Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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monarchie d’Ancien Régime (suite)

À cette époque s’établit en effet un relatif équilibre entre un pouvoir royal renforcé et les catégories sociales privilégiées de la noblesse — forte de sa richesse foncière déclinante — et de la bourgeoisie, dont la fortune mobilière croissante nourrit les ambitions. Un moment satisfaite au xviiie s. par les concessions qui lui sont faites sur le plan idéologique par Louis XV, la bourgeoisie explose en révolution lorsque Louis XVI prend contre elle la défense résolue de la noblesse et du clergé, c’est-à-dire des deux ordres privilégiés.


Structures de l’Ancien Régime


Structures économiques et sociales

Comptant environ 16 millions d’habitants au milieu du xvie s., 19 à la fin du xviie s. et peut-être 26 à la veille de la Révolution, la France dispose en Europe pendant trois siècles d’une puissance démographique incomparable, qui est mise, pour l’essentiel, au service de l’agriculture. Rurale à 85 p. 100, vivant pour l’essentiel dans les campagnes des produits de la terre qu’elle cultive ou des revenus que cette dernière lui procure (rentes foncières, etc.), la population française supporte l’essor d’une industrie subordonnée à l’agriculture mais soutenue par elle, qui lui fournit l’essentiel de ses matières premières (laine, lin) et de sa main-d’œuvre, qu’il s’agisse de celle qui peuple les « manufactures » textiles ou de celle qui anime les forges, les fourneaux, les ateliers très dispersés de la métallurgie française. La vie urbaine reste relativement médiocre puisque, Paris mis à part, seules une vingtaine de villes dépassent 10 000 habitants.

Peu à peu se prépare le « décollage » de l’économie française, dont le taux d’expansion, après avoir progressé très lentement au xvie et au xviie s., atteint 60 p. 100 pour l’ensemble du xviiie s. Un tel essor se réalise malgré l’insuffisance des moyens de transport, lents, médiocres, discontinus et coûteux, surtout par voie de terre, malgré aussi l’insuffisance des méthodes comptables et financières (ni banque d’État, ni Bourse), malgré enfin la complexité d’un système monétaire bimétalliste où la valeur des biens s’exprime dans une monnaie de compte (livres tournois) différente de la monnaie réelle (écus, louis) avec laquelle ils sont payés. Une telle complexité favorise naturellement la spéculation sur les espèces, dont la rareté entraîne la thésaurisation ainsi que la création de monnaies de substitution qui servent de moyens de paiement élémentaires : en nourriture, en nature, en service, en reconnaissances de dettes. Cette situation se maintient au moins jusqu’en 1760, car après cette date la mise en valeur des nouvelles mines du Brésil, l’accroissement du commerce français rendent la circulation monétaire plus abondante, plus fluide et donc plus favorable à l’expansion d’une économie forte, mais restée jusque-là fondamentalement rurale.

La masse de la population française est en effet attachée à la terre dans les cadres économique de la « seigneurie » et religieux de la « paroisse », ce dernier ayant en outre été érigé depuis longtemps en unité fiscale.

Rejetant hors de son sein la masse des errants (quelque 200 000 mendiants, déserteurs, déclassés et travailleurs itinérants, etc.), dont les guerres et les crises agricoles gonflent brusquement les effectifs, la communauté rurale est formée pour l’essentiel de 2 ou 3 millions de familles paysannes (métayers, manouvriers, etc.), dont la dépendance juridique, économique, sociale et culturelle est sans appel en raison du manque de capitaux et de l’analphabétisme. De ce fait, seuls les riches laboureurs et les fermiers des grandes familles, possesseurs d’un important capital d’exploitation et le plus souvent alphabétisés, apparaissent réellement indépendants. Ils sont les seuls à pouvoir participer pleinement à l’assemblée des habitants, grâce à laquelle la communauté rurale peut exister politiquement. Ils sont aussi les seuls à pouvoir assurer leur promotion sociale soit directement, en devenant intendants des grands propriétaires et même rentiers partiels des revenus de la terre, soit indirectement, en permettant à leurs enfants d’entrer dans le bas clergé ou de s’intégrer au petit monde des bas officiers ou des boutiquiers. Aussi est-ce par leur médiation que l’intercommunication sociale peut être assurée entre monde paysan et monde nobiliaire, entre monde rural et monde urbain.

À l’exception de la couche supérieure de la paysannerie, numériquement très peu nombreuse, les détenteurs de rentes ecclésiastiques, seigneuriales ou usuraires sont en effet des privilégiés à résidence fréquemment urbaine : nobles, évêques, abbés, chanoines, nouveaux riches du commerce et de la finance. Parmi ces privilégiés, nobles et clercs sont les seuls à former des ordres juridiquement définis par des droits et par des devoirs, que les premiers acquièrent normalement par la naissance et les seconds par l’ordination.

En fait, au sein de ces derniers, seuls les évêques et les chanoines détenteurs d’importants bénéfices ou de riches prébendes conservent une réelle puissance économique, qui étaie leur rayonnement spirituel et renforce leur autorité politique. Il n’en est pas de même des nobles. Ils ont perdu au moins dès le xve s. le droit exclusif de porter les armes et dès le xviie s. celui de conseiller seuls le roi, qui s’entoure de plus en plus de roturiers dont l’anoblissement trop récent n’efface pas la macule originelle ; dépossédés de leurs propriétés foncières au profit de bourgeois enrichis, ils ne peuvent rétablir leur situation économique qu’au prix de mésalliances, en raison de l’impossibilité où ils se trouvent de pratiquer des activités roturières sous peine de dérogeance ; enfin, ils sont affaiblis par leur petit nombre (300 000 ou 400 000, soit de 1 à 1,5 p. 100 des Français au xviiie s.). Ils ont encore au xviiie s. des prétentions politiques qui ne sont plus au niveau de leurs moyens économiques : par là même, ils introduisent un élément de perturbation dans l’ordre social, dont le centre de gravité tend à se déplacer au profit de la bourgeoisie.