Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

monophysisme (suite)

La controverse obligea les orthodoxes à préciser encore les termes de leur croyance. Le patriarche de Constantinople, Flavien II († apr. 518), prit parti contre Eutychès et Dioscore d’Alexandrie et les obligea à reconnaître dans le Christ une seule personne en deux natures. Il fut approuvé en 449 par le pape saint Léon le Grand, qui envoya à Constantinople une lettre célèbre, le « Tome à Flavien », où il définissait la position orthodoxe en matière christologique.

« En raison de cette unité de personne en deux natures, écrivait-il, on lit que le Fils de l’homme est descendu du ciel quoique ce soit le Fils de Dieu qui ait pris chair dans la Vierge, dont il est né. De même on lit que le Fils de Dieu a été crucifié, a été enseveli, bien qu’il n’ait souffert dans sa divinité selon laquelle il est fils du Père, coéternel et consubstantiel, mais seulement dans l’infirmité de la nature humaine [...]

« Tout cela afin qu’on connût que les propriétés de la nature divine et de la nature humaine demeuraient inséparablement unies, afin que sans identifier le Verbe et la chair, nous fussions convaincus que le Verbe et la chair ne formaient qu’un Fils de Dieu.

« C’est ce mystère de la foi qu’Eutychès a complètement ignoré ; il n’a point reconnu notre nature dans le Fils unique de Dieu, pas plus dans les abaissements de sa mort que dans la gloire de sa résurrection. »

Ainsi, selon la pure orthodoxie, le Christ est un, et il y a en lui deux natures distinctes, mais sans mélange ni confusion possibles. Cette définition restera la croyance immuable de l’Église catholique. Mais en Orient, la querelle va rebondir par suite de l’intrusion du pouvoir politique dans les affaires religieuses, caractéristique du césaro-papisme byzantin.

L’empereur Théodose II (408-450) soutient Dioscore et Eutychès et réunit en 449 un concile à Éphèse, qui dépose sous la menace le patriarche Flavien II de Constantinople et chasse les légats du pape ; c’est le célèbre « Brigandage d’Éphèse ». À la mort de Théodose II, sa sœur, l’impératrice Pulchérie et son mari Marcien (450-457) favorisent, à l’instigation de saint Léon, la réunion à Chalcédoine en 451 du célèbre concile qui définit le dogme christologique sur les bases du « Tome à Flavien ».

Les querelles monophysites n’en vont pas moins recommencer, mais aux controverses théologiques se mêleront les rivalités entre patriarcats rivaux et la mauvaise volonté des empereurs byzantins à se plier aux croyances définies par Rome. Ainsi, à Antioche un moine ambitieux, Pierre le Foulon († 490), s’empare du patriarcat et prêche un monophysisme particulier, le théopaschisme, renaissance du patripassianisme, qui enseigne que la Trinité tout entière et surtout le Père a souffert pour nous ; à Alexandrie, en 457, un monophysite, Timothée Elure († 477), est élu après l’assassinat du patriarche orthodoxe, Proterius ; il est soutenu par l’empereur usurpateur Basiliscos (474-476), qui condamne le concile de Chalcédoine ; enfin à Jérusalem un autre monophysite, Théodore, parvient au patriarcat.

Après la restauration de l’empereur légitime, Zénon (474-491), ce dernier, devant ces querelles qui divisent ses États, essaie de trouver un compromis et dans ce dessein publie en 482 son hénotique. Condamné par Rome comme par les monophysites d’Égypte, l’hénotique est accepté par le patriarche de Constantinople, Acace († 489) ; il s’ensuit le premier schisme avec l’Occident (484-519) ; trente-quatre ans plus tard, l’empereur Justin (518-527) reviendra à l’orthodoxie.

Au vie s., les doctrines monophysites évoluent en plusieurs directions, celle des purs adeptes d’Eutychès, celle des aphthartodocètes de Julien d’Halicarnasse (apr. 527), qui affirment l’incorruptibilité de la chair du Christ, enfin le courant le plus important, celui du patriarche d’Antioche, Sévère (512-518). Ce monophysisme est hérétique dans la mesure où il refuse la terminologie christologique orthodoxe qui a été définie à Chalcédoine. Cette hérésie procède d’un attachement exagéré aux anciennes formules du concile d’Éphèse et aussi d’une hostilité passionnelle de la Syrie et de l’Égypte envers l’Église de Rome. Contre les monophysites, Léonce de Byzance († 542) défend les positions orthodoxes.

Les monophysites sont persécutés par le successeur de Justin, l’empereur Justinien (527-565), mais sa femme Théodora les protège et favorise en Syrie l’installation de l’Église jacobite fondée par Jacques Baradaï (ou Baradée). Comme l’empereur Zénon jadis, Justinien, soucieux de rétablir l’unité religieuse de son empire, tente de concilier les deux partis. Une longue controverse naît autour de sa condamnation des « Trois Chapitres », c’est-à-dire des écrits de trois théologiens nestoriens que le concile de Chalcédoine a réhabilités. Cette querelle, qui divise l’Église et trouble les pontificats de Vigile (537-555) et de Pelage Ier (556-561), n’obtient pas les résultats désirés, et les monophysites ne se soumettent pas.

Au viie s., les divisions religieuses persistent en Orient et affaiblissent l’Empire byzantin, qui subit alors l’assaut des Perses et de l’islām. L’énergique empereur Héraclius Ier (610-641) appuie le patriarche de Constantinople, Serge (610-638), qui enseigne un monophysisme modéré : le monothélisme, qui admet la dualité des natures, mais ne reconnaît qu’une seule volonté dans le Christ, la volonté divine.

Dénoncé énergiquement par le patriarche de Jérusalem, Sophrone (634-638), et par le moine saint Maxime le Confesseur (v. 580-662), le monothélisme est défendu dans un écrit d’Héraclius, l’Ecthèse, parue en 638. Les papes Séverin (640), Jean IV (640-642), et Théodore Ier (642-649) condamnent tour à tour l’Ecthèse, aussi le successeur d’Héraclius, Constant II (641-668), promulgue-t-il un nouvel écrit, le Type, en 648, qui ordonne le silence sur ces questions, mais sans prendre parti ; aussi le pape Martin Ier (649-655) fait-il condamner le Type au concile de Latran l’année suivante.

Constant II persécute et exile Martin Ier et saint Maxime le Confesseur ; enfin, son successeur, Constantin IV Pogonat (668-685), de concert avec le pape Agathon (678-681), décide la réunion d’un concile général à Constantinople (680-81), le VIe concile œcuménique, qui met fin définitivement à l’hérésie monothéliste.