Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Moi (le) (suite)

L’orientation que Jacques Lacan donne à la psychanalyse va dans un sens radicalement différent et pivote autour de la fonction du Moi. Introduisant le terme de sujet, qu’on peut entendre au sens logique, grammatical, formel, Lacan dépouille le vocabulaire freudien de la seconde topique de son caractère anthropomorphique. Ainsi, Freud confère au Moi une fonction de « dressage » ou d’« esclavage », qui disparaît dans la démarche lacanienne par un simple redressement de texte. À la fin de l’important texte sur la personnalité psychique (1932), il écrit : « Wo es war, soll Ich werden », traduit en français par « le Moi doit déloger le Ça ». Traduction infidèle au texte, car Freud n’indique pas que le Ça doive être « délogé ». Lacan, au contraire, propose une traduction terme à terme : « Là où c’était, là comme sujet dois-je advenir » (« la Science et la vérité », dans Écrits). Du même coup, il ne s’agit plus de renforcer les mécanismes de défense d’un Moi soumis aux agressions externes et internes, mais du « paradoxe d’un impératif qui me presse d’assumer ma propre causalité » ou encore, pour chaque individu, de savoir s’il veut ce qu’il désire. Ainsi, le pervers assumera-t-il sa perversion sans pour autant qu’elle doive disparaître ; ainsi, la clinique psychanalytique n’a plus comme fonction de classer et d’exclure ; ainsi, la cure n’a plus pour fonction de rendre l’anormal conforme à la norme, mais, au contraire, de donner libre cours aux désirs.


Le Moi, fonction de méconnaissance

C’est là un changement dans l’histoire de la psychanalyse qui a des conséquences idéologiques et théoriques fondamentales.

• Conséquences idéologiques. En intervenant au niveau de la constitution du normatif, la psychanalyse peut — dans sa version lacanienne — exercer une fonction critique de la culture au sein de laquelle elle s’exerce ; au contraire, dans sa version « américaine », elle renforce les ancrages de conservation et de répression.

• Conséquences théoriques. Lacan développe une structure du sujet plus complète que celle de Freud, en distinguant les formations imaginaires (corrélatives de l’image dite « spéculaire », image reflétée dans un miroir, par laquelle le sujet acquiert à la fois son identité propre et une aliénation irréversible) de l’ordre symbolique (dont le langage et les systèmes de signes culturels sont les fondements), par où passent les lois, les interdits et le désir qui leur est lié. Dans la conception lacanienne, le Moi, situé comme axe de l’imaginaire, est du côté de la méconnaissance : méconnaissance irréductible, corrélative du clivage avec le réel, qu’elle occulte. De ce point de vue, le travail de l’analyste serait, dit Lacan, un travail « d’illusionniste s’il n’avait justement pour fruit de résoudre une illusion ». Le Moi, nécessairement illusoire, lieu d’émergence des illusions, ne peut être réduit, mais, en le situant comme tel, la thérapeutique analytique comme la conçoit Jacques Lacan élabore une nouvelle théorie de la subjectivité et effectue un travail indirect sur la réalité.

C. B.-C.

➙ Freud / Imaginaire, symbolique et réel / Inconscient / Lacan / Psychanalyse.

 S. Freud, Die Traumdeutung (Vienne, 1900, 8e éd., 1929 ; trad. fr. la Science des rêves, P. U. F., 1926, nouv. éd. l’Interprétation des rêves, 1967) ; Das Unbewusste (Vienne, 1915 ; trad. fr. « l’Inconscient », dans Metapsychologie, Gallimard, 1952, nouv. éd., 1968) ; Das Ich und das Es (Vienne, 1923 ; trad. fr. « le Moi et le Soi », dans Essais de psychanalyse, Payot, 1951, nouv. éd., 1963) ; Hemmung, Symptom und Angst (Vienne, 1926 ; trad. fr. Inhibition, symptôme et angoisse, P. U. F., 1951, nouv. éd., 1968) ; Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse (Vienne, 1932 ; trad. fr. Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, Gallimard, 1936). / H. Hartmann, Ich-Psychologie und Anpassungsproblem (Vienne, 1937, nouv. éd. Stuttgart, 1960 ; trad. fr. la Psychologie du moi et le problème de l’adaptation, P. U. F., 1968). / L. Althusser, Pour Marx (Maspero, 1965). / J. Lacan, Écrits (Éd. du Seuil, 1966).

Moïse

En hébreu Moché, libérateur et législateur d’Israël.



Sources bibliques

Sa vie est racontée dans le Pentateuque et plus particulièrement dans l’Exode, les Nombres et le Deutéronome. Moïse est aussi l’objet d’allusions dans Josué, les Juges, Samuel, les Rois et les Chroniques. Les Prophètes le citent rarement (Malachie, iii, 22 ; Michée, vi, 4 ; Osée, xii, 14). Les Psaumes indiquent son rôle dans l’« histoire » d’Israël. Les tenants de la critique biblique ont appliqué aux récits sur Moïse les procédés de leur théorie « documentaire » ; celle-ci n’enlève rien à l’historicité indubitable de cette grande figure, à laquelle il se serait ajouté, pour eux, des traits plus ou moins légendaires ; c’est ainsi, soutiennent-ils, que la législation qu’on lui attribue ne serait apparue que plusieurs siècles après lui.


Le récit biblique

Moïse naît au moment le plus critique de la persécution des Hébreux en Égypte. Alors que le pharaon fait jeter au Nil les nouveau-nés mâles, Yokebed, épouse du lévite Amram et déjà mère d’Aaron et de Myriam, met au monde un garçon que l’on cache, dans une corbeille imperméabilisée, au milieu des roseaux bordant le Nil. La fille du Pharaon découvre la corbeille, l’ouvre et reconnaît un enfant hébreu. Elle décide de l’élever. Myriam, restée à proximité, lui indique une nourrice en la personne de Yokebed. L’enfant portera le nom de Moïse, que la Bible explique en le faisant dériver d’un verbe hébreu signifiant « tirer des eaux ». L’enfant grandit au palais royal. Devenu adulte, il a connaissance des souffrances de ses frères. Il les visite et les réconforte. Voyant, un jour, un surveillant égyptien frapper un Hébreu, il le tue et l’enfouit dans le sable. Un autre jour, il voit deux Hébreux qui se disputent ; il intervient pour secourir celui qui lui paraît la victime ; l’autre lui demande s’il veut faire de lui ce qu’il a fait de l’Égyptien. Effrayé, Moïse quitte précipitamment l’Égypte. Il arrive au pays des Madianites ; il y sera longtemps l’hôte du prêtre Jethro (appelé parfois aussi Reuel [Raguel] ou Hobab). Il se marie avec une de ses filles, qu’il avait secourues le jour de son arrivée. Il garde longtemps les moutons de son beau-père.