Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Moghols (Grands) (suite)

Restait le problème qui, plus tard, devait être la grande affaire d’Awrangzīb : le Deccan. Pour Akbar, cette opération s’imposait pour deux raisons : contrer l’influence portugaise et réduire les sultanats d’Ahmadnagar, de Golconde, de Khāndesh et de Bijāpur, qui, soumis plus ou moins facilement, devinrent des provinces de l’Empire moghol d’une fidélité d’ailleurs douteuse.

• L’organisation intérieure du pays. À la limite, on peut admettre que c’est dans ce domaine qu’Akbar fonda réellement l’Empire moghol. Comme le remarque R. Grousset dans son Histoire de l’Asie, Akbar substitua une administration tolérante et régulière au régime des cimeterres, qui avait été celui du sultanat de Delhi. Dans un pays aux contrastes sociaux, ethniques et religieux si marqués, ce n’était pas une mince entreprise. Rappelons pour mémoire (v. Inde) les réformes sociales qui firent d’Akbar l’un des premiers hommes d’État aux préoccupations sociales, bien que les arrière-pensées politiques n’en soient point absentes : mesures en faveur des paysans ; suppression des taxes vexatoires (kharaj et djizya) dont les musulmans frappaient les hindous ; lutte contre certaines coutumes de la société indienne, le satī (suicide des veuves) et les mariages d’enfants (la limite fut fixée à seize ans pour les hommes et treize ans pour les femmes).

Il serait hasardeux de considérer qu’Akbar réussit pleinement dans ces dernières tentatives, mais il n’en eut pas moins le mérite de percevoir les problèmes que ces habitudes posaient.

L’idée maîtresse de ce grand souverain, l’unification réelle du sous-continent, se manifesta clairement avec sa politique religieuse. Peuplée d’hindous, de musulmans, de parsis, de jaina et de chrétiens, l’Inde était déjà le kaléidoscope religieux que nous connaissons actuellement. Pour Akbar, faire cesser ces conflits entre les diverses religions n’était-il pas le meilleur moyen de donner une assise solide à son empire, et ce d’autant plus qu’une telle politique allait dans le sens des préoccupations philosophiques de l’empereur ? L’œcuménisme avant l’heure devenait ainsi un moyen de gouvernement.

Dès 1575, Akbar matérialisa cette politique en faisant construire une « maison des religions » (‘ibādat-khāna), où prêtres hindous, jaina et parsis, ulémas musulmans et missionnaires chrétiens furent invités à débattre en présence de l’empereur de leurs religions respectives.

Ce syncrétisme n’était pas du goût des ulémas, pour lesquels Akbar était quelque peu un hérétique. L’empereur dut casser leur opposition et les contraindre à le reconnaître comme arbitre suprême en matière de foi. Le souverain temporel devenait aussi le souverain spirituel. Le couronnement de cette politique fut la création d’une nouvelle Église : la Dīn-i ilāhī (« la foi divine »), qui n’eut, certes, qu’un faible retentissement, mais dont la création même prouve l’autorité du souverain, qui avait pu imposer à ses proches une institution dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’était pas orthodoxe. Cette création montrait pour le xvie s. une exceptionnelle ouverture d’esprit et une non moins exceptionnelle tolérance.

À sa mort, en 1605, Akbar était non seulement le plus puissant souverain de son époque, mais aussi l’une des plus grandes figures de l’histoire universelle.


Awrangzīb (Dhod [Malvā] 1618 - Aurangābād 1707)

Si Akbar fut par bien des aspects le Henri IV indien, Awrangzīb (Aurangzeb) en fut le Louis XIV. Le premier avait fait l’Empire moghol, le second le porta à son apogée, l’ampleur même de ses ambitions constituant l’un des germes de la décadence moghole.

Il était le troisième fils de Chāh Djahān, et les débuts de sa carrière furent on ne peut plus classiques. Vice-roi du Deccan, du moins de la partie contrôlée par les Moghols à l’époque, jusqu’en 1644, il dirigea ensuite sans succès une expédition contre les Ouzbeks. De nouveau vice-roi du Deccan, il établit sa capitale à Khirkī, qui devint Aurangābād (Awrangābād). Il y fit preuve de remarquables qualités d’homme d’État, réussissant à développer cette ingrate région et à se constituer par la même occasion un trésor de guerre pouvant servir en cas de conflit avec ses trois frères pour succéder à Chāh Djahān. La maladie de ce dernier en 1657 mit le feu aux poudres. Troisième fils, Awrangzīb n’avait guère de chances d’accéder au trône. Chāh Djahān, par ailleurs, ne cachait pas sa préférence pour son fils aîné, Dārā Chikōh, homme cultivé, tolérant, qui, par là même, se heurtait aux musulmans les plus intégristes. La maladie de Chāh Djahān déclencha une guerre fratricide au terme de laquelle Awrangzīb, après avoir vaincu et emprisonné son père, qui ne mourut qu’en 1666, se proclama empereur à Delhi le 21 juillet 1658. Il devait régner jusqu’en 1707.

La personnalité du nouvel empereur était complexe. L’histoire a surtout retenu un certain fanatisme religieux et une grande austérité de mœurs, contrastant singulièrement avec le faste de ses prédécesseurs. Peut-être ce tableau est-il à nuancer. On a trop tendance à juger en fonction de la suite des événements, oubliant qu’Awrangzīb, au cours de son long règne, porta l’Inde moghole à son apogée.

• De 1658 à 1682. Awrangzīb s’attacha surtout à consolider sa domination sur l’Inde du Nord, surtout aux deux points traditionnellement névralgiques : en Assam, pour assurer la sécurité du Bengale ; sur la frontière du Nord-Ouest, où les Pathans manifestaient un besoin viscéral d’indépendance.

Cette pacification de la moitié septentrionale devait être rendue plus difficile par la politique maladroite d’Awrangzīb vis-à-vis des hindous : destruction du temple de Mathurā, entraînant le terrible soulèvement des Jāts (ou Djates, population rurale du sud de Delhi), durement réprimé, mais jamais maté ; exécution du leader sikh Teg Bahādur, qui refusait de se convertir à l’islām, événement qui fit des sikhs de redoutables combattants. Surtout, l’empereur mécontenta gravement les Rājpūts, qu’Akbar avait habilement gagnés à sa cause. Déjà irrités par le rétablissement de la djizya, ceux-ci explosèrent devant les tentatives d’Awrangzīb pour évincer une enfant, Ajit Singh, du trône de Mārvār.