421).

fin du xviiie s.

Nouvelle façade de l’église après démolition des trois premières travées de la nef en 1780.

monuments historiques

Les peuples jeunes — vigoureusement créateurs — n’ont pas le respect du passé. Il leur faut atteindre une certaine maturité et l’expérience du malheur pour que, jetant un regard en arrière, ils découvrent au travers des périls de l’histoire la fragilité et le caractère irremplaçable de cet héritage collectif menacé que sont les monuments et les œuvres d’art. « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles [...]. » Une telle prise de conscience est, en Europe, assez récente : elle n’a pas deux siècles.



Après des siècles de vandalisme, les premières préoccupations de sauvegarde apparaissent

Les monuments anciens, religieux ou civils, avaient, jusque-là, vécu au rythme des âges : remaniés ici et là, agrandis, embellis suivant les modes successives et contradictoires, dans le style du moment, jamais selon les données initiales de l’édifice. Une flèche flamboyante répond à une flèche romane, un décor Renaissance se plaque sur une œuvre médiévale, une façade classique ou un autel baroque sur une nef romano-gothique. D’où une disparate à l’image de la vie et savoureuse comme elle.

Ces enrichissements étaient, il faut l’avouer, payés par des destructions souvent inconsidérées. Le « vandalisme » (néologisme inventé par l’abbé Grégoire en 1794 à la tribune de la Convention) s’était donné libre cours avec une belle insouciance dans tous les pays, avant et après ces Vandales coupables, avec les Goths, du ravage de l’Empire romain.

Faisant suite à la Renaissance et aux guerres de Religion, les siècles classiques — surtout celui des lumières — affichent leur dédain du Moyen Âge obscurantiste. La Révolution française détruit systématiquement, par idéologie et passion antimonarchique, antiféodale, anticatholique. Le bilan des saccages est accablant.

En même temps, par un curieux paradoxe, certains révolutionnaires, effrayés des excès commis, veulent nationaliser les collections ci-devant royales et réalisent ainsi, selon un projet déjà ancien, le premier musée du Louvre. Ils en viennent à esquisser une idée neuve : le changement peut s’inscrire dans la continuité. Tout ce qui a été la France de jadis fait partie du patrimoine de la Nation souveraine et mérite attention. Dans cet esprit, Alexandre Lenoir (1761-1839) — un précurseur — installe au couvent désaffecté des Petits-Augustins, à Paris, le musée des Monuments français, constitué de statues et de tombeaux provenant d’édifices dépecés : ce sera le premier musée européen de sculpture du Moyen Âge et de la Renaissance. Il sera supprimé par Louis XVIII, désireux de créer l’École des beaux-arts.

Une commission temporaire des monuments et des arts élabore en 1791-92 les premières instructions relatives à l’inventaire et à la sauvegarde. Mais, venues trop tôt face à une opinion hostile, celles-ci restent lettre morte : de telles préoccupations conservatrices — à vrai dire assez platoniques — sont jugées contre-révolutionnaires par les Jacobins extrémistes.


Au début du xixe s., écrivains et érudits préparent les interventions de l’État en faveur des monuments

Rien n’était possible sans un changement progressif des esprits. Peu à peu, le xixe s. va être saisi d’un véritable engouement pour le Moyen Âge. Plus qu’une réhabilitation, c’est une résurrection. Avec une ardeur parfois naïve, mais chaleureuse, les romantiques, amis des ruines et nostalgiques du passé, se jettent dans le combat. Après Chateaubriand, Victor Hugo, dans ses romans, son théâtre, ses pamphlets, se fait l’ardent défenseur d’une architecture admirable et incomprise. Il réclame avec force « une loi pour l’irréparable qu’on détruit, une loi pour ce qu’une nation a de plus sacré après l’Avenir [...] une loi pour le Passé [...]. » Une formule résume admirablement son propos : « Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ! » Justification sociologique des interventions futures de l’État.

Un peu plus tard, Hippolyte Taine, dans sa Philosophie de l’art, précise le fondement intellectuel d’une telle action : « Les monuments, les tableaux, les statues, les livres, les traditions sont les accumulateurs qui emmagasinent ce que l’âme des peuples a conçu de plus beau, de meilleur, de plus profond au cours du temps, et de ces énergies concentrées jaillit l’étincelle qui donne un élan nouveau aux aspirations de la nation [...]. »